La Vallée des Rois, par Émile Béchard, 1870 "Le seuil franchi et la porte refermée, les visiteurs semblaient avoir dit au jour un adieu éternel" |
"... je me demande parfois si ces tombeaux, à s'illuminer si largement, ne perdent pas quelque peu de l'attrait qu'ils présentaient. Certes, ce n'est pas ainsi que les Égyptiens les avaient conçus, et jamais, en aucun temps de leur histoire, ils ne les virent plus distinctement que ne faisaient les voyageurs européens il y a un demi-siècle, avant l'invasion du fil de magnésium. Le seuil franchi et la porte refermée, les visiteurs semblaient avoir dit au jour un adieu éternel. L'ombre les engloutissait, mordant sans relâche sur le faible halo rougeâtre que leur torche émettait.
Sous cette lueur tremblante et courte, les murs et leur décor demeuraient presque invisibles : les figures de dieux et les inscriptions sorties imparfaitement de la nuit s'y replongeaient aussitôt, dès que le cortège