village au bord du Nil - photo datée de 1880 (auteur non mentionné) |
Omar Ibn al-Khattâb :
"Ô Amrou, fils d’el-'Âs, ce que je désire de toi, à la réception de cette lettre, c’est que tu me fasses de l'Égypte une peinture assez exacte et assez vive pour que je puisse m'imaginer voir de mes propres yeux cette belle contrée. Salut."
Amrou Ibn al-'Âs :
"Ô prince des fidèles ! peins-toi un désert aride, et une campagne magnifique au milieu de deux montagnes, dont l'une a la forme d’une colline de sable, et l’autre du ventre d’un cheval étique ou du dos d’un chameau : voilà l'Égypte ! Toutes ses productions et toutes ses richesses, depuis Asouan (Syène) jusqu’à Menchâ, viennent d'un fleuve béni qui coule avec majesté au milieu d'elle.
Le moment de la crue et de la retraite de ses eaux est aussi réglé que le cours du soleil et de la lune ; il y a une époque fixe dans l’année où toutes les sources de l'univers viennent payer à ce roi des fleuves le tribut auquel la Providence les a assujetties envers lui. Alors les eaux augmentent, sortent de son lit, et couvrent toute la face de l'Égypte pour y déposer un limon productif. Il n'y a plus de communication d’un village à l’autre, que par le moyen de barques légères, aussi nombreuses que les feuilles de palmier.
Lorsqu’ensuite arrive le moment où ses eaux cessent d'être nécessaires à la fertilité du sol, ce fleuve docile rentre dans les bornes que le destin lui a prescrites, pour laisser recueillir le trésor qu’il a caché dans le sein de la terre.
Un peuple protégé du ciel, et qui comme l'abeille ne semble destiné qu'à travailler pour les autres, sans profiter lui-même du prix de ses sueurs, ouvre légèrement les entrailles de la terre, et y dépose des semences dont il attend la fécondité du bienfait de cet être qui fait croître et mûrir les moissons. Le germe se développe, la tige s'élève, l'épi se forme par le secours d’une rosée qui supplée aux pluies, et qui entretient le suc nourricier dont le sol est imbu. À la plus abondante récolte succède tout à coup la stérilité.
C’est ainsi, ô prince des fidèles ! que l'Égypte offre tour à tour l'image d'un désert poudreux, d’une plaine liquide et argentée, d'un marécage noir et limoneux, d’une prairie verte et ondoyante, d'un parterre orné de fleurs variées, et d’un guéret couvert de moissons jaunissantes : béni soit le créateur de tant de merveilles !
Trois choses, ô prince des fidèles ! contribuent essentiellement à la prospérité de l'Égypte et au bonheur de ses habitants. La première, de ne point adopter légèrement des projets inventés par l’avidité fiscale, et tendant à accroître l'impôt ; la seconde, d'employer le tiers des revenus à l'entretien des canaux, des ponts et des digues ; la troisième, de ne lever l'impôt qu'en nature, sur les fruits que la terre produit. Salut."
Correspondance entre le khalife Omar Ibn al-Khattâb, compagnon du prophète Mahomet et Amrou Ibn al-'Âs, "capitaine de l'islamisme" (mort en 42 de l'hégire (662-663), qui dirigea la conquête d'Alexandrie et fit creuser un canal joignant la mer Rouge à la Méditerranée.
Texte repris par Constantin-François de Chasseboeuf Volney, dans Voyage en Égypte et en Syrie pendant les années 1783, 1784 et 1785
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