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samedi 24 juin 2023

"Renoncer à faire l'analyse du Sourire de l'Égypte qu'exprime toujours le visage meurtri du sphinx" (Albert Denis, XXe s.)

photo de Petar Milošević (Wikimedia Commons)

"Maintenant, j'éprouve une grande hâte de dévisager le sphinx qui s'allonge là-bas, au Sud-Est, et en contrebas de la grande pyramide. Pour y parvenir, il faut cheminer au travers de débris de granit rose mêlés à l'or du sable du désert.
Ces débris granitiques devaient vraisemblablement former le revêtement de la base du grand monument funéraire. Voici le sphinx qui brusquement apparaît... Sa croupe de granit s'étend majestueuse au bas de la coulée des sables. Dès son lever il reçoit la caresse rose du soleil. À l'heure où nous sommes, aux approches du moghreb, avant la grande paix du soir, sa face commence déjà à s'envelopper de mystère. Un enduit rougeâtre, encore visible par endroits, colore le visage formidable, dont l'expression et le sourire, quoique mutilés, continuent à synthétiser le passé fabuleux de l'antique Égypte et son inquiétante énigme. Les estimations les plus sérieuses font remonter son érection à l'époque thinite, à son apogée.
Je trouve sage de renoncer à faire l'analyse du Sourire de l'Égypte qu'exprime toujours le visage meurtri du sphinx, qui, à l'orée du désert, dresse sa masse sculpturale sur le fond d'or des sables. Ne suffit-il pas de constater qu'un indéchiffrable mystère l'apparente très étroitement au séduisant, mais énigmatique sourire éginétique de l'Hellade épanoui sur le visage de marbre pentélique des fragments des statues harmonieuses de l'Acropole ; ainsi qu'au sourire de la Renaissance florentine, quand, le pinceau du divin Léonard s'efforçant d'exprimer le mystère féminin, le fixa avec tant de suavité dans le sourire de Mona Lisa que nous conserve la Joconde ?  N'est-ce pas, à travers les millénaires et les civilisations successives et diverses, le même effort d'art qui, cherchant à exprimer les caractères permanents de la Beauté et de la Noblesse humaines, a toujours cru les trouver dans le Sourire, quand il ne les a pas cherchées dans l'expression pathétique de la Douleur ?"


extrait de Terre d'Égypte, 1922, par l'abbé Albert Denis qui, participant à "l'expédition militaire de Palestine-Syrie", profita de ses permissions pour visiter l'Égypte. "Ce fut pour lui à la fois une révélation et un éblouissement."

vendredi 7 février 2020

Après Karnak, "il me restait à contempler, avec la Vallée des Rois, l'œuvre formidable de la nature" (Albert Denis)

La Vallée des Rois, par Antonio Beato (1835 ? - 1906)

"Avec Karnak, j'avais été vivement impressionné par la splendeur colossale des temples. En présence des efforts de l’homme pour magnifier, par la pierre, la gloire de ses dieux ; devant  cet ensemble prodigieux d’édifices et de statues, qui demanda deux millénaires d'activité architecturale et artistique, je pensais que rien de plus grandiose ne pourrait s’offrir désormais à ma pensée et à ma sensibilité. Je me trompais. Auprès de l'effort colossal humain que Karnak représente, il me restait à contempler, avec la Vallée des Rois, l'œuvre formidable de la nature.
De quelles expressions se servir pour décrire la majesté effrayante de ce défilé de la montagne libyque ? C’est ici le cadre sublime, où s'appellent et se pénètrent ces deux choses suprêmes qui sont le Silence et la Mort. De quelle grandiose horreur avez-vous su entourer votre Nécropole, ô Pharaons, qui, pendant votre vie terrestre, avez voulu être plus que des hommes, et dans vos hypogées, plus que des morts... 
Dominé par une impression profonde, et pénétré par une émotion qui exalte l’âme, nous chevauchons maintenant dans la Vallée funéraire. Tout y est stérile et morne. C’est ici le royaume de la matière inerte. Aucun vestige de vie ne vient rompre l'aspect désolé des roches torréfiées par un soleil de feu. Les parois fauves ou rougeâtres de la Vallée, s’enveloppent d’une teinte d’améthyste qui étend, sur les tons excessifs et chauds de ses silex et de ses calcaires, un voile transparent d’idéalité, comme pour tempérer, pour atténuer, la brutalité effroyable de ses aspects et de ses lignes. Tantôt, en effet, se détachant presque de la paroi qui les retient encore par on ne sait quel impossible équilibre, de gigantesques roches, aux formes tourmentées, semblent attendre votre passage pour vous écraser sous leur masse formidable. Tantôt, ce sont des parois sinistres, dont la régularité, imaginée et réalisée par un effort de titans, paraissent être, couronnant les sommets prodigieux, les remparts fantastiques d'on ne sait quelles cités d’épouvante. Stupéfaits d admiration, nous avançons à travers les roches prodigieuses. Malgré moi, les noms de ceux qui ont réalisé dans leurs œuvres le sublime : Michel-Ange, Dante, Bossuet, se présentent à ma mémoire. Les pensées souveraines de la mort, du jugement universel, de l’enfer éternel et du ciel sans fin, offrent à mon souvenir leurs conceptions suprêmes... C’est sous l'empire de ces écrasantes sensations, ainsi que de ces idées grandioses, que nous arrivons tout au fond de la Vallée de la Mort. Une sorte d’esplanade, dominée par les formidables murailles de l'Assassif, termine le défilé. C'est ici et dans les ravins qui s’enfoncent de toutes parts dans la montagne, que sont creusés les hypogées des Pharaons thébains.
Les tombeaux de l'Égypte - il n'est pas inutile de le redire -, furent, à la fois, des monuments de mort ou lieux de sépulture, et - la doctrine égyptienne en fait foi -, des asiles pour la survie. Sépulture et asile : tel est donc le double caractère du tombeau égyptien."


