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jeudi 5 septembre 2019

L'origine et l’évolution de la décoration murale dans les tombes de l'Égypte ancienne (par Jacques Vandier)

tombe de Roy - TT 255 - XVIIIe dynastie (photo Marie Grillot)

"Les tombes décorées, dans l'Égypte ancienne, sont inégalement réparties dans le temps et dans l'espace. D'une manière générale, on peut affirmer qu’elles ont toujours été une exception ou, si l'on préfère, le privilège des hauts fonctionnaires, politiques, administratifs ou sacerdotaux, et c’est la raison pour laquelle elles se trouvent, habituellement, groupées à proximité des résidences royales ou des capitales provinciales. Dans leur immense majorité, les Égyptiens, après leur mort, étaient déposés dans des tombes, plus ou moins vastes, mais immuablement muettes.
Cette différence de traitement devant la mort, prolongation des inégalités sociales, entraînait, évidemment, un avantage pour les puissants de ce monde, et, pour le commun des mortels, un désavantage certain, sur lequel on aimerait avoir des précisions. 

La décoration des plus anciennes tombes ayant un caractère purement civil, on a cru, longtemps, que la décoration des tombes n’avait pour unique objet que de souligner le bonheur terrestre du disparu et d’en prolonger le souvenir, non seulement chez ses descendants, mais aussi dans l'esprit ou l'imagination de tous ceux qui pouvaient passer auprès de sa tombe. Plus tard, Maspero supposa que les scènes représentées dans les tombes devaient créer magiquement, pour le défunt, la réalité de ce qu'elles figuraient. Plus récemment, on eut recours à des interprétations plus objectives et plus matérialistes : pour Erman, par exemple, les scènes des tombes ne font qu’éterniser la joie de la propriété et le plaisir que procure une œuvre d'art ; pour Kees, il s'agirait d’un procédé commode pour exciter la générosité des survivants impressionnés par la puissance passée du défunt. 
En fait, aucune de ces explications n’est entièrement à rejeter : il nous paraît évident que la vanité humaine n’a pas été absolument étrangère à l'usage de décorer les chapelles funéraires, mais il est non moins évident qu’un souci utilitaire est venu s'ajouter, et, cela dès l’origine, à ce sentiment naturel. Les offrandes étant nécessaires à la vie d’outre-tombe, il était indispensable d'encourager d’une manière sensible, grâce à l'étalage des richesses passées, la bonne volonté des survivants. Nous ne pensons pas, cependant, que les Égyptiens anciens aient été assez naïfs pour supposer que l’importance de la décoration murale de leurs tombes ait suffi à leur assurer éternellement les offrandes funéraires.
Aussi l’explication magique de Maspero, en dernière analyse, nous semble-t-elle être la plus satisfaisante : le mort se créait pour sa vie future un monde heureux, exactement calqué, mais sans les ennuis qui ne sont jamais absents de l’existence d'un homme, sur celui qu’il avait connu sur terre, et ce bonheur ne pouvait lui être enlevé que si la tombe elle-même était détruite. C'est la raison pour laquelle les textes des tombes, notamment à l'Ancien Empire, sont si lourds de menaces à l’égard des éventuels violateurs de tombes. 

Ce sentiment, ou, plutôt, ce complexe de sentiments a dominé jusqu’à la fin de la XVIIIe Dynastie. À cette époque, on commence à mettre l’accent sur la piété personnelle du défunt, en le représentant en prière ou en adoration devant un certain nombre de divinités. À partir de l’époque ramesside, c’est le caractère religieux qui l’emporte dans la décoration des tombes, et les scènes purement profanes deviennent exceptionnelles. Nous ne savons pas, naturellement, si les anciens habitants de la vallée du Nil ont réellement éprouvé les sentiments que nous venons de leur prêter, mais l’interprétation proposée a au moins l'avantage de donner une explication logique de l'origine et de l’évolution de la décoration murale dans les tombes."

