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mercredi 2 septembre 2020

La pyramide de Chéops est "la plus durable des créations humaines" (D. S. Merejkovski )

Photo Zangaki, vers 1880
"La Pyramide de Chéops - deux millions trois cent mille blocs de pierre de deux tonnes et demie chacun - le poids le plus lourd qu’aient jamais élevé des mains humaines ; et la branche légère de mimosa posée sur le cœur du mort : n'est-ce pas là la même force, la même volonté de Résurrection dans cette pesanteur et dans cette légèreté ?

"Je ne peux pas décrire, car de deux choses l’une : ou bien mes paroles ne rendront pas la millième partie de ce qu’il faut dire ou, si j'en donne l’image la plus pâle et la plus faible, on me prendra pour un homme exalté, peut-être même pour un fou. Je ne puis dire qu’une chose : ces hommes bâtissaient comme des géants hauts de cent coudées." C’est Champollion qui parle ainsi de toute l'architecture égyptienne et l'on pourrait dire cela des pyramides en particulier.

C'est Philon de Byzance qui en parle le mieux dans son livre Des sept merveilles du Monde : "Les hommes y montaient vers les dieux, et les dieux y descendaient vers les hommes."

(...) Ç’aurait été une tâche difficilement réalisable, même avec nos moyens techniques actuels, que d’aménager comme le firent les architectes égyptiens de la IV° dynastie, dans l’épaisseur de masses de pierre telles que les Pyramides, des chambres intérieures, des couloirs, des galeries qui, malgré une pression de dizaines de millions de kilogrammes, conservent après soixante siècles leur régularité primitive, sans avoir dévié d’un point.
Dans le tombeau de Chéops, malgré des milliers d’années, malgré les tremblements de terre qui ébranlèrent toute la masse de la pyramide, pas une pierre n’a bougé d’un cheveu. Jamais personne n’a bâti et probablement ne bâtira plus solidement. C’est la plus durable des créations humaines.

Les blocs cyclopéens de granit sont si exactement joints qu'on ne peut glisser entre eux une aiguille ; ils sont polis comme une glace, et leurs facettes sont pareilles aux facettes d’un cristal parfait.
L’erreur moyenne de la pose des pierres égale un dix-millième par rapport à la longueur, au carré, à l’horizontalité mathématiquement exacte. Si parfaite est cette pose, les blocs de plusieurs tonnes sont assemblés avec une telle précision que les plus larges interstices ne dépassent pas un dix-millième de pouce. Les facettes et les arêtes ne le cèdent en rien au travail de nos opticiens modernes.
C'est la perfection, non plus du cristal, mais du vivant tissu organique.

Les rois constructeurs des pyramides furent "des tyrans cruels qui obligèrent le peuple à élever des tombeaux inutiles, témoignage de leur vanité insensée". La confiance naïve avec laquelle Hérodote raconte cette fable montre à quel point les Grecs eux-mêmes avaient déjà perdu la clé de l'antiquité égyptienne. Non, ces rois ne furent pas de cruels tyrans, mais des libérateurs qui délivraient du plus honteux des esclavages - l'esclavage de la mort, et la conduisaient victorieusement vers la Résurrection.

Si une tension, une concentration aussi inouïe des forces physiques et spirituelles d’un peuple entier fut possible, c’est seulement parce que la volonté d’un seul coïncida avec la volonté de tous. Et ce n’est point dans une tristesse servile que durant vingt années ces cent mille hommes peinèrent après la pyramide de Chéops, mais dans une joie enivrante, dans une sage démence, dans une perpétuelle extase de la foi et de la prière. Ce n’est pas le gémissement des victimes qui monte de dessous ces prières, mais le cri victorieux de l’homme qui a vu pour la première fois le chemin ouvert dans le ciel par la pointe des pyramides.

extrait de Les mystères de l'Orient, par Dmitri Sergueïevitch Merejkovski (1865 - 1941), écrivain et critique littéraire russe. Traduction du russe par Dumesnil de Gramont

mardi 1 septembre 2020

"Le mystère du soleil, c’est l’amour, et le mystère de l'amour, c’est la Résurrection : voilà la pensée la plus profonde de l'Égypte" (D. S. Merejkovski)

Akhenaton et Nefertiti, sous les rayons d'Aton, Disque du Soleil qui donne la vie
Musée égyptien de Berlin

"Ce qu'il y a peut-être de plus étonnant pour nous dans l’art de l'Égypte, c’est une attention éternelle, une curiosité insatiable pour certaines petites choses, toujours les mêmes : le scarabée roulant sa boule, la gorge gonflée de venin du Serpent Royal, l’Uraeus, le lotus s’épanouissant, les ailes éployées du faucon qui plane ; ces images se répétant innombrables dans les hiéroglyphes, la peinture, la sculpture, l'architecture restent éternellement neuves.
Notre œil, s’il regarde trop longtemps, cesse de voir, se fatigue ; l’œil de l’Égyptien est infatigable, insatiable ; plus il regarde, plus il voit. L'homme s’étonne de tout comme au premier jour du monde et comme Dieu il dit à tout : "Oui, c’est vrai, c’est bien."

Dans la peinture et la sculpture qui ornent les murs des tombeaux de Tel-el-Amarna, le dieu Aton, Disque du Soleil, tend du ciel vers la terre de longs rayons droits et minces dont chacun se termine par une toute petite main enfantine. Ces mains caressent le corps nu du pharaon Akhenaton, "Joie du Soleil", de la reine, son épouse, et de ses six filles ; ou, donnant à leurs narines le souffle de la vie, elles tiennent de petites croix ansées, Ankh.
Sur une des sculptures funéraires, les doigts de ces mains enfantines touchent tendrement la taille du roi entre le ventre et la poitrine ; sur un autre, plus tendrement encore, ils enlacent le corps de la reine, se posent sous le sein droit, et derrière la tête, près de la nuque et sur le dos. Il y a, dans ces mains-rayons, la chaleur du soleil printanier, doux comme les caresses d’une mère. Et ce n’est pas en vain que le soleil vivifiant est représenté précisément là, dans la tombe, règne de la mort. Le mystère du soleil, c’est l’amour, et le mystère de l'amour, c’est la Résurrection : voilà la pensée la plus profonde de l'Égypte.
Le soleil est le cœur du monde ; sa chaleur est la bonté, sa lumière est la beauté. Dans le Soleil, beauté et bonté sont une seule et même chose.
Dans la langue égyptienne, ces deux notions si différentes pour nous s'expriment par un seul mot : nofert, et sont figurées dans l'écriture par un même hiéroglyphe : "Luth". L’essence du monde - nofert - c’est la musique, éternelle, la "beauté bonté".


extrait de Les mystères de l'Orient, par Dmitri Sergueïevitch Merejkovski (1865 - 1941), écrivain et critique littéraire russe. Traduction du russe par Dumesnil de Gramont