extrait de Terre d'Égypte, 1922, par l'abbé Albert Denis qui, participant à "l'expédition militaire de Palestine-Syrie", profita de ses permissions pour visiter l'Égypte. "Ce fut pour lui à la fois une révélation et un éblouissement."

lundi 9 décembre 2019

"Les ruines célèbres de Karnak, sous la magie de la pleine lune, dans la solennité de la nuit", par Albert Denis

Moonlight at Karnak, by Robert George Talbot Kelly
 "C'est maintenant la nuit qui va tomber brusquement. Le propylône ptolémaïque, devant lequel nous nous retrouvons, voit son profil flamboyer sous l’ardeur du couchant. Nous reprenons, en sens inverse, l’Avenue des Sphinx dont les regards posent, dans mon regard, leur énigme émouvante et millénaire. La brise du soir, qui s’élève du Nil, met un peu de fraîcheur sur mon front alourdi et fiévreux...
J'ai voulu revoir les ruines célèbres, sous la magie de la pleine lune, dans la solennité de la nuit. Monté sur la terrasse du temple de Thoutmôsis III qui permet de plonger le regard sur la cour divine, voici que les obélisques dont la cime "perce le ciel", et dont le revêtement d’électrum a disparu, apparaissent étincelants comme des colonnes d’argent pur.

La fête nocturne commence. Féerie de la lumière ! Les seize statues de Cyrus sourient mystérieusement, ou semblent plongées dans l’extase ineffable. Au fond de la cour, qui s’étend plus vaste que jamais, l’écroulement des pierres monumentales apparaît, pareil à une vision d’Apocalypse, dans un fantastique bouleversement. Les colonnes hautaines de la salle hypostyle s’élèvent plus formidables que jamais. Et là bas, dans un lointain de rêve, les parois des majestueux pylônes ferment la perspective, pareils à de prodigieuses murailles de platine massif. L'impression produite est inoubliable.
Nous descendons des hauteurs du sanctuaire du grand conquérant diospolitain, et nous entrons dans la salle hypostyle. Les jeux de la blanche lumière et des ombres précises donnent, à ce lieu unique, un étrange aspect. On dirait que les bas-reliefs géants s’animent... les dieux et les rois de pierre des colonnes et des parois apparaissent doués d’une vie irréelle... Suis-je en ce moment sur terre ; ou suis-je transporté dans une cité de rêve, dont mes yeux contemplent la troublante vision dont la splendeur accable ?

Il est bien appréciable, à la suite des impressions grandioses ressenties à Karnak, de faire succéder des sensations d’art plus douces, plus mesurées et plus intimes. L’exploration du temple gracieux de Deir-el-Medineh et de l’hypogée d’Amenothep III, suivie de celle de la Vallée mortuaire et mélancolique des Reines, que terminera la visite de la Vallée funéraire des Rois, suivie de celle du palais de Medinet-Habou, sur la rive gauche, va me fournir agréable transition."


extrait de Terre d'Égypte, 1922, par l'abbé Albert Denis qui, participant à "l'expédition militaire de Palestine-Syrie", profita de ses permissions pour visiter l'Égypte. "Ce fut pour lui à la fois une révélation et un éblouissement."

L'arrivée à Louqsor et premières impressions, par Albert Denis

tableau de David Roberts
 "Vingt-trois heures arrivent. Le convoi ralentit sa marche, puis s’arrête : c’est Louqsor. Me voici dans la patrie des dieux et des rois. Je savoure intérieurement cette minute mémorable. Puis, une voiture me conduit à Louqsor-Hôtel, où je reçois une hospitalité aux traditions internationales d'élégance discrète et raffinée.
Égale, sur ce point, à la Rome majestueuse, dont le ciel rayonnant met dans une chaude lumière, l'auguste splendeur des ruines ; pareille à la Grèce harmonieuse, dont la lumière violette baigne, en les spiritualisant, les restes des marbres dorés de l'Acropole : telle s'offre au regard de l'âme, sous l'éblouissement de son soleil, cette terre prestigieuse sur laquelle s'éleva la cité célèbre où palpita plus particulièrement l'âme de l'Égypte du Moyen-Empire.
Essayons d'évoquer et de faire revivre la cité thébaine, avant de faire l'exploration de ce qui subsiste encore d'elle : c'est-à-dire ses temples colossaux et ses émouvants hypogées.

Sur les deux rives du Nil, aux quais  et aux escaliers de granit et de brique, s'étendait la cité prodigieuse.
Le voyageur qui, pour la première fois, tel, par exemple, le trafiquant phénicien, venu des lointains de la Grande Mer sur sa barque en bois de cèdre, à la voile carrée et multicolore, remontait le cours du Nil et arrivait en vue de Thèbes, ne pouvait qu'être impressionné par le panorama immense de la cité."

extrait de Terre d'Égypte, 1922, par
l'abbé Albert Denis qui, participant à "l'expédition militaire de Palestine-Syrie", profita de ses permissions pour visiter l'Égypte. "Ce fut pour lui à la fois une révélation et un éblouissement."