photo : J.P. Sébah |
- Comme ça, nous ne serons pas embêtés par les marchands dit Tahan.
Tout de suite les ruines, basses et au premier abord sans majesté, du temple de Séthi. Cour jonchée de pierres, portique à piliers, entre lesquels a été dressée une grille protectrice. Elle s'ouvre. Et c'est la découverte, l'émerveillement. Non point immédiat, comme dans certaines de nos cathédrales d'Europe, où il faut, dès l'entrée, lever la tête et subir un vertige. Ce n'est ni haut ni même très grand. Des colonnes, une muraille. Colonnes pleines comme des tiges de fleurs, muraille épaisse percée de portes. On prend vite conscience de l'ordre qui régit cet ensemble : que les colonnes, par paires, forment des travées menant chacune à l'une des portes - il y en a sept - par où l'on passe dans une deuxième salle hypostyle. Mêmes colonnes, mais plus nombreuses, mêmes travées, par conséquent plus longues, et mêmes portes, s'ouvrant cette fois sur sept chapelles, pareilles à de petites chambres. Elles sont consacrées à Osiris, Isis, sa femme, Horus, leur fils, Ptah, dieu de Memphis, Harmakhis, dieu d'Héliopolis, Amon, dieu de Thèbes, dieu d'Empire, qui préside, et à Séthi lui-même, déifié.
Et voici qu'entre les pierres du plafond à moitié détruit le soleil apparaît. Rien dans le ciel ne pouvait le faire prévoir tout à l'heure. C'est un miracle. L'Égypte ancienne m'accueille, ses dieux m'envoient un signe de leur réalité. La lumière les éveille sur les murs, mystérieux, impassibles, recevant Séthi Ier, père du grand Ramsès et fondateur du temple, dont les attitudes figées ne sont pas moins faites que les leurs pour durer l'éternité.
Ce qui évoque ici non plus le monde des morts et des dieux, mais la terre dans ce qu'elle a de plus vivant et de plus tendre, ce sont les couleurs de ces reliefs. Posées là il y a plus de trois mille ans, leur fraîcheur est telle que je me suis surpris m'écartant d'un mur pour ne pas tacher mes vêtements. Tahan n'a pas ri. Le chapeau rejeté sur la nuque, il pose un doigt tremblant sur ces jaunes, ces bleus, ces rouges, il hoche la tête, il murmure :
- Croyez-vous...
Et le soldat qui nous comprend sans nous entendre sourit de fierté.
Maintenant, une chaleur d'or fait resplendir le temple. Mille oiseaux victorieux chantent dans les pierres. Non, il n'est pas possible de penser à la mort. Les constructeurs s'en sont allés plus loin. Ils écoutent sous un ciel aussi clair des chants pareils, en élevant un autre temple pour les mêmes dieux."
extrait de La Promenade égyptienne, 1934, par Eugen Avtsine, dit Claude Aveline (1901-1992), romancier, poète, peintre, éditeur d'art, ayant participé, durant la Seconde Guerre mondiale, à la création du mouvement de la Résistance aux côtés de Vercors
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