(Jacques Vandier, Manuel d'archéologie égyptienne, tome IV, Bas-reliefs et peintures - Scènes de la vie quotidienne,  1964)

vendredi 19 juillet 2019

Le Sérapéum de Saqqarah, par Auguste Mariette et Jacques Vandier

photo Marie Grillot
“La découverte du Sérapéum de Memphis, due à Auguste Mariette, peut être considérée comme un des grands moments de l'archéologie égyptienne au XIXe siècle. Comme si souvent, ce fut un pur hasard qui fut à l'origine de la trouvaille. Mariette, qui avait été chargé, au Louvre, d'une humble besogne matérielle, avait obtenu, grâce à l'appui de Charles Lenormant et de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, une mission dont l'objet était de réunir une collection de manuscrits coptes, éthiopiens ou syriaques. Il débarqua à Alexandrie le 2 octobre 1850, éprouvant une des joies les plus vives de son existence, celle à laquelle il avait rêvé depuis des années.
S'étant heurté, dès son arrivée, à de graves difficultés, il ne put consacrer les premières semaines de son séjour à l'objet de sa mission, et employa le temps libre que lui accordaient les circonstances à la visite du Caire et de ses environs. Le 27 octobre, il se rendit à Saqqara et “aperçut par hasard une tête humaine en calcaire qui saillait du sable et dont le type lui rappela celui des sphinx qu'il avait admirés aux jardins Zizinia et chez ses amis du Caire”.
Cette tête évoqua immédiatement dans son esprit un texte de Strabon (XVII) : “On trouve de plus (à Memphis) un temple de Sérapis dans un endroit tellement sablonneux que les vents y amoncellent des amas de sable sous lesquels nous vîmes les sphinx enterrés, les uns à moitié, les autres jusqu’à la tête, d'où l'on peut conjecturer que la route vers ce temple ne serait pas sans danger, si l'on était surpris par un coup de vent.” Par une intuition géniale, Mariette comprit qu'il se trouvait, ce jour-là, au-dessus de l'avenue qui conduisait au Sérapéum de Memphis.
Quelques jours plus tard, le 1er novembre 1850, il commençait à déblayer, avec trente ouvriers, le secteur qu'il avait remarqué. (...) En quelques semaines, Mariette mit au jour l'allée des sphinx de Nectanébo 1er, quelques tombes d'Ancien Empire, dans lesquelles se trouvaient de belles statues et, parmi elles, le scribe accroupi du Louvre, un aréopage de poètes et de philosophes grecs, et, enfin, un sanctuaire élevé par Nectanébo 1er en l'honneur d'Apis. (...)
Ce ne fut que le 12 novembre 1851, un an et douze jours après le premier coup de pioche, que Mariette pénétra dans le Sérapéum : “Comme étendue, la tombe d'Apis a dépassé toutes nos espérances, C'est un ample souterrain, avec ses chambres, ses galeries, ses couloirs. Évidemment, les Apis avaient, dans la nécropole de Memphis, une sépulture commune, et, comme je l'avais pensé quelquefois, des caveaux isolés, creusés séparément et enfermés dans l'enceinte du Sérapéum. Quand un Apis mourait à Memphis, on prolongeait d'une chambre le souterrain, et de génération en génération, la tombe du dieu s'allongeait, à mesure que les momies qu'on y déposait devenaient plus nombreuses... La tombe se compose d'une longue galerie principale, taillée en voûte, sur laquelle se greffent à angle droit des galeries plus petites, venues d'autre part... : ses galeries mises bout à bout, sans compter, bien entendu, les chambres latérales, ont environ 230 mètres de développement.” Ainsi furent trouvées, en fait dans deux souterrains différents, les sépultures des Apis, s'échelonnant de la XVIIIe Dynastie à l'époque ptolémaïque.
Il eût été trop beau que les documents qui furent mis au jour, eussent été si méthodiquement classés qu'on eût retrouvé, sans hiatus, la série complète des Apis. Si regrettable qu'ait été l'absence d'un tel état de choses, les découvertes de Mariette n'en ont pas moins été miraculeuses par l'éblouissante moisson d'objets qu'elles nous ont apportée et qui a enrichi nos connaissances historiques, archéologiques et artistiques.”
(extrait de “La Découverte du Sérapéum et les funérailles de l'Apis d'après certaines stèles du Sérapéum”, compte rendu par Jacques Vandier de l’ouvrage de Jean Vercoutter, “Textes biographiques du Sérapéum de Memphis. Contribution à l'étude des stèles votives du Sérapéum”, in “Journal des Savants” Année 1964 - 2)

dimanche 26 mai 2019

Les arts mineurs au cours du Nouvel Empire, par Étienne Drioton et Jacques Vandier

