Affichage des articles dont le libellé est Valette (Maurice). Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Valette (Maurice). Afficher tous les articles

vendredi 1 juillet 2022

Étrange rapprochement entre la statuaire égyptienne et le dernier des "Mohicans", selon Maurice Valette

 Musée du Louvre / Christian Décamps

"Les préoccupations des artistes égyptiens, en fait de dessin de la figure humaine, ne vont guère au delà de l'épiderme ; ils s'en tiennent aux lignes générales, aux contours principaux du corps et ne s'attachent pas à rendre le jeu des muscles et des veines, qui varie suivant les diverses positions des membres et du tronc. Cela s'explique chez un peuple où il était de règle fondamentale que celui qui touchait à un cadavre était impur. Les gens chargés des embaumements s'enfuyaient, leur besogne faite, de crainte d'être lapidés. En cet état de choses, la médecine et la chirurgie, pas plus que la sculpture et la peinture, ne pouvaient faire beaucoup de progrès ; tous ces arts étaient condamnés dès le berceau. Et pourtant, l'anatomie est l'âme du dessin ! C'est elle qui donne la clef des plus secrets rouages qui produisent le mouvement, la vie, et priver de son secours l'homme dont l'étude a pour objet le corps humain, c'est entraver, paralyser fatalement la marche des sciences et des arts !
Ce fut le cas des Égyptiens. Ce qui frappe dans leurs statues, c'est la direction uniforme, voulue, des lignes qui contournent d'une façon monotone, sans mouvement et sans grâce, des corps aux membres épais et lourds. Il est rare de rencontrer de l'élégance et de la finesse dans les attaches des mains et des pieds, signe des races d'élite, et moins encore dans les traits du visage des figures égyptiennes, lesquels sont en général écrasés, durs et peu soigneusement exécutés ou fouillés.
Tout cela est sommaire, alors que l'habileté de l'artiste à traiter ces détails passe partout ailleurs pour l'indice le plus certain du degré de perfection où il est parvenu dans son art. Oui, c'est dans le modelé des fines parties de la tête et de l'extrémité des membres qu'il se plaît à montrer sa dextérité, son habileté de main, et ce sont ces parties aussi, il faut le dire, qui appellent tout d'abord l'attention et valent au sculpteur et au peintre un tribut d'éloges proportionné aux qualités dont il fait preuve. Chez les Égyptiens, dis-je, rien de pareil. Leurs têtes, presque toutes modelées uniformément d'après un même type, ayant le même air, n'offrent ni traits fins et délicats, ni expressions nobles et belles : un sourire calme, béat, leur donne je ne sais quelle expression tranquille, mélancolique, d'un sens quasi mystérieux, mais qui, à force d'être répété, finit par causer de l'ennui. Quant au dessin des pieds et des mains, il n'est guère plus varié dans son exécution que le reste, c'est-à-dire que les attitudes compassées des personnages et l'air froid, sans accent, de leur physionomie.
Prenons pour exemple une statue de prêtre égyptien du Louvre. Ce personnage est à genoux, accroupi en arrière sur ses talons, les bras allongés et comme soudés le long des cuisses ; il tient sa tête droite, fixe, et regarde au loin en avant, d'un air vague et avec des yeux presque à fleur de sourcils. Ce regard, quelque peu hébété, ne s'accorde pas trop mal avec le sourire calme, silencieux, rappelant, si je ne me trompe, celui de Bas-de-cuir, des "Mohicans", qu'on rencontre dans la plupart des statues égyptiennes. Celle-ci nous donne l'idée la plus exacte de l'état de la sculpture à Memphis, sous les rois des premières dynasties. On y retrouve toutes les qualités de l'ancien style : la coiffure lourde qui enveloppe en totalité les cheveux, suffit d'ailleurs à le prouver. Quant aux proportions d'ensemble de la figure, elles 
sont exactes, et les indications des os et des muscles, quoique superficielles, sont assez justes. En général, dans les statues de ce style, les pieds sont larges et écrasés ; les détails des doigts ne se remarquent ni aux mains, ni aux pieds, et les ongles sont indiqués par un simple trait. Dans la statue de prêtre qui nous occupe, le caractère national du type se montre particulièrement dans le visage et dans l'élévation des oreilles. Cet ouvrage est, du reste, d'une parfaite conservation et taillé dans une pierre jaunâtre, fort dure, qui est le saxum arenaceum de Wad. Les hiéroglyphes qui couvrent la plinthe et le pilastre contre lequel la figure est adossée, sont traités avec assez de finesse pour une pierre aussi dure et d'un grain aussi grossier. Cette statue, dis-je, est de l'ancien style."

extrait de Les Révolutions de l'Art, 1890, par Maurice Valette, critique d'art