"Comme Masr-el-Kebirah vous plairait ! Vous jetteriez quelques regards sur les jalousies en treillage ; vous resteriez bouche béante comme un ‘jhashim’ (un niais) à vous extasier dans le bazar ; vous deviendriez fanatique dans les mosquées ; vous ririez à voir les gros Turcs à énorme corpulence et les cheiks si solennels sur leurs ânes blancs ; vous boiriez du sorbet dans les rues ; vous monteriez follement à âne ; vous lanceriez un coup d’œil à la dérobée pour découvrir sous des voiles noirs de beaux yeux, et vous seriez enivré de tout cela. Je suis devenue un très bon 'cicerone' pour cette glorieuse et vieille cité. (...)
Plus je vois les bas quartiers du Caire, plus j'en suis enchantée. Quant à la beauté particulière de cette ville, il n'y a guère de mots pour l'exprimer. Les villes les plus vieilles de l'Europe sont uniformes et régulières en comparaison ; le peuple est on ne peut plus agréable. Si vous souriez de quelque chose qui vous plaît, aussitôt vous provoquez les sourires les plus bienveillants et les plus significatifs en retour. Les gens d'ici vous donnent l'hospitalité rien qu'avec leurs visages, et si vous bégayez quelques mots de leur langue : "Masha-Allah ! comme la Sitt Inglise parle bien l'arabe !" Les Arabes sont assez intelligents pour comprendre l'amusement d'un étranger, et pour en prendre leur part ; ils s'amusent à leur tour et sont extraordinairement libres de tous préjugés. Quand Omar m'explique leurs idées sur diverses choses, il ajoute toujours : "Les Arabes pensent de cette façon ; je ne sais pas s'ils ont raison." (...)
Quant aux prix exagérés que demandent les marchands, c'est la coutume ; le marchandage est comme une cérémonie à laquelle il faut se soumettre. Il appartient à l'acheteur ou au patron d'offrir un prix ou de fixer les gages ; - c'est l'inverse de l'Europe. Si vous demandez le prix de quelque objet, on vous répond, au hasard, par un chiffre fabuleux. On pourrait dépenser ici quelques centaines de livres sterling dans les bazars avec grand agrément. Les tapis, les couvertures aux belles couleurs, etc., sont à bon marché et fort jolis. Le Caire, ce sont les Mille et une Nuits. Il y a bien un peu de vernis européen par-ci par-là ; mais le gouvernement et le peuple n'ont pas changé depuis que ce tableau si fidèle de leurs coutumes a été écrit."
extrait de Lettres d'Égypte, par Lady Lucie Duff Gordon (1821-1869). Traduction par Mrs. Ross. Atteinte de tuberculose, l'auteure s'est installée définitivement en Égypte en 1862 sur le conseil de son médecin.
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