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mercredi 5 avril 2023

"Le surnom de "Veilleur du Désert" convient mieux au grand Sphinx de Gizeh" (Charles Lallemand, XIXe s.)

photo MC


"Les Arabes ne voient en lui qu'une image placée sur le bord de ce désert redouté, d'où vient le Khamsin soufflant la soif et la mort, ensevelissant des caravanes entières sous les tourbillons de ses sables brûlants… Et ils l'ont appelé Abou'-l-hôl, le père de l'épouvante.
Le surnom de "Veilleur du Désert" convient mieux au grand Sphinx de Gizeh, qui montre sa grosse tête balafrée au-dessus des amoncellements des sables qui l'environnent, non loin de la pyramide de Chephren.
Symbole de la toute puissance physique par son corps de lion, symbole de la plus haute force intellectuelle par sa tête humaine ornée de la coiffure royale, le grand Sphinx regardait fixement le soleil levant.
C'est bien "regardait" qu'il faut dire : car ses pauvres yeux, crevés par des artilleurs mamelouks auxquels sa tête servait de cible, ne regardent plus ! De cet acte de vandalisme qui remonte à un siècle, proviennent les déchirures que l'on voit sur cette colossale face de pierre, haute de neuf mètres, que les boulets de ces imbéciles n'ont pu décoller.
Ceux qui ont vu jadis la tête magnifique de ce dieu bienveillant, se sont accordé à écrire que sa bouche exprimait l'ineffable bonté et que son regard était d'une grande douceur.
Les Pharaons passaient pour être, sur terre, l'incarnation du dieu solaire ; et ils avaient choisi les sphinx, emblèmes de la force dirigée par l'intelligence, pour représenter allégoriquement la nature divine de leur être.
Image d'un dieu puissant, le grand sphinx était appelé Harmakhis par les Grecs - ce qui était une corruption du nom égyptien Hor-em-khou, qui signifie "Horus dans le soleil, ou sur l'horizon", le Sphinx faisant face, en effet, au Soleil levant, lumière qui triomphe de l'obscurité, âme qui triomphe de la mort, fertilité qui triomphe de la stérilité.
Harmakhis, au milieu des tombes, est la résurrection pour les morts ! Harmakhis, sur la lisière des terres fertiles et des sables inféconds, arrête la stérilité et protège les champs cultivés contre les envahissements du désert.
Je l'aime ainsi, le Colosse assis dans les sables mouvants, souriant aux plaines superbes que le Nil féconde et qui s'étalent à ses pieds. Je l'aime, ce colosse haut de vingt mètres, long de près de soixante, taillé tout d'une pièce dans le roc vif, tranquille, indestructible, tournant le dos au désert dont les tourmentes couvrent sans cesse d'un linceul de sable l'immense ville des morts... pour la conserver, saisissante antithèse !
Du temps de Chéops, un rocher s'élevait sur la terrasse de la nécropole de Gizéh. Le pharaon décida que la grande pierre "deviendrait dieu". Chephren, le constructeur de la seconde pyramide, acheva l'œuvre de son prédécesseur et la statue cyclopéenne s'orienta vers le Nil.
Dès l'an 1500 avant J.-C., il fallut dégager le Sphinx des sables qui le recouvraient. Plus tard, Thoutmès IV, qui chassait souvent la gazelle dans ces parages, ne manquait jamais de rendre hommage à Harmakhis, lorsque le train de ses lévriers l'amenait près des pyramides. Un jour, il s'endormit à l'ombre du grand Sphinx et, dans un rêve, il entendit le divin colosse qui lui parlait de sa propre bouche, "comme si un père eût parlé à son enfant". Il lui ordonna de déblayer les sables qui recouvraient son image, déjà presqu'ensevelie. Thoutmès obéit ; et, pour fixer le souvenir de ce rêve, ainsi que celui du déblaiement qui s'ensuivit, le pharaon fit graver une grande stèle commémorative en granit, qui existe encore aujourd'hui et que chacun peut consulter... s'il comprend quelque chose aux hiéroglyphes."


extrait de Le Caire, de Charles Lallemand (1826-1904), écrivain, peintre dessinateur et illustrateur

lundi 13 janvier 2020

"Rien de pareil n’avait encore frappé nos yeux" (Charles Lallemand, à propos de la mosquée Bordeini, au Caire)

mihrab et minbar de la mosquée Bordeini (photo de Courtellemont)


