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jeudi 28 novembre 2019

"Le Delta, formé par les alluvions, fut un présent du Nil. Telle est l’opinion que le père de l’histoire trouva établie parmi les Égyptiens" (Joseph-François Michaud)

carte de l'Égypte, datée de 1805

"Les premiers jours qu’on voyage sur le Nil, on est enchanté du spectacle ; mais la physionomie du pays est toujours la même : ce sont toujours des villages bâtis de terre avec leurs palmiers et leurs minarets, des canaux avec leurs digues, de vastes campagnes couvertes de moissons, une multitude de fellahs toujours misérables. Le cours du Nil nous offre aussi un aspect qui ne varie point ; souvent, après avoir fait quelques lieues, nous croyons encore nous trouver au même endroit. On ne change pas plus d’horizon que lorsqu’on navigue en pleine mer, et qu’on n’aperçoit que le ciel et les flots. Dans deux mois, le Nil commencera à croître, puis il sortira de son lit, ses eaux couvriront les plaines ; les villages, les bourgs paraîtront comme de petites îles, et le Delta sera comme un archipel. Après cela le fleuve reprendra son cours ; on cultivera de nouveau les terres ; on leur confiera les germes de la fécondité, et la campagne se couvrira d’autres moissons. Voilà toutes les variétés du pays où nous sommes, voilà tout ce qu’on voit en Égypte depuis le temps de la création. (...)
Vous devez bien penser que nous n’oublions pas Hérodote, et que le père de l’histoire ne nous a point quittés dans nos courses ; son livre intitulé Euterpe est moins un récit historique qu’une relation de voyage. C’est au vieil Hérodote que nous faisons toutes nos questions sur les merveilles de l’ancienne Égypte ; il nous impatiente quelquefois par ses réticences, par ses scrupules ; il y a une foule de choses qu’il sait très bien, qu’il a vues de ses propres yeux, et qu’il n’ose pas nous dire ; il se fait surtout un scrupule de parler de la religion des Égyptiens, et par respect pour les dieux, il nous cache la vérité ; mais s’il y a des lacunes dans ses récits, je suis du moins plein de confiance pour ce qu’il nous rapporte, et j’aime mieux, à tout prendre, un historien qui en sait plus qu’il n’en dit, que tant d’autres qui en disent plus qu’ils n’en savent. 
J’ai interrogé le bon Hérodote sur la formation du Delta, dont nous côtoyons maintenant les rivages ; cette riche province, nous dit-il, n’était qu’un vaste marécage au temps du roi Menés ; l’Égypte n’allait pas plus loin que le lac Méris ; le Delta, formé par les alluvions, fut un présent du Nil. Telle est l’opinion que le père de l’histoire trouva établie parmi les Égyptiens ; cette opinion adoptée par les savants modernes, nous explique la construction successive de Thèbes, de Memphis, de Saïs, d’Alexandrie ; à mesure que le pays s’agrandissait vers la mer, la capitale changeait de place ; le peuple égyptien avec ses rois, ses palais et ses temples, semblait descendre le Nil pour prendre possession des provinces que le fleuve avait créées dans son cours : on ne peut donner une plus grande idée des bienfaits du Nil." 


Extrait de Lettre sur l’Égypte, in Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3, par Joseph-François Michaud (1767-1839), historien et pamphlétaire français, auteur d’une Histoire des Croisades

lundi 27 mai 2019

"Si j’avais du temps, je resterais quelques mois dans un village du Delta" (Joseph-François Michaud)

aucune précision identifiable sur la date et l'auteur de ce cliché
Mars 1831.

"Les plus savants de nos voyageurs modernes ont trop négligé peut-être de nous parler de l’Égypte telle qu’elle est de nos jours ; lorsqu’on lit leurs relations, on serait tenté de croire que le pays n’a plus d’habitants. L’humanité n’attire leurs regards que lorsqu’il en est question sur des pierres ; et pour que l’homme les intéresse, il faut qu’il ait vécu il y a trois mille ans, et qu’il ne soit plus qu’une momie. 

Pour moi, je me sauve de cette préoccupation excessive par mon peu de savoir, et mon érudition, tant soit peu nouvelle, ne m’empêche pas de porter mon attention sur ce qui se passe maintenant dans les lieux où je suis. Mille générations écoulées ne m’empêchent point de voir la génération présente, qui doit prendre aussi sa place dans l’histoire. 
Si j’avais du temps, je n’irais ni à Thèbes, ni dans les autres lieux où sont les grandes ruines ; mais je resterais quelques mois dans un village du Delta. Les familles des fellahs, la religion et les mœurs de ce peuple n’auraient plus rien de caché pour moi, et ce que j’aurais appris aurait peut-être plus d’intérêt que tout ce qu’on pourrait nous dire de la gloire de Ramsès, du dieu Amounra, et des Égyptiens du temps d’Hérodote."

Extrait de Lettre sur l’Égypte, in Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3, par Joseph-François Michaud (1767-1839), historien et pamphlétaire français, auteur d’une Histoire des Croisades

vendredi 21 septembre 2018

"Si l'immortalité pouvait se personnifier, si elle nous apparaissait, je crois qu'elle se montrerait à la terre du sommet des pyramides" (Joseph-François Michaud)

 
peinture d'Ernst Karl Eugen Koerner (1846-1927)

"Au reste, les pyramides sont comme l'Égypte elle-même ; ce pays ne nous intéresse pas seulement par ses merveilles, mais par les mystères qui couvrent son histoire ; lorsque l'Égypte sera complètement connue, et qu'on passera du domaine des conjectures à celui des faits, lorsqu'il ne sera plus permis de bâtir des systèmes sur tout ce qu'on y voit, et que l'imagination ne sera plus pour rien dans les relations des voyageurs, il est possible que ce pays excite moins d'intérêt, et qu'il attire moins notre curiosité et notre attention.
Mais tandis que je me livre ainsi à de vagues réflexions, j'entends crier autour de moi : Les pyramides ! les pyramides ! Je suis sorti de notre cabine, et les trois pyramides de Giseh nous ont apparu dans l'horizon lointain. Nos mariniers nous disent qu'elles sont à une distance de plus de huit lieues. Elles s'élèvent sur une surface plane et sous un ciel blanc ; l'espace qui nous en sépare les fait paraître diaphanes ; le sentiment qu'on éprouve au premier aspect est difficile à définir ; c'est l'inspiration sévère de la solitude, mêlée à celle du ciel et de ses merveilles ; c'est la mystérieuse Égypte qui sort du cercueil et qui lève sa tête vers le firmament ; le profond silence, la vaste étendue du désert, voilà ce qui frappe l'imagination ; on n'éprouve point de terreur à cette vue comme le prétend le voyageur Clarke, mais l'aspect des pyramides vous trouble et vous émeut comme une grande pensée morale, comme un chant de l’Iliade, ou comme un beau passage des Prophètes. On est pénétré de je ne sais quel sentiment religieux qui nous reporte aux temps reculés et qui nous donne confiance dans l'avenir ; je conçois très bien maintenant ces paroles que Bonaparte adressait à ses soldats : “Du haut des pyramides trente siècles vous contemplent.” Ces monuments sont en effet comme des colonnes placées sur le chemin de l'éternité, et si l'immortalité pouvait se personnifier, si elle nous apparaissait, je crois qu'elle se montrerait à la terre du sommet des pyramides."

extrait de Correspondance d'Orient, 1830-1831- tome V, par
Joseph-François Michaud (1767-1839), historien et pamphlétaire français, auteur d’une Histoire des Croisades