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vendredi 1 juillet 2022

"L'Égypte reçut l'empreinte du désert meurtrier et du Nil fertilisant" (Ludwig Borchardt)

photo MC

"Il faut revenir d'environ douze mille ans en arrière pour se représenter ce curieux pays autrement qu'il n'est aujourd'hui, jusqu'au temps où le Nil cherchait son cours actuel et où se combla le golfe aigu qui, jadis, pénétrant profondément dans les terres, ne couvrait pas seulement le delta, mais s'étendait jusqu'à Assiout. Jadis toutefois les rebords des plateaux qui avoisinent la basse vallée du Nil étaient habitables, bien que les dunes mouvantes de l'ouest de ces plaines eussent déjà commencé à se former.
La ceinture de déserts qui traverse l'Afrique et l'Asie, qui s'étend aujourd'hui avec de faibles interruptions du Maroc à la Mandchourie, s'était constituée. Elle aurait recouvert entièrement l'Égypte, détruit toute vie humaine, animale et végétale, si le Nil n'y avait pas rendu plus longtemps possible la vie en général. Ainsi l'Égypte reçut l'empreinte du désert meurtrier et du Nil fertilisant. À tous deux elle doit ses aspects divers qui ne se retrouvent réunis nulle part ailleurs dans le monde, l'attrait unique de ses colorations, sa végétation grandiose dans sa simplicité.
Celui qui se représente, comme il est fréquent, le désert ainsi qu'une plaine de sable infinie, devra modifier beaucoup ses notions devant ce qui s'offre à sa vue en bordure de la vallée du Nil, et plus loin dans le désert proprement dit. Assurément il existe aussi de ces surfaces dont l'être vivant finit par se fatiguer, malgré les plus belles colorations, par exemple autour des couvents sur les lacs de Natron, mais déjà en se rendant de l'oasis de Dakleh à celle de Kargeh, ce qui se fait aujourd'hui aisément en automobile, le voyageur voit défiler devant lui le désert dans sa configuration la plus variée, avec des restes de formations archaïques.
Du reste les vues d'oasis (...) sont un témoignage éloquent du peu d'obstacles que mettent aujourd'hui à la circulation les déserts, qui jouent plutôt un rôle de liaison grâce à leurs routes naturelles. Fini le romantisme des chameaux !
L'attrait propre du désert apparaît surtout sur ses bords, au point où les plateaux s'abaissent vers la coupure profonde de la vallée du Nil en des vallées rocheuses, sortes de crevasses, nommées ouadi, qui descendent graduellement vers le fleuve. Naturellement les formes extérieures de ces ouadi dépendent entièrement de la nature des roches dans lesquelles ils sont taillés. Les ouadi creusés dans le calcaire blanc tendre près d'Helouan n'ont pas le même aspect que ceux qui sont creusés dans le calcaire rougeâtre fortement entremêlé de silex de l'Ouest de Thèbes. Mais ils ont partout pris naissance de même façon, ce sont les vallées des affluents du Nil, mais les vallées de fleuves où l'eau ne coule que tout à fait rarement. Lorsqu'en un lieu quelconque loin de la vallée du Nil une averse est tombée sur les plateaux désertiques pierreux et imperméables, l'eau se cherche un écoulement vers les bords du désert et s'y creuse des rigoles profondes.
En amont, à la naissance de ces rigoles, le flot se précipite en cascade, et plus loin, quand il est devenu un fort torrent, il se creuse une vallée qui s'étend toujours davantage, et où s'éboulent par gros blocs les murailles rocheuses minées par en dessous. Chaque année l'on entend parler, tantôt dans une région de l'Égypte, tantôt dans une autre, de tels torrents dont, par un ciel clair et sans le moindre signe avant-coureur, le flot dévastateur s'élance hors des vallées rocheuses, entraînant des villages entiers, coupant les remblais de voies ferrées sur de grandes longueurs.
Dans les vallées rocheuses elles-mêmes ces torrents, qui disparaissent aussi vite qu'ils sont venus, laissent derrière eux une végétation fort jolie, quoique maigre. C'est d'ailleurs à un tel torrent que l'égyptologie doit une des plus notables trouvailles dont elle se soit enrichie au cours de ces dernières années. L'entrée du tombeau du pharaon Tout Ank amon, située au bas d'un des versants d'une vallée désertique, fut recouverte peu après l'inhumation par les éboulis entraînés par un torrent qui se précipita dans cette vallée, et fut ainsi dissimulée aux anciens détrousseurs de tombeaux.
Les images graves et sévères du désert que nous retrouvons dans toute l'Égypte, et qui ne cessent véritablement de se rappeler à notre souvenir que dans certaines parties du delta du Nil, s'effacent cependant devant les images aimables, riantes et verdoyantes du Nil et de la végétation qu'il fait naître, dont l'exubérance ne saurait être dépassée que sous les Tropiques. Il existe une catégorie de botanistes pour qui chaque plante cultivée est un objet d'horreur et qui ne sont heureux que lorsqu'ils peuvent compter beaucoup d'espèces, autant que possible non encore décrites, au kilomètre carré. Ceux-ci ne trouveraient pas leur compte en Égypte. Le monde végétal de l'Égypte est justement, si du moins nous négligeons les plantes qui ne sont pas indigènes, beau par sa simplicité. On ne doit pas s'attendre à des forêts luxuriantes comme en ont l'Europe du Nord et l'Europe centrale, avec des arbres à feuilles caduques, des arbres à aiguilles et une futaie épaisse. Même les "forêts pétrifiées" que célèbrent les Guides, ne sont que des troncs d'arbres du Nord déposés sur les anciennes côtes du Delta et qui s'y sont pétrifiés."

extrait de L'Égypte, architecture, paysages, scènes populaires, par Ludwig Borchardt (1863-1938), égyptologue, auteur, avec Gaston Maspero, d'un Catalogue du Musée égyptien.