Affichage des articles dont le libellé est Ebers (Georges). Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Ebers (Georges). Afficher tous les articles

vendredi 19 juillet 2019

Le lac Menzaleh, par Georges Ebers


“Je visitai le lac avec des pêcheurs du bourg maritime d'El Matarîyéh. Il est grand, semé d'îles, et séparé de la mer par une langue de terre fort mince. Il égale en superficie le duché de Saxe-Meiningen, et est si richement peuplé d'oiseaux de toute espèce, que le savant Brehm affirmait qu'ils consommaient chaque jour pour leur nourriture soixante mille livres de poisson. L'histoire bien connue du baron de Münchhausen qui, avec la baguette en fer de son fusil, avait percé et embroché d'un bout à l’autre toute une bande de canards, paraît ici moins invraisemblable : surtout au temps de la couvée, des masses innombrables d'hôtes ailés habitent les petites îles et les fourrés de roseaux du lac. (...)
Canards, oies chenalopex, cigognes, hérons, pélicans, ‘Abou monâs’ et flamands aux riches couleurs, dont quelques chasseurs seulement parmi les gens de Menzaléh connaissent les stations, mouettes, hirondelles de mer, aigles et faucons dorés ou noirs qui tuent à leur tour les meurtriers ailés du poisson, se trouvent assemblés par légions dans ce paradis d'oiseaux.
Le chasseur, qui va d’île en île, peut ici faire un butin immense, surtout lorsqu'il sait diriger son petit bateau de sa propre main. L'eau est presque partout peu profonde et ne submerge les îles les plus basses que pendant le temps de l’inondation. Les plus hautes de ces îles sont nommées ‘Gebel’, “montagnes”, par les pêcheurs.
Des images ineffaçables d’un monde où la main de l’homme ne s’est encore fait que peu sentir, d’une nature exubérante comme aux premières époques, calme et pourtant riche de vie, s’imposèrent à mon esprit, tandis qu'un bateau pêcheur de Matariyèh grossièrement ponté me promenait sur ce lac, qui aujourd'hui encore fait la joie du chasseur, et peut-être, nous pouvons dire certainement, un jour, dans quelques dizaines d'années, sera rendu à la culture.”
(extrait de “L’Égypte”, traduction de Gaston Maspero, 1883)

vendredi 5 octobre 2018

"Ce n'est pas seulement la partie instruite et cultivée des Occidentaux, c'est le monde entier qui connaît l'Égypte et les traits caractéristiques de son antiquité primitive" (Georges Ebers)

illustration extraite du livre de Georges Ebers
"D'où vient cet attrait merveilleux qui est propre au vieux pays des Pharaons ? Comment se fait-il que son nom, son histoire, sa constitution naturelle, ses monuments, se présentent à nous sous des aspects tout différents de ceux des autres nations de l'antiquité ? 
Ce n'est pas seulement la partie instruite et cultivée des Occidentaux, c'est le monde entier qui connaît l'Égypte et les traits caractéristiques de son antiquité primitive. L'écolier, avant même d'apprendre le nom de son roi, a entendu raconter l'histoire du bon et du méchant Pharaon ; avant de savoir quels cours d'eau arrosent son pays, il a entendu parler du Nil, d'où sortirent les vaches grasses et les vaches maigres, et de ses rives bordées de roseaux, au milieu desquelles la princesse compatissante trouva la corbeille de jonc où était le petit Moïse. Qui ne connaît cette belle histoire dont le charme se fait sentir également à tout age de la vie, l'histoire de Joseph le vertueux et le sage, ainsi que le théâtre sur lequel elle se passa, cette vénérable Égypte où la mère de Dieu, fuyant les persécuteurs, trouva le salut pour elle et pour le Christ enfant ? Mais l'Écriture sainte, si elle est la première à nous introduire dans la vallée du Nil, est muette au sujet des pyramides, des palais, des temples, de toutes ces œuvres gigantesques de la main humaine, qui semblent ne pas être soumises à la commune loi de fragilité de toutes les choses d'ici-bas, mais avoir été préparées pour l'éternité. Et pourtant, qui, dès l'enfance, n'a pas entendu parler de ces monuments, auxquels les Grecs imposèrent le titre orgueilleux de Merveilles du monde ? 
Une forme mathématique qui se rencontre fréquemment dans la nature, porte le nom de pyramide : c'est elle qui a pris ce nom aux constructions égyptiennes bâties sur le même principe, ce n'est pas elle qui le leur a donné. Nous appelons labyrinthe tout ce qui est embrouillé, disposé de façon obscure, complexe dans ses divisions : c'est à l'imitation du palais que construisirent les rois égyptiens, et dont les chambres présentaient une confusion telle qu'il était difficile d'en trouver l'issue. Toute pensée cachée sous sa forme mystique est pour nous un hiéroglyphe : c'est à cause des figures qui servaient d'écriture aux anciens Égyptiens. Chaque jour, à chaque heure, nous rencontrons, d'ordinaire sans en avoir conscience, des idées et des objets originaires du pays des Pharaons. Le papier sur lequel je trace ces mots doit son nom au papyrus égyptien, qu'on appelait aussi byblos, d'où le grec biblos et notre Bible. Il serait facile d'énumérer cent mots et cent notions analogues qui ont leur patrie en Égypte. S'il nous était permis de creuser plus à fond et de mettre à nu les racines de l'art et de la science occidentale, nous ne pourrions pas nous soustraire à la nécessité de remonter encore et toujours jusqu'à l'Égypte ; mais ce n'est pas ici le lieu de s'attarder à ces commencements.
Nous invitons le lecteur à nous suivre dans l'Égypte d'aujourd'hui. Elle a gardé son charme et son originalité, comme au temps où le Père de l'histoire disait d'elle qu'elle renfermait plus de particularités remarquables que n'importe quel autre pays ; de même que le climat y est réglé d'une manière inaccoutumée, et que le fleuve s'y distingue de tous les autres cours d'eau par sa nature, de même les habitants se distinguent de tous les autres hommes sous tous les rapports, par les mœurs comme par les lois. 
Le Nil, avec ses débordements réguliers et fécondants, le climat, bien d'autres choses encore, sont telles aujourd'hui que les décrivait Hérodote : jusqu'à présent le temps n'a réussi que fort peu à dépouiller l'Égypte de sa singularité naturelle. Toutefois, les lois et les mœurs ont changé entièrement : l'érudit seul retrouve dans les usages actuels des souvenirs et des legs des temps passés."

extrait de L'Égypte, de Georges Ebers (1837-1898), égyptologue allemand.