vendredi 7 février 2020

Après Karnak, "il me restait à contempler, avec la Vallée des Rois, l'œuvre formidable de la nature" (Albert Denis)

La Vallée des Rois, par Antonio Beato (1835 ? - 1906)

"Avec Karnak, j'avais été vivement impressionné par la splendeur colossale des temples. En présence des efforts de l’homme pour magnifier, par la pierre, la gloire de ses dieux ; devant  cet ensemble prodigieux d’édifices et de statues, qui demanda deux millénaires d'activité architecturale et artistique, je pensais que rien de plus grandiose ne pourrait s’offrir désormais à ma pensée et à ma sensibilité. Je me trompais. Auprès de l'effort colossal humain que Karnak représente, il me restait à contempler, avec la Vallée des Rois, l'œuvre formidable de la nature.
De quelles expressions se servir pour décrire la majesté effrayante de ce défilé de la montagne libyque ? C’est ici le cadre sublime, où s'appellent et se pénètrent ces deux choses suprêmes qui sont le Silence et la Mort. De quelle grandiose horreur avez-vous su entourer votre Nécropole, ô Pharaons, qui, pendant votre vie terrestre, avez voulu être plus que des hommes, et dans vos hypogées, plus que des morts... 
Dominé par une impression profonde, et pénétré par une émotion qui exalte l’âme, nous chevauchons maintenant dans la Vallée funéraire. Tout y est stérile et morne. C’est ici le royaume de la matière inerte. Aucun vestige de vie ne vient rompre l'aspect désolé des roches torréfiées par un soleil de feu. Les parois fauves ou rougeâtres de la Vallée, s’enveloppent d’une teinte d’améthyste qui étend, sur les tons excessifs et chauds de ses silex et de ses calcaires, un voile transparent d’idéalité, comme pour tempérer, pour atténuer, la brutalité effroyable de ses aspects et de ses lignes. Tantôt, en effet, se détachant presque de la paroi qui les retient encore par on ne sait quel impossible équilibre, de gigantesques roches, aux formes tourmentées, semblent attendre votre passage pour vous écraser sous leur masse formidable. Tantôt, ce sont des parois sinistres, dont la régularité, imaginée et réalisée par un effort de titans, paraissent être, couronnant les sommets prodigieux, les remparts fantastiques d'on ne sait quelles cités d’épouvante. Stupéfaits d admiration, nous avançons à travers les roches prodigieuses. Malgré moi, les noms de ceux qui ont réalisé dans leurs œuvres le sublime : Michel-Ange, Dante, Bossuet, se présentent à ma mémoire. Les pensées souveraines de la mort, du jugement universel, de l’enfer éternel et du ciel sans fin, offrent à mon souvenir leurs conceptions suprêmes... C’est sous l'empire de ces écrasantes sensations, ainsi que de ces idées grandioses, que nous arrivons tout au fond de la Vallée de la Mort. Une sorte d’esplanade, dominée par les formidables murailles de l'Assassif, termine le défilé. C'est ici et dans les ravins qui s’enfoncent de toutes parts dans la montagne, que sont creusés les hypogées des Pharaons thébains.
Les tombeaux de l'Égypte - il n'est pas inutile de le redire -, furent, à la fois, des monuments de mort ou lieux de sépulture, et - la doctrine égyptienne en fait foi -, des asiles pour la survie. Sépulture et asile : tel est donc le double caractère du tombeau égyptien."


extrait de Terre d'Égypte, 1922, par l'abbé Albert Denis qui, participant à "l'expédition militaire de Palestine-Syrie", profita de ses permissions pour visiter l'Égypte. "Ce fut pour lui à la fois une révélation et un éblouissement."

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