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mercredi 24 mars 2021

Le Sphinx, "superbe gardien des siècles disparus" (Arthur Rimbaud)

photo extraite du site Wannart.beta



Le Sphinx

"Dans la nuit claire et froide où l’air semble gelé,
Engourdi, frissonnant, sous la clarté lunaire,
Le grand sphinx de granit compte ses millénaires
Et revit solitaire les splendeurs du passé.

Le sable mollement roule son étendue,
Et le scintillement des facettes polies
Brille comme mille feux d’ardentes pierreries,
Merveilleuses parures et gemmes inconnues.

La lune aux yeux bleus coule son disque jaune,
Ses reflets opalins, dans ses orbites creux,
Donne au sphinx l’attitude trompeuse
Du sommeil menaçant que simulent les fauves.

Sur l’immensité du désert sans borne,
Silencieux, figé dans sa robe hiératique,
Sur son socle rigide, la face énigmatique
S’appesantit pensive, dure, farouche et morne.

Et superbe gardien des siècles disparus,
Survivant éternel de l’antique débâcle,
Comme un cheval sauvage qui soudain renâcle,
Dans la nuit noire surgissent des êtres déjà vus,

Leurs fantômes ailés repeuplent le désert
Et leurs pas talonnant ont fait crier le sable,
Le sphinx mystérieux, pensif et vénérable
Regarde tournoyer ces monstres de l’enfer.

Resurgis du passé, ils défilent en cadence :
Grands colosses de pierre à tête de bélier,
Sphinx, griffons, ibis, pharaons et guerriers
Tous viennent une nuit pour la dernière séance…

Sous les rayons blafards de la lune nostalgique,
Déroulant lentement leur émouvant cortège,
Les colosses de granit et les fantômes de neige
Semblent les seuls survivants des hordes fantastiques.

Alors quand l’aube paraît soudain à l’horizon,
Ces ombres disparaissent avec flûtes et sistres
Ayant tous achevé leur dernier tour de piste !
Seul, le Colosse de sable figé, rêve sa vision.

Voyageurs qui cherchez la clef d’anciens mystères
Dans le silence des dunes une voix vous appelle
Un pharaon de pierre interpelle les mortels
Pour leur dire que leur corps n’est que de la poussière…"


par Arthur Rimbaud, poète français (1854-1891)

"Celui qui deviendra « l’homme aux semelles de vent » fait ses premières fugues à l’âge de 15 ans. Il ne cessera plus d’être en mouvement. Quelques années plus tard, il se consacre à l’apprentissage des langues. L’Orient le passionne. Son engagement dans l’armée coloniale néerlandaise lui permet, en 1876, de voyager jusqu’à Java. Puis, parti pour l’Égypte, il cherche à se faire employer dans les ports de commerce, mettant en avant sa connaissance des langues. Enfin, en 1880, il signe un contrat avec la Maison Vianney et Bardey pour s’occuper du commerce du café, de l’ivoire et des peaux à Harar, ville à l’est de l’Éthiopie actuelle. Cette activité commerciale façonne les dernières années de sa vie qu’il passe entre Aden et la côte africaine, sur les deux rives de la mer Rouge. Ses tentatives de prendre part au trafic d’armes s’avèrent peu fructueuses. En 1888, il ouvre à son propre compte un comptoir à Harar. Deux ans plus tard, affaibli par la maladie, il est obligé de quitter l’Afrique. En 1891, Rimbaud meurt à Marseille, à l’âge de 37 ans."
(dossier de presse de l'Institut du monde arabe, Paris, à l'occasion des Journées du Patrimoine 2020)