Cuillère à fard du type à la nageuse
Photo (C) RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
Musée du Louvre
"On a vu que le luxe s'était considérablement développé en Égypte, au cours du Nouvel Empire. Ce fut évidemment dans les arts mineurs que cette tendance nouvelle se fit tout particulièrement sentir. S'il est difficile de se rendre compte des progrès réalisés dans des habitations civiles, il est aisé, en revanche, de porter un jugement sur l'évolution des arts mineurs, au cours de cette époque. Notre documentation est constituée, soit par les représentations des tombes thébaines, soit par les innombrables objets trouvés au cours des fouilles, et actuellement conservés dans les différentes collections égyptologiques. Enfin, la découverte de la tombe, à peu près intacte, de Toutânkhamon nous a apporté un ensemble unique qui a certainement ajouté beaucoup à notre connaissance des arts mineurs au Nouvel Empire.

Les peintures des tombes égyptiennes de cette époque nous apportent de précieux 
renseignements sur le costume civil. La mode s'était beaucoup compliquée depuis le Moyen Empire : l’humble pagne, qui n'était plus porté que par les paysans et par les ouvriers, avait fait place à un costume d’apparat, qui se composait d'une jupe, bouffante par devant, et d’une tunique, dont les plis, soigneusement étudiés, tombaient avec art : les pieds étaient chaussés de sandales élégantes, dont la pointe était parfois relevée à la poulaine. La coiffure, enfin, particulièrement celle des femmes, était très soignée : on aimait les lourdes perruques frisées, retombant en deux grosses masses, de chaque côté du visage, et égayées de bandeaux de perles et de fleurs. Les femmes étaient vêtues de longues tuniques plissées, ornées de manches très amples, qui laissaient les bras à découvert. Les anciens bijoux, colliers, bracelets et périscélides, constitués par l'assemblage de perles de faïence polychromes, continuaient à être à la mode. (...)
Les objets de toilette, étuis à styles, pots à kohol, ont été traités avec un rare bonheur par les artistes de cette époque, mais c'est dans la fabrication des cuillers à parfums que les arts industriels du Nouvel Empire ont excellé. Dans ces modestes objets de toilette, les artistes ont fait preuve d’imagination, de mesure et de goût dans le choix des motifs, et, dans la manière dont ils ont su les traiter, d’une liberté et d'une grâce qui, même lorsqu'elles touchent à la mièvrerie, donnent à l’objet un grand charme. Le manche est souvent formé par le corps nu et délicatement modelé d’une fillette qui, au milieu d’un fourré de papyrus, dont le rôle est purement décoratif, joue du luth, cueille ou respire une fleur, ou encore s’avance, chargée de gibier d’eau et de fleurs. Plus massives et plus réalistes sont les cuillers dont le manche est formé par le corps puissant d’un nègre qui paraît succomber sous le poids d’un grand vase qui sert de cuilleron, et qu'il soutient dans un geste plein de vérité. On ne saurait citer tous les motifs que les artistes de cette époque utilisaient, et qu'ils se plaisaient à varier, mais on doit au moins mentionner le type dit "à la nageuse", qui eut une grande fortune au Nouvel Empire : une fillette nue semble pousser devant elle, à la nage, soit un simple bassin de forme généralement rectangulaire, soit un canard dont le corps évidé sert de cuilleron et dont les ailes mobiles jouent le rôle de couvercle. C’est ainsi que les artistes ont su créer, sous un gracieux, des objets utilitaires d’un charme extrême."

Extrait de Les peuples de l'Orient méditerranées - II - L'Égypte, par Étienne Drioton et Jacques Vandier, PUF, 1938