"Tomber sur une merveille inconnue que les Guides ne mentionnent pas et que les touristes ne visitent jamais... suprême joie ! Nous la devons à l'horreur que les cicérones gluants et glapissants, qui assaillent l'étranger, inspirent à Courtellemont. (...)
Par une de ces courses à l’aventure dans les ruelles pittoresques voisines du boulevard Mehemet-Ali, le hasard... excellent hasard ! nous conduisit devant une mosquée toute petite ; si petite qu’elle est à peine marquée sur le plan que nous avions à la main par une minuscule tache noire... imperceptible à l’œil nu. La porte de la mosquée Bordéini était fermée.
Courtellemont avisa, dans la troupe des enfants qui nous suivaient dans ces quartiers écartés, une petite fille à mine éveillée et la pria d’aller chercher le gardien. Une pièce de monnaie la décida et elle prit sa course vers le fond de la ruelle : sa robe rouge flottante lui faisant des ailes d'ibis.
Elle revint bientôt. Derrière elle un jeune homme vêtu d’un cafetan de soie s’avançait lentement, comme il sied à un musulman qui se respecte, à un homme de mosquée surtout, une énorme clé passée dans sa ceinture.
Il nous aborda avec un sourire plein de dignité, tourna la grosse clé dans la serrure massive avec un grincement de ferraille, poussa la porte et nous pria d'entrer.
Ô surprise ! Rien de pareil n’avait encore frappé nos yeux... rien d’aussi coquet, d'aussi distingué, d'aussi complet... le richissime oratoire attenant à quelque demeure princière, le somptueux atelier de quelque artiste en renom ?
Une salle unique de cinq à six mètres de côté.
Le sol sur lequel on marche est couvert de tapis anciens. Le mihrab attire tout de suite l'attention, mosaïque en matériaux précieux : cubes de nacre, d'or, de lapis, de malachite et de marbre noir, rose et blanc... une splendeur ! La demi-coupole de la niche et son ogive sont en marqueterie de marbres de plusieurs couleurs, d'une composition à la fois élégante et vigoureuse. Au-dessus, à toucher la jolie frise qui court sous le plafond, une grande rosace, également en marqueterie.
Puis la chaire à prêcher, un pur chef-d'œuvre d'incrustation d'ivoire et de nacre, (brillant) sur le fond sombre des
boiseries.
Sur les rampes de l'escalier saint, sur les montants qui supportent la chaire, toute une collection de panneaux précieux.
Sous les rampes, les tympans triangulaires sont couverts de rosaces dont les nervures gracieuses encadrent cent motifs délicieux, où l'ivoire et la nacre s’associent amoureusement.
Le dais de la chaire est en belles stalactites, au-dessus desquelles règne une gracieuse galerie ajourée. Un ovoïde hiératique, aux pans couverts d'incrustation, domine le dais ; il se termine en un fuseau délié que surmonte le croissant doré.
Et la porte de l'escalier de la chaire ?... idéal de savante ébénisterie, avec encorbellement de stalactites, couronnée royalement par une crête fleurdelisée.
Ce magnifique morceau est terminé, vers le sol, par une plinthe sur laquelle se développe une double grecque, dans les entrelacs de laquelle on découvre vingt motifs d'incrustations, plus intéressants les uns que les autres.
L'édicule exquis repose sur un socle composé de marbres divers.
Les parois latérales de cette salle incomparable sont occupées jusqu'à auteur d'homme par des mosaïques de marbres aux riches dessins et aux chaudes colorations.
Au-dessus de cette cimaise magistrale, règnent de larges bandes, qui furent blanches et rouges, mais que le temps, ce grand magicien des harmonies, a éteintes délicieusement. 
Les solives du plafond, apparentes, sont sculptées, peintes et dorées. Leur harmonie est celle des vieux châles de l'Inde. Également dorée, peinte et sculptée sur toutes les coutures, la tribune qui règne au-dessus de l'entrée.
Le jour traverse des vitraux arabes, sur lesquels se silhouettent d'adorables floraisons persanes, et enveloppe cet ensemble séduisant d'une lumière douce et discrète qui pousse à la rêverie, invite au farniente et suggère la contemplation."

