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lundi 4 juillet 2022

Le milan du Caire, par Louis-Pierre-Marie Mouillard

extrait de la Description de l'Égypte 
ou, Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte 
pendant l'expédition de l'armée française.

Le milan du Caire (Milvus æqyptius)

"Cet oiseau, assez rare en Europe, est commun en Afrique, surtout en Égypte. On l'aperçoit à Tunis, en Algérie, en Asie Mineure, isolément dans la campagne ; il suit ordinairement les percnoptères, et mène la même vie qu'eux. En Égypte, et surtout au Caire, il habite la ville à résidence fixe ; a ordinairement un minaret ou une corniche de mosquée comme perchoir de jour, et couche sur les grands arbres qui croissent dans les cours des maisons.
Ils vivent par paire, se quittent rarement, sont presque toujours en vue l'un de l'autre, soit en chasse, soit au repos. Le vol de cet oiseau est exactement celui du milan royal. Il rame presque autant qu'il plane, quoique ses grandes ailes puissent le dispenser de se donner tant de mouvement. Il passe sa vie à vérifier toutes les terrasses et à enlever les débris de viande qu'il aperçoit. Il le fait en plongeant et enlevant sa proie au vol d'un coup de serres. Si son butin n'est pas trop gros, il le mange très souvent sans se reposer. Quand cet acte se fait par un fort vent, il donne le spectacle du vol inconscient : l'oiseau est tellement occupé qu'il va presque où le vent le pousse.
Sa hardiesse passe toutes les bornes. Il ose aller partout, même plonger entre les passants, dans les rues les plus fréquentées. Il n'est pas rare de lui voir enlever un objet entre les mains des fellahs : il arrive toujours par derrière, fond sur ce qu'il convoite avec un sang-froid imperturbable, et l'emporte au grand ébahissement du volé.
Il est le commensal des camps : de peur de n'y pas voir assez, il se tient à 5 ou 6 mètres seulement en l'air, et fond sur tout ce qui fait ventre, même souvent dans le plat, au milieu de l'assemblée.
Il a pour concurrent, moins hardi que lui cependant, les corneilles mantelées, qui sont aussi communes que lui en Égypte. Quand il a une proie, s'il ne se dépêche pas de la manger, les corneilles lui donnent une poursuite acharnée, et lui font souvent lâcher prise. Cet oiseau est inoffensif. Il ne dérobe jamais ni poule ni pigeon ; les poules, au reste, ne font aucune attention à lui.
Au milieu de la journée il s'élève très haut, et de là se rend aux abords de la ville, sur le point où la curée lui paraît la plus abondante. Les abattoirs en sont encombrés ; ils sont là par centaines, perchés sur les murs, et fondant hardiment entre les bouchers arabes pour venir prendre à tout vol une bribe de chair.
On ne les gêne guère dans leurs évolutions ; les gens du pays ne feraient pas un mouvement pour les regarder : il n'y a que les chasseurs novices qui leur adressent quelques coups de fusil par curiosité. Aussi leur hardiesse est sans limite. Je me souviens un jour d'avoir assisté à un curieux spectacle : mon domestique passait avec une couffe sur la tête, pleine de provisions : un grand manche de gigot pointait triomphalement en l'air. Trois milans s'acharnaient à plonger dessus, et ma femme qui suivait s'escrimait contre eux à grands coups de parasol. Comme je n'étais pas parfaitement édifié sur la valeur de la défense, je fus obligé de me mettre de la partie et de porter secours à mon pot-au-feu."

extrait de L'Empire de l'Air, essai d'ornithologie appliqué à l'aviation, 1881, par Louis-Pierre-Marie Mouillard (1834-1897), pionnier français de l'aéronautique, ingénieur et chercheur.