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mardi 25 septembre 2018

De l'art et des différentes façons de voyager en Égypte, par Clot-Bey

auteur et date non mentionnés pour cette photo
"Il y a toujours en Égypte un nombre flottant de voyageurs dont les mœurs, le caractère , les projets donnent matière, sous plusieurs rapports, à des observations assez piquantes.
Des motifs différents peuvent décider les Européens à venir visiter l'Égypte. Les uns, ce sont les véritables touristes, cherchent à utiliser les loisirs que leur donne la fortune en butinant de l'instruction, ou en allant chercher des délassements partout où leur curiosité les appelle.
D’autres, ce sont des artistes ou des littérateurs, viennent déchiffrer des énigmes scientifiques, ou demander des inspirations à la plus antique patrie des arts, à une terre favorisée de la nature, riche en attrayantes excentricités, et sur laquelle planent des souvenirs vieux de plusieurs milliers d'années. 

D’autres encore viennent en Égypte à la poursuite de la fortune: ceux-ci sont des militaires, des négociants, des médecins, des ingénieurs , et surtout des hommes à idées, des faiseurs de projets, propriétaires de secrets merveilleux, dont les inventions, repoussées en Europe, espèrent s’enraciner dans une terre vierge, et y trouver des intelligences faciles à façonner aux choses nouvelles.
Parmi les personnes qui viennent en Égypte pour leur agrément, il en est dont le nom est illustre ; celles-là sont traitées avec la haute distinction qu’elles méritent. Le vice-roi exerce envers elles une hospitalité magnifique et leur témoigne les attentions les plus délicates. Souvent il leur donne pour logement un de ses palais ou les fait héberger dans la demeure d’un de ses grands officiers. (...)
Les voyageurs qui, sans avoir de grands titres où une haute renommée, sont riches ou dans l’aisance, parcourent le pays en pleine sécurité et jouissent de tous les agréments que l’on peut s’y procurer, au moyen d’un firman du vice-roi, espèce de passe-port que l’on obtient toujours par l'intermédiaire du consul de la nation à laquelle on appartient.


Les impressions que l’Égypte laisse dans l’esprit des touristes sont diverses, et varient suivant les caractères des voyageurs.
Les uns arrivent sur les bords du Nil avec des idées préconçues ; ils s’imaginent trouver en Égypte, avec le confortable européen et les avantages matériels que procure la civilisation, outre des antiquités curieuses, des mœurs empreintes d’un caractère original, dans l’observation desquelles ils se promettent de piquantes jouissances. Mais, dès qu’ils sont convaincus que le pays des pyramides, des sphinx et des obélisques n’a aucune de ces commodités qui rendent en Europe les voyages si faciles ; lorsqu’ils savent que l'on ne peut aller aux pyramides en chemin de fer et qu’aucune route royale, départementale ou vicinale ne relie à Alexandrie ou au Caire les magnifiques ruines de Karnac et de Louqsor, alors leur désappointement change tout à coup en amères récriminations, en une antipathie outrée, les préventions favorables qui les berçaient à leur arrivée en Égypte ; bientôt toute chose se transforme en mal à leurs yeux. Peu leur importe que le ciel soit beau, que ses teintes soient admirablement pures, si le soleil est brûlant, la chaleur insupportable. Songeraient-ils à jouir de la sérénité des nuits, qui enivre de jouissances le corps et l’âme, lorsque, en revanche, des vents, qui font tourbillonner les trombes de poussière, leur préparent pendant le jour d’affreux tourments ? Le sol est fertile, disent-ils, mais le paysage d’une monotonie désespérante, puis qu’est-ce qu’une mince bande de terres fécondes perdue au milieu d’un océan de stériles solitudes ? Les monuments antiques sont grandioses ; les souvenirs qu’ils rappellent parlent à l’intelligence et au cœur ; mais les villes actuelles sont laides ; les populations qui les habitent, hommes et femmes en chemise, enfants nus et maladifs, tout cela est hideux à voir. Ajoutez le désagrément de se trouver au milieu d’un peuple qui parle une langue bizarre et difficile, obstacle continuel qui suscite des ennuis à chaque instant. Aussi, pour peu que ces voyageurs, dont les rêves sont déçus, ne soient pas d’humeur endurante, mécontents de tout, ils ne soupirent qu’après le moment où l’Égypte disparaîtra derrière la quille du navire qui les emportera loin de cette terre maudite. De retour chez eux, ils se vengeront de leur désillusionnement, en la décriant à toute occasion ; et, s’ils écrivent leur voyage, ils la représenteront sous des couleurs fausses et injustes.
D’autres touristes sont aussi exagérés dans des sentiments contraires. Enthousiastes de ce qui est nouveau pour eux, avides d’émotions, ils trouvent tout bien, admirent tout, se passionnent pour chaque chose. Tout plaît également à la curiosité bienveillante de ceux-là : l’aspect particulier du pays, la physionomie singulière des villes et celle des habitants. Aussi se hâtent-ils d’imiter les manières des musulmans et d’endosser leur costume. C’est même une mode assez générale parmi les nouveaux arrivés de se revêtir le plus tôt possible des habillements orientaux. Quoique l’on soit autant respecté et peut-être plus sous le vêtement européen, ils cherchent à excuser leur caprice par des motifs plausibles de convenance, lorsqu’au fond ils ne brûlent que de satisfaire une fantaisie. Ils ont hâte de se voir dans le large pantalon, de rouler un turban autour de leur tête et de porter au côté un sabre recourbé. En fait de costume, ceux qui ont la prétention d’être artistes poussent le culte de l’ancien vêtement des musulmans jusqu’à se singulariser d’une manière ridicule. Ils déplorent que les Orientaux aient abandonné quelques-uns de leurs usages pour les remplacer par les nôtres : - aujourd’hui on ne porte plus, dans la haute société, le turban qui n’est resté en usage que parmi les hommes de basse classe ; - ils en entourent leur tête ; de même, ils préfèrent l’ancien cordon de soie au ceinturon de cuir par lequel les Orientaux retiennent maintenant leur sabre. Quelques-uns exagèrent l’imitation jusqu’à aller pieds nus. On dirait qu’ils ne savent plus s’asseoir sur une chaise et qu’il faut qu’ils se fassent violence pour ne pas s’accroupir, les jambes croisées, sur les divans. Mais, en dépit de leurs prétentions, les manières orientales et le port du costume musulman demandent un apprentissage. Une certaine affectation de singularité dans le choix et l’arrangement des diverses parties de l’habillement, la gaucherie des gestes, le caractère de la démarche, trahissent les novices, et font reconnaître aussi sûrement les Européens sous le déguisement oriental que sous l’habit franc.
Mais il y a, parmi les voyageurs, des hommes sérieux dont l’esprit est modéré, impartial, équitable, et que leur imagination n’emporte pas fougueusement aux extrêmes ; des hommes tolérants qui comprennent la vraie situation des peuples orientaux, apprécient à leur valeur, ni trop ni trop peu, le pays et ses habitants, les personnes et les choses, savent se plier sans répugnance comme sans affectation aux exigences des lieux et à l’empire des coutumes, et, en définitive, peuvent porter un jugement droit sur l’Égypte, que la disposition de leur intelligence leur a permis d’étudier avec fruit."