extrait de Le Caire, de Charles Lallemand (1826-1904), écrivain, peintre dessinateur et illustrateur ; photos de Jules Gervais-Courtellemont

dimanche 22 décembre 2019

"Les Pyramides commandent la vénération, encore plus que l'admiration" (Charles Lallemand)

photo extraite de l'ouvrage de Ch. Lallemand
 "L'Égypte est le "pays des Pyramides"; le Caire est la "ville des Pyramides".
Les Pyramides sont comme la signature historique et nationale de cette contrée d'où la lumière, la civilisation, les lettres et les arts ont pris leur essor, pour rayonner sur le monde entier, en passant par la Grèce. À ce tire, les Pyramides commandent la vénération, encore plus que l'admiration.
Expression colossale de ce qui a pu sortir des mains des hommes, elles sont là depuis cinquante ou soixante siècles, inrenversables ; et elles diront bien encore à cinquante ou soixante autres siècles que l'Égypte fut le berceau des civilisations du vieux monde, et que les populations riveraines du Nil ont pu édifier en ces temps reculés des constructions gigantesques, "merveilles du monde". Merveilles d'architecture surtout, si, sans s'attacher à la prodigieuse accumulation des matériaux, l'on considère, pour admirer sans réserves, la conception de l'intérieur de l'édifice, conception qui permet de ranger l'architecte de la pyramide de Chéops parmi les plus grands artistes de n'importe quel temps.
Les "savants d'à côté", comme il y en aura toujours, n’ont pas manqué d'attribuer aux Pyramides les destinations les plus variées : astronomique, météorologique ou climatérique. Il en est qui ont poussé la fantaisie jusqu à voir dans ces édifices le suprême refuge de la race humaine pour le cas de quelque nouveau déluge universel.
Les constatations scientifiques indiscutables qui ont eu raison de ces chimères, d'accord en cela avec les auteurs anciens, permettent d'affirmer une fois pour toutes, que les Pyramides sont des constructions tumulaires royales, remontant aux premières dynasties pharaoniques. Tumulaires, puisque les sarcophages y ont été retrouvés ; royales, parce que l'on connaît le nom des monarques qui y avaient été ensevelis et que, du reste, les tombes royales pouvaient, seules, être terminées en pointe. Hérodote, le père de l'histoire, qui a visité Les Pyramides quatre siècles et demi avant J.-C., alors qu’elles portaient encore des revêtements couverts d'inscriptions, nous a transmis les noms des rois qui les ont construites. Ces renseignements concordent avec ceux d'autres écrivains, comme Eratosthène et Diodore, et aussi avec les découvertes modernes, qui ont montré le nom de Chéops écrit dans l’une des chambres supérieures.

Il est donc avéré que les trois grandes Pyramides de Gizèh ont été construites par Chéops, Chephren et Mikérinus, dont les noms sont écrits Khoufou, Khafra et Menkéra, dans les inscriptions.
On connaît, entre le Delta et Fayoum, sur un parcours d'environ 75 kilomètres, plus de 80 Pyramides mais lorsqu'il est question des "Pyramides d'Égypte", on entend surtout parler des trois Pyramides de GizÈh, qui sont les plus grandes, les mieux conservées et les plus commodes à visiter, étant à peine à 12 kilomètres du Caire, auquel elles sont reliées par une fort belle route.
Vues de loin, de la citadelle du Caire ou des rivages du Nil, silhouettes dorées, empourprées, roses ou grises, selon l'heure du jour et l'éclat de la lumière, les Pyramides font aux paysages verdoyants de l'immense vallée un horizon dentelé, délicieusement original.
Et, sur la grande route qui mène en ligne droite du Nil à Gizèh, quand elles apparaissent encadrées par les branches des arbres ou reflétées dans quelque vaste mare laissée par l’inondation retirée, elles s’arrangent en des motifs gracieux et pittoresques.
De plus près, en bas de la côte, on éprouve quelque déception. Le défaut d'échelle ne permet pas une juste appréciation, et la masse rocheuse sur laquelle elles sont établies, leur fait, au point de vue du volume, une visible concurrence. Mais aussitôt que l’on parvient sur le plateau, on se sent empoigné et comme écrasé par leurs proportions colossales, par ces masses énormes, auprès desquelles les Bédouins groupés contre les assises inférieures apparaissent comme des fourmis au pied d'un gros chêne. On a alors le sentiment du volume prodigieux de ces édifices étonnants, de leur âge extraordinaire, et aussi de leur indestructibilité. On a devant les yeux des œuvres humaines qui dureront autant que les montagnes."

extrait de Le Caire, de Charles Lallemand (1826-1904), écrivain, peintre dessinateur et illustrateur