samedi 20 octobre 2018

"Chez les Égyptiens, l'écriture tua l'art" (Émile Prisse d'Avennes)

Tombe de Néfertari, détail après restauration
"Il est indubitable que les artistes égyptiens doivent nous apparaître comme ayant adopté, dès leurs premiers pas, dans leurs tentatives artistiques, un canon des proportions pour parvenir à dessiner, d'une manière toujours absolument la même, l'ensemble et les différentes parties de la figure humaine ; parce qu'après avoir choisi, de préférence, des représentations figurées ou plutôt des hiéroglyphes (car c'est bien certainement à cette cause qu'il faut attribuer la dénomination de "emblèmes sacrés" choisie par les Grecs pour désigner ces images parlantes), pour la formule permanente des idées, ils ont dû déterminer des formes et arrêter des contours, bien avant qu'aucune pensée préconçue d'art leur eût appris à rendre la nature avec le sentiment de la vérité ; et ces formes typiques, une fois admises, il leur eût été, malheureusement, difficile, sinon impossible, de les changer sans se rendre, de parti pris, inintelligibles.
Ceci explique pourquoi toutes les tentatives de profiler le corps humain, selon les lois de l'optique, quoiqu'elles se soient renouvelées à toutes les époques, ne parvinrent jamais à être adoptées. Aussi ne craignons-nous pas de l'affirmer : chez les Égyptiens, l'écriture tua l'art.
Alors la manière de représenter les corps et leurs mouvements, admise par eux dans l'enfance de la société, se trouva consacrée et dut rester constamment la même : de là viennent ces têtes de profil, représentées avec des yeux de face, et ayant, également, les épaules et la poitrine de face ; tandis que, d'autre part, les jambes et les hanches sont placées de côté : enfin, chose plus étrange encore, les mains sont, souvent, ou toutes les deux droites, ou toutes les deux gauches.
Il leur fallut, probablement, de longs et laborieux tâtonnements avant d'arriver, définitivement, à la délimitation et à la formule de cette proportionnalité ; cependant nous n'en sommes pas moins forcé de reconnaître que si leurs monuments n'ont gardé aucune trace de toutes leurs tentatives, non plus que de leurs premiers essais, ils nous offrent, déjà, dès l'époque des pyramides, l'art du dessin parvenu à l'apogée qu'il lui était donné d'atteindre, dans ces conditions, au milieu d'un peuple qui n'avait voulu faire, de la sculpture ou de la peinture, autre chose qu'un moyen spécial d'exprimer sa pensée et de la rendre, pour ainsi dire, tangible.
Il y a, également, une autre conséquence à déduire de ces données particulières, c'est que l'art, qui devait en être le produit, ne pouvait qu'être purement réaliste, s'attachant surtout à reproduire l'aspect brut de la vérité naturelle, sans aucune recherche de cet idéal apparent auquel il est quelquefois, quoique bien involontairement, parvenu, par suite de la grandeur imposante et de la simplicité des lignes.
Mais, ce qu'il est nécessaire d'observer, tout spécialement, et de reconnaître, c'est que, tout en parlant aux yeux, les artistes égyptiens n'ont jamais tenté de leur faire illusion ; et que l'étude des formes naturelles ne fut pour eux qu'un moyen d'arriver à plus de précision dans la silhouette, dans l'ensemble : On ne les voit s'immiscer que très rarement dans les détails.
L'art du dessin, en Égypte, fut donc, tout d'abord, l'art d'écrire ; puisqu'il ne cessa jamais de s'exprimer hiéroglyphiquement. Toutes les compositions égyptiennes se ressentent de cette manière d'envisager la plastique : Partout la représentation des principaux personnages domine le reste du tableau ; les accessoires, hommes ou animaux, n'y apparaissent qu'en raison de leur importance officielle et de l'intérêt qu'ils doivent inspirer." 




extrait de Histoire de l'art égyptien d'après les monuments, par Émile Prisse d'Avennes (1807-1879), explorateur et égyptologue français ; texte par P. Marchandon de la Faye

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