extrait de Aperçu général sur l'Égypte, 1840, par Antoine Barthélémy Clot-Bey, médecin français (1793 - 1868)

mardi 18 septembre 2018

"Tous les voyageurs qui ont parcouru le Nil pendant les basses eaux ont été frappés du spectacle des nombreux chadoufs qui bordent les rives du fleuve" (Clot-Bey)

photo de Pascal Sébah (1823 - 1886)

"Sur les bords du Nil et des canaux, (...) on se sert d’une machine (...) qui a été souvent décrite par les voyageurs. Je veux parler du chadouf. Le chadouf est composé d’un levier suspendu vers le tiers de sa longueur sur une traverse horizontale, que soutiennent deux montants verticaux établis au sommet des berges du Nil ou du canal où l’on puise l’eau. La branche la plus courte du levier porte un contrepoids de terre durcie ; et sa branche la plus longue, une verge de bois attachée par un lien flexible, de manière que, pendant le mouvement de rotation du levier, cette verge reste toujours verticale. À son extrémité inférieure est suspendu le seau de cuir. Un homme placé sur une saillie de terre puise de l’eau dans le seau, l’élève à la hauteur de sa poitrine et la verse dans un petit canal, qui la conduit sur les terrains où on en a besoin, et, si cela est nécessaire, dans un puisard, où elle est reprise de nouveau par une semblable machine qui la transmet à une troisième, etc., jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à la hauteur du terrain qu’elle doit arroser. Chaque chadouf élève l’eau à 5 mètres environ de hauteur ; on en place trois ou quatre au-dessus les uns des autres, suivant les localités. Les expériences faites sur une de ces machines par les savants de l’expédition française, ont appris qu’un ouvrier égyptien peut élever, au moyen du chadouf, près de 50 litres d’eau par minute à une hauteur d’environ 5 mètres, ce qui est fort au-dessus de la force ordinaire d’un homme, telle qu’on la calcule dans notre climat d’Europe. (...) Dans la haute Égypte, où le Nil est plus encaissé que dans la basse, l’usage des chadoufs est plus répandu encore que dans le Delta. On voit jusqu’à cinq ou six étages de ces machines placées l’une au-dessus de l’autre pour faire parvenir l’eau jusqu’au-dessus des terres. (...) Les hommes employés au service des chadoufs passent des journées entières et souvent des nuits à tirer de l’eau du fleuve et à la répandre sur la terre. Tous les voyageurs qui ont parcouru le Nil pendant les basses eaux ont été frappés du spectacle des nombreux chadoufs qui bordent les rives du fleuve, sans cesse mis en mouvement par des hommes presque entièrement nus, qui, pour régulariser le balancement qu’ils impriment à ces longues perches, accompagnent leurs travaux en répétant, sur un rythme uniforme, de monotones cantilènes."

extrait de Aperçu général sur l'Égypte, 1840, par Antoine Barthélémy Clot-Bey, médecin français (1793 - 1868)