vendredi 26 octobre 2018

Le Caire, à la fin du XIXe siècle, par Lucien Trotignon

 
Le Caire - photo datée de 1885 - auteur mon mentionné
"Deux villes existent au Caire, bien distinctes. La ville arabe, la seule intéressante, très curieuse encore malgré sa décrépitude, peut-être même un peu à cause de cela. La ville européenne, moderne et banale, agrandie surtout par le khédive Ismaïl. De celle-ci pas grand bien à dire. Sa première attraction, c'est l'Ezbékyeh. Un jardin public, superbe jadis, paraît-il, dans le désordre de sa végétation luxuriante, et devenu aujourd'hui un vulgaire square, peigné, ratissé, tiré au cordeau, un parfait modèle du genre.
On y voit des grottes artificielles, un kiosque à musique, des cafés, un atelier de photographe, et d'ignobles aloès en zinc peinturlurés d'où émergent des becs de gaz. Ces aloès en zinc sont assez la caractéristique du goût égyptien contemporain.
Le jour de mon arrivée, j'aperçus en passant une musique militaire qui s'installait sous le kiosque. J'attendis son premier morceau. Elle joua En R'venant de la Revue !
De l'Ezbékyeh jusqu'au Nil s'étend le quartier aristocratique, la plaine Monceau du Caire ; de longues avenues bordées d'arbres, de grandes maisons qui s'isolent au fond de jardins invisibles, deux par deux pour la plupart, l'une réservée au maître, le sélamlik, l'autre pour les femmes et les enfants, le harem. Beaucoup sont construites à l'italienne, comme à Alexandrie.
Au lieu de copier le vieux style indigène, au lieu de s'inspirer de cette belle architecture sarrazine, pure et sévère, si parfaitement logique avec les mœurs et le climat du pays, on a voulu faire moderne, à l'instar de l'Europe, toujours. D'ailleurs, il faut le dire une fois pour toutes, l'art, dans l'Égypte actuelle, est absolument lettre morte. On en trouve à chaque pas de tristes exemples.
Une visite aux bazars va nous ramener en Orient. Ils forment à peu près la moitié du quartier arabe.
Ce sont des ruelles étroites et tortueuses, se croisant, se mêlant, s'enchevêtrant parfois en un dédale inextricable, quelques-unes entièrement couvertes, les autres abritées de distance en distance par des auvents qui se rejoignent par des
toiles tendues, par des paillassons qui tamisent la lumière et entretiennent la fraîcheur.
Là, dans un demi-jour mystérieux, au fond des boutiques minuscules, toutes pareilles et séparées par une simple cloison, les marchands se tiennent accroupis, majestueux et graves, savourant béatement leur narghileh et attendant les acheteurs ; les ouvriers travaillent, silencieux, entourés de leurs apprentis, des gamins à la mine éveillée et aux grands yeux noirs. Ils sont tous rangés par corporation. Chaque métier, chaque commerce occupe ses rues spéciales, un peu au hasard et sans ordre apparent. (...)

On ne peut parcourir les bazars sans être appelé et racolé fréquemment par les marchands. Veut-on acheter quelque bibelot, ils s'empressent avec de grands salamalecs, vous  font asseoir devant leur boutique, vous apportent une tasse de café et commencent par demander un prix exorbitant, quatre ou cinq fois la valeur de l'objet. Il faut discuter, se débattre, au besoin revenir deux ou trois fois, et l'affaire se conclut après des pourparlers interminables."
 


extrait de En Égypte : notes de voyage, 1890, par Lucien Trotignon (1860-19..)

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