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mardi 8 décembre 2020

"Τhèbes fut en réalité la plus haute expression de l'art égyptien" (Georges Hanno - Gabriel Hanoteaux)

photo datée de 1880 - auteur non mentionné

"Toutes les traditions, toutes les légendes, tous les monuments de l'antiquité parlent de Τhèbes d'Égypte avec un enthousiasme que le lointain de l'espace et du temps ne fait qu'accroître ; depuis le vieil Homère, qui racontait sans les avoir vues "les fabuleuses richesses de la ville aux cent portes, par chacune desquelles passent deux cents chars tous attelés de blancs chevaux, et montés par leurs cavaliers en armes", jusqu'à Germanicus, qui visita l'Égypte en amateur éclairé et se fit expliquer par les prêtres les hiéroglyphes inscrits sur les murailles. "Il admira la grandeur des ruines de la vieille Thèbes et s'étonna, dit Tacite, d'apprendre que la puissance des anciens rois d'Égypte avait écrasé les peuples voisins de charges et d'exactions non moins lourdes que celles dont les accable maintenant la puissance des Romains."
Dans les temps modernes, ce fut en de grandes circonstances que ces ruines oubliées apparurent de nouveau et rentrèrent en quelque sorte dans le champ de l'Histoire dont elles étaient sorties depuis si longtemps.
L'armée française remontait en conquérante le cours du Nil. Épuisée par la fatigue, par les privations, abattue par l'âpreté d'un ciel et d'un sol inaccoutumés... tout à coup, au détour du chemin, Thèbes apparut. L'armée s'arrêta tout entière, et un cri, une acclamation sortie de toutes les poitrines salua le grand spectacle que le désert venait de dérouler tout à coup.
Quelques années plus tard, Champollion ayant découvert déjà le secret caché dans les inscriptions hiéroglyphiques, écrivait à son tour, en arrivant au même endroit : "Les Égyptiens, en présence de ce que je vois, concevaient les hommes de cent pieds de hauteur et l'imagination qui, en Europe, s'élance bien au-dessus de nos portiques, tombe impuissante au pied des cent trente-quatre colonnes de la salle de Karnak. Je me garderai bien d'en rien écrire ; car ou mes expressions ne vaudraient que la millième partie de ce qu'on doit dire en parlant de tels objets ; ou bien, si j'en traçais une fois l'esquisse très coloriée, je risquerais de passer pour un enthousiaste ou peut-être même pour un fou."
C'est que Τhèbes fut en réalité la plus haute expression de l'art égyptien ; que là se résuma, se traduisit en poèmes de pierre, ce délire architectural, que se transmettaient héréditairement les vieux Pharaons l'un après l' autre. Depuis les plus reculés jusqu'aux contemporains des Grecs, ils rivalisèrent là d'effort et de dépenses : temples, maisons, tombeaux tout y fut taillé dans le colossal. L' Égypte entière a souffert des siècles pour la bâtir, et des siècles d'abandon n'ont pas suffi pour en faire disparaître les merveilleux vestiges."

 
extrait de Les villes retrouvées, par Georges Hanno - pseudonyme de Gabriel Hanoteaux - (1853-1944), diplomate, historien et homme politique français, membre de l'Académie française.

samedi 15 février 2020

Quand l'aube se lève sur la Vallée du Nil, par Gabriel Hanotaux

"... des hommes se rendant au travail, parmi les champs d'orge blanc...le plumeau des palmiers balayant la brume.
Le ciel devient clair, puis rose et, d’un seul coup, splendide.
"
photo Marie Grillot


"Nous prenons, le soir, le train pour Louqsor et Karnak...
Lever du soleil sur la vallée. Calme uni de l'aube, fraîcheur suave. Les taches noires du troupeau des hommes se rendant au travail, parmi les champs d'orge blanc, font comme des lambeaux de nuit déchirés par la brise. Peu à peu le réveil s'ébroue au village, le plumeau des palmiers balayant la brume. Le ciel devient clair, puis rose et, d’un seul coup, splendide. Au-dessus des falaises rousses, le disque d'or s’élance, et, soudain, il est maître. La vallée, drapée de rayons, a revêtu sa robe couleur du jour. De minces raies, réfugiées dans les sillons alignés, hersent la terre, derniers refuges de l'ombre. Mais le soleil donne le coup d’éponge suprême ; il poudre, de son rayon d'or, la verdure ; la toilette est achevée. 
Au-dessus de la mer de lumière, les formes des arbres flottent comme des voiles pendues au mât blanc d’un minaret. Une nuée de grands oiseaux noirs s’envolent et encombrent l'étendue de leurs battements d’ailes fous. La vallée entière, - êtres et choses, - est en alerte : les fellahs courent, les baudets trottent, la vache se hâte au sentier. Une vierge noire, gardant son maigre troupeau, nous reporte à quelque Rebecca biblique.
Partout, le gras humide de la fécondité ; partout les tableaux variés de cette vie appliquée et nourricière que bas-reliefs, fresques et mosaïques représentent à satiété depuis des milliers d'années. Fermes grises, si vieilles et si rapiécées sous leurs toitures d’herbes sèches et de roseaux, qu'il semble qu'elles vont s’effondrer demain, alors qu’elles tiennent, pareilles à elles-mêmes, depuis toujours.
Arrivée à Louqsor, les yeux mi-clos, aveuglés par la lumière accablante, après une nuit insomne. Mais, à l'hôtel, la figure à peine trempée dans l'eau fraîche, nous voilà tout ragaillardis et prêts aux fatigues de la journée  tant attendue. En route pour Karnak !"


extrait de Regards sur l'Égypte et la Palestine, par Gabriel Hanotaux (1853-1944), de l'Académie française, diplomate, historien et homme politique français.

mercredi 30 octobre 2019

"Quelle sagesse il faut pour bien comprendre ce peuple et quel tact pour le diriger ! " (Gabriel Hanotaux, à propos de l'Égypte)

photo d'Hippolyte Arnoux (en activité vers 1860-1890)
"L'Égypte moderne pose, devant nous, des problèmes qui viennent de la nature, de la situation, des hommes, du mouvement de l'histoire, mais aussi de certaines conditions permanentes qui, elles, ne changent pas. Je les sens qui nous accompagnent, en quelque sorte, tandis que nous parcourons ces belles rues, que nous entrons dans les boutiques, que nous nous perdons dans les détours du bazar, que nous écoutons ce qui se dit, que nous lisons ce qui s’écrit. On sent que ce monde qui s’agite, que cette population qui se presse, que ces tranquilles citoyens assis au café et qui se parlent à l'oreille, ont, en eux, quelque chose qui ne s’apprend pas, qui vient de très loin dans les âges et qui se transmet des pères aux enfants dans une intangible hérédité. Quelle sagesse il faut pour bien comprendre ce peuple et quel tact pour le diriger ! 
Et voilà qu’on renforce ou qu’on déplace un de ces éléments mystérieux en rendant l’inondation du Nil de semestrielle, pérenne. Que produira ce changement ? - Jusqu'ici, les poussées alternatives donnaient, à elle-même, un aspect de précarité, de fragilité. Les fortunes se construisaient vite, se délabrant de même. On se confie au fils, dit un de nos interlocuteurs (et c’est encore une légende de l’ancienne Égypte). Mais le fils a manqué souvent à l'espoir qui se reportait sur lui. Le père devient, ainsi, orphelin. La vie trop dense, trop violente, se gave de richesse, et tombe de lassitude. Elle étoufferait de graisse si, à creuser sa tombe, elle ne trouvait le sol maigre qui, lui, ne s’use pas. Et voilà que tout, antiquité et progrès, lassitude et ardeur à vivre pèse, à la fois, sur le présent. Quelle complexité !
Le fond des pensées, naturellement, nous échappe ; ici, plus que nulle part ailleurs, insaisissable, précisément parce qu’un immense passé mal connu s’y attarde. Le sphinx reste l’emblème. Peuple aux démarches souples et insinuantes ! On voit le pli du roseau sans deviner le sens du courant."

extrait de Regards sur l'Égypte et la Palestine, par Gabriel Hanotaux (1853-1944), de l'Académie française, diplomate, historien et homme politique français.

Les pyramides "affirment l'espoir, mais seulement l'espoir de l'éternité" (Gabriel Hanotaux)

photo attribuée à Lekegian (circa 1875).
Les premières utilisations de la colorisation photographique datent du milieu du XIXe s.

"3 mars.  Réveil, le matin, dans une brume légère, délicate, transparente, qui enveloppe, éclaire, tamise et fait valoir tout.
Sur le balcon : Stupeur !... Les Pyramides. Elles sont là, - un peu là, - sur l'autre rive du Nil, suspendues dans cette brume radieuse ; les trois triangles dessinent géométriquement leur repos immuable. Se sont-elles donc rangées ici, depuis je ne sais combien de siècles, pour servir de sujets de "cartes postales" aux hôtels fastueux et aux touristes futiles ?
Le Nil leur arrange un premier plan de lumière, sur lequel de longues voiles de dahabiehs, comme de puissants oiseaux aquatiques, traînent leur ombre flottante. (...)
Les trois grandes Pyramides, sans parler des petites, font comme un troupeau, affirmant le parti pris de la civilisation mystérieuse. Mais nous ne voyons que "Chéops". Sa masse ne permet ni de regarder ni de respirer ailleurs. L’impression, c'est la mort, la mort démesurée. Telle est bien la volonté indéniable de ces anciens bâtisseurs. Terre morte, visage mort, passé mort, mort en terre, mort dans le ciel, mort à fond ; et, le tout, à force d'être mort, immortel. Et sans tarder, d'instinct, par un élan extraordinaire de la pensée on se reporte au plus extrême éloignement des souvenirs humains pour avoir quelque idée de ce qui s'était passé auparavant et qui avait permis aux rois de la IIIe dynastie, héritiers ultimes, d'élever, 3 ou 4 000 ans avant Jésus-Christ, un monument aussi parfait, d'une science aussi impeccable et, surtout, d'une conception philosophique aussi surprenante.
S'il n’y a pas une erreur de calcul d'un dix-millième dans l'égalité des mesures de chacun des côtés d’un carré de 233 mètres ; s'il en est de même pour le calcul du nivellement, bien qu'un accident de terrain, à la place même de la construction, ait rendu impossible la mesure directe d’un point à un autre ; si l'orientation de cette aiguille, qui marque le pas du soleil sur le sable, est impeccable ; s'il n’y a rien à relever dans l'équation et l'épure de l'immense bloc mathématique ; si l’on ne trouve pas une fissure où glisser un cheveu dans le jointement de ces lits de pierres qui pèsent en moyenne, chacune, deux tonnes et demie, à tel point que le colossal édifice a pu être assimilé à un "chef-d'œuvre d’orfèvrerie" ; s’il en est ainsi et que la science comme l’art soient sans défaut, il faut bien admettre qu'une préparation antérieure de milliers et de milliers d'années a, seule, permis à ces manieurs de pierres et de peuples de réaliser un si absolu prodige. Et il n’est pas isolé ! L'Égypte entière est pavée de chefs-d'œuvre. (...)
Tel est le problème auquel aboutit cet entassement de choses d'une si haute perfection géométrique et mécanique. Dans sa rigidité, elles affirment l'espoir, mais seulement l'espoir de l'éternité. C'est un premier pas, non le triomphe."

extrait de Regards sur l'Égypte et la Palestine, par Gabriel Hanotaux (1853-1944), de l'Académie française, diplomate, historien et homme politique français.