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vendredi 28 janvier 2022

Les rites funéraires de l'ancienne Égypte, par Camille Flammarion

Papyrus de Hounefer - Livre des Morts (British Museum)

"Aux portes de Thèbes, Karnac et Luxor développaient leurs splendeurs sur la rive droite du Nil, tandis que, sur la rive gauche, les palais et les temples conduisaient à la cité des morts, plus peuplée encore que la cité des vivants, car l'Égypte est la surface d'un immense, prodigieux et opulent cimetière, où tous les corps étaient embaumés pour la vie future, même ceux des esclaves.
Mille sphinx reliaient Karnac à Luxor. Le palais de Karnac était soutenu par cent trente-quatre colonnes, dont quelques-unes ont un chapiteau capable de recevoir cent hommes debout. Douze d'entre elles mesurent vingt mètres de hauteur. C'est une forêt de pierres, à travers laquelle la lumière qui descend d'en haut n'arrive que divisée, oblique, mystérieuse, étrange. Les images peintes sur les colonnes, vivement coloriées, animent l'immense salle silencieuse.
À Luxor, deux obélisques élevés par Ramsès même, ornaient l'entree du portique (c'est l'un de ces deux monolithes que nous admirons aujourd'hui sur la place de la Concorde).
Sur l'autre rive du Nil, le Ramesseum, avec ses trente colonnes aux chapiteaux en forme de calice, avec sa porte principale couverte d'une plaque d'or pur, était une somptuosité. Le colosse de Ramsès II, qui y trônait, pesait plus d'un million de kilogrammes.
Des salles immenses, admirablement décorées, sont creusées dans le roc de la montagne, lointaines et profondes, pour enfermer des tombeaux. Elles ne sont habitées que par des statues en bas-relief, aux yeux d'émail ouverts sur la nuit. Les embaumés sont enfermés par des portes de pierre scellées au sceau sacré, à l'abri de la cupidité des vivants et des injures de l'atmosphère, car ils doivent attendre, intacts, la vie ultérieure.
Dans la religion égyptienne, l'âme dépendait du corps, même après la séparation ; elle le reflétait de loin dans ses avatars, elle ressentait par delà le temps et l'espace ses mutilations et ses flétrissures ; son individualité spirituelle tenait à l'intégrité de sa dépouille matérielle. De là ces soins infinis du cadavre et l'inviolabilité qu'on lui attribuait. Lorsqu'on ouvre un sarcophage qui, dans la pensée des prêtres, ne devait être revu par aucun mortel, lorsqu'on déshabille une momie, on reste confondu d'admiration et de respect devant la sincérité, devant la minutie des soins avec lesquels le mort a été enseveli, vêtu, orné, sanctifié d'amulettes et de souvenirs, dans des cercueils consécutifs de bois de diverses essences, ornementés eux-mêmes en dedans et en dehors de dessins, de peintures, de préceptes, de vœux conformes à la carrière parcourue par le défunt et aux espérances pour sa vie future. (...)
Là, constamment, dans la cité souterraine, travaillaient les embaumeurs, sous la surveillance de prêtres lugubres ceints de peaux de panthères, coiffés de masques de chacals. Les cadavres passaient par toutes les phases de l'embaumement, chacun suivant sa classe et sa fortune. La toilette funèbre d'un roi ou d'une reine était d'une complication fantastique. Peintres, orfèvres, coiffeurs paraient les corps embaumés comme pour une fête nuptiale. Les femmes étaient couchées en de chastes attitudes, souvent dans la pose de la Vénus de Médicis, voilant leurs charmes pour le mystère même de la tombe. Une jeune mère, trouvée dans la nécropole de Thèbes, serre sur son cœur une petite momie d'enfant nouveau-né. On polit les ongles, on allonge les sourcils, on dore les seins, on natte les cheveux. Ces soins extrêmes eurent, eux aussi, leurs revers dans les grossières passions de quelques vils ouvriers, car dès l'époque des Ramsès, il semble qu'on ait parfois hésité à livrer les corps des jeunes femmes entre ces mains corrompues et que, pour éviter toute profanation sacrilège, on ait attendu les signes précurseurs de la décomposition avant d'ordonner l'embaumement. Mais pendant cinq mille ans peut-être, l'embaumement n'en fut pas moins général. On embauma même les animaux."


extrait de Clairs de lune, 1924, de Camille Flammarion (1842-1925), astronome français, "
apôtre de la science (qui) travailla toute sa vie à répandre dans toutes les couches de la société sa passion de l’étude et de l’observation des phénomènes de la nature" (Société astronomique de France)