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mardi 9 février 2021

"La peinture égyptienne tenait moins de la peinture, comme nous la comprenons, que du décor" (Émile Prisse d'Avennes)

illustration extraite de : 
Histoire de l'art égyptien d'après les monuments, depuis les temps les plus reculés jusqu'à la domination romaine
par Prisse d'Avennes


"C'est avec raison que les anciens Égyptiens revendiquaient l'honneur d'être les inventeurs de la peinture, et qu'ils soutenaient qu'ils l'avaient pratiquée, sinon six mille ans, au moins un très long espace d'années avant les Grecs : et qu'on veuille bien le remarquer, cette prétention, si audacieuse qu'elle paraisse, se justifie pleinement quand on s'aperçoit que, chez ce peuple, aucun objet n'était considéré comme fini en l'absence de l'application des couleurs ; il suffit de citer comme preuve, à l'appui de cette particularité, ce seul fait que les hiéroglyphes des obélisques et des autres monuments de pierre dure, quoique sculptés, subissaient eux-mêmes un coloriage.
La coloration des édifices de cette nation était tellement le résultat d'une étude attentive et constante, que nulle part, l'union harmonieuse des couleurs n'est frappante comme dans les monuments de l'Égypte ; on doit donc regarder comme blâmable l'assertion de Pétrone, lorsqu'il assure que, chez les Égyptiens, en inventant des règles matérielles propres à rendre l'apprentissage de cet art moins long, et sa pratique plus facile, on nuisit beaucoup aux progrès de l'art, et l'on ne forma que de mauvais peintres.
Il suffit, pour réfuter une affirmation aussi regrettable, de rappeler que la méthode habile, au moyen de laquelle les artistes égyptiens savaient faire pénétrer la couleur dans la masse des substances fondues, est restée depuis inconnue, et se trouve encore un des desiderata de la science moderne. En outre, leur genre de peinture à teintes plates, ni fondues ni dégradées, sans ombres ni lumières, malgré l'étonnement qu'il provoque au premier aspect, a un mérite incontestable pour la décoration monumentale : en y réfléchissant, on s'aperçoit que ce système est celui qui convient le mieux pour les peintures murales, celui qu'il serait encore préférable d'adopter aujourd'hui, quoique avec de légères modifications, pour décorer nos monuments publics ; surtout si l'on tient à éviter de laisser paraître, à la paroi des murs, les trous qui sont le résultat forcé des fuites de la perspective et de la vigueur des ombres.
À en juger par un groupe des hypogées de Beni-Haçen qui représente deux artistes occupés à peindre un même panneau ou un meuble, les Égyptiens devaient avoir des tableaux, bien qu'aucun d'eux ne soit parvenu jusqu'à nous. On s'aperçoit, en effet, que ces peintres tiennent leur pinceau d'une main et un godet de l'autre ; cependant, quoique le panneau soit vertical, ils ne se servent pas de baguette pour soutenir la main. On sait, aussi, qu'au dire d'Hérodote, Amasis, qui régnait sur l'Égypte 570 ans avant l'ère chrétienne, envoya son portrait aux habitants
de Cyrène ; mais on ignore si ce tableau était peint par un artiste égyptien.
Du reste, tous les portraits de pharaons ont dû être ressemblants, car on les retrouve, traits pour traits, sur des monuments fort distants les uns des autres, et l'on peut, quelquefois, suivre sur ces divers édifices, élevés à maintes années d'intervalle, les progrès de l'âge chez le roi qu'ils représentent. Tous ces portraits étaient de profil : les seuls de face qu'on connaisse sont peints sur bois, et, évidemment, l'oeuvre d'artistes grecs.
Chez les anciens Égyptiens, le même mot signifie écrire et peindre. Ce double sens témoigne assez qu'ils ne considéraient la peinture que comme une écriture amplifiée ou un brillant annexe des inscriptions hiéroglyphiques. N'oublions pas que les Grecs, cependant déjà bien éloignés de l'origine des choses, prétendaient, également, que la peinture n'était qu'une écriture développée ; chez eux aussi, écrire et peindre s'exprimaient par un seul mot.
D'un autre côté, on voit que toutes les peintures des peuples dits primitifs, tels que les Chinois, les Indiens, les Perses et les Étrusques, ne se composent que d'un contour, tracé à l'encre sur une face lisse, ou buriné sur la pierre, à la façon d'un bas-relief dans lequel on appliquait des couleurs monochromes, sans s'attacher à donner aux objets, ni leurs teintes naturelles, ni le jeu d'ombre, de lumière et de reflets qui résultent de leur saillie, non plus que l'air, l'espace et la perspective qu'ils exigent ; il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les Égyptiens n'aient fait aussi que colorier des dessins élémentaires.
La peinture égyptienne n'est, en effet, qu'une enluminure sans ombres ni lumières, et qui tenait moins de la peinture, comme nous la comprenons, que du décor. Tous leurs tableaux étaient faits par teintes plates monochromes, étendues entre des traits rigoureusement accusés, comme celui qui cerne les figures des vases grecs. Les artistes égyptiens ne se départirent jamais de ce système primordial et ne l'améliorèrent à aucune époque, soit par le mélange des couleurs, soit par quelques légères ombres ; un un mot, ils n'y firent jamais de progrès depuis les temps les plus reculés (c'est-à-dire l'âge des pyramides), jusqu'à la décadence de la longue monarchie des pharaons.
Il est facile de s'en assurer par le tombeau du plus ancien architecte que nous connaissions, celui d'Eimaï, constructeur de la grande pyramide, entièrement peint à l'intérieur, ainsi que par plusieurs tombeaux de la même époque situés dans la nécropole de Memphis, aussi bien que par les autres beaux spécimens de la peinture de l'ancien empire qui se trouvent sur les parois des hypogées de Bercheh et de Beni-Haçen ; et, en les comparant, de reconnaître qu'aucunes des peintures, qu'on admire dans les tombeaux du nouvel empire, ne leur sont supérieures, et que, malgré l'adoption de quelques couleurs, peut-être plus brillantes, le faire artistique est bien resté constamment le même, c'est-à-dire figurant une sorte de coloriage fait par teintes plates, comprises entre des lignes de dessin rarement irréprochables ; mais souvent belles, néanmoins, de grâce et de hardiesse."


extrait de Histoire de l'art égyptien d'après les monuments depuis les temps les plus reculés jusqu'à la domination romaine, par Émile Prisse d'Avennes (1807-1879), dessinateur, publiciste, explorateur français, membre de l'Institut égyptien.

samedi 20 octobre 2018

"Chez les Égyptiens, l'écriture tua l'art" (Émile Prisse d'Avennes)

Tombe de Néfertari, détail après restauration
"Il est indubitable que les artistes égyptiens doivent nous apparaître comme ayant adopté, dès leurs premiers pas, dans leurs tentatives artistiques, un canon des proportions pour parvenir à dessiner, d'une manière toujours absolument la même, l'ensemble et les différentes parties de la figure humaine ; parce qu'après avoir choisi, de préférence, des représentations figurées ou plutôt des hiéroglyphes (car c'est bien certainement à cette cause qu'il faut attribuer la dénomination de "emblèmes sacrés" choisie par les Grecs pour désigner ces images parlantes), pour la formule permanente des idées, ils ont dû déterminer des formes et arrêter des contours, bien avant qu'aucune pensée préconçue d'art leur eût appris à rendre la nature avec le sentiment de la vérité ; et ces formes typiques, une fois admises, il leur eût été, malheureusement, difficile, sinon impossible, de les changer sans se rendre, de parti pris, inintelligibles.
Ceci explique pourquoi toutes les tentatives de profiler le corps humain, selon les lois de l'optique, quoiqu'elles se soient renouvelées à toutes les époques, ne parvinrent jamais à être adoptées. Aussi ne craignons-nous pas de l'affirmer : chez les Égyptiens, l'écriture tua l'art.
Alors la manière de représenter les corps et leurs mouvements, admise par eux dans l'enfance de la société, se trouva consacrée et dut rester constamment la même : de là viennent ces têtes de profil, représentées avec des yeux de face, et ayant, également, les épaules et la poitrine de face ; tandis que, d'autre part, les jambes et les hanches sont placées de côté : enfin, chose plus étrange encore, les mains sont, souvent, ou toutes les deux droites, ou toutes les deux gauches.
Il leur fallut, probablement, de longs et laborieux tâtonnements avant d'arriver, définitivement, à la délimitation et à la formule de cette proportionnalité ; cependant nous n'en sommes pas moins forcé de reconnaître que si leurs monuments n'ont gardé aucune trace de toutes leurs tentatives, non plus que de leurs premiers essais, ils nous offrent, déjà, dès l'époque des pyramides, l'art du dessin parvenu à l'apogée qu'il lui était donné d'atteindre, dans ces conditions, au milieu d'un peuple qui n'avait voulu faire, de la sculpture ou de la peinture, autre chose qu'un moyen spécial d'exprimer sa pensée et de la rendre, pour ainsi dire, tangible.
Il y a, également, une autre conséquence à déduire de ces données particulières, c'est que l'art, qui devait en être le produit, ne pouvait qu'être purement réaliste, s'attachant surtout à reproduire l'aspect brut de la vérité naturelle, sans aucune recherche de cet idéal apparent auquel il est quelquefois, quoique bien involontairement, parvenu, par suite de la grandeur imposante et de la simplicité des lignes.
Mais, ce qu'il est nécessaire d'observer, tout spécialement, et de reconnaître, c'est que, tout en parlant aux yeux, les artistes égyptiens n'ont jamais tenté de leur faire illusion ; et que l'étude des formes naturelles ne fut pour eux qu'un moyen d'arriver à plus de précision dans la silhouette, dans l'ensemble : On ne les voit s'immiscer que très rarement dans les détails.
L'art du dessin, en Égypte, fut donc, tout d'abord, l'art d'écrire ; puisqu'il ne cessa jamais de s'exprimer hiéroglyphiquement. Toutes les compositions égyptiennes se ressentent de cette manière d'envisager la plastique : Partout la représentation des principaux personnages domine le reste du tableau ; les accessoires, hommes ou animaux, n'y apparaissent qu'en raison de leur importance officielle et de l'intérêt qu'ils doivent inspirer." 




extrait de Histoire de l'art égyptien d'après les monuments, par Émile Prisse d'Avennes (1807-1879), explorateur et égyptologue français ; texte par P. Marchandon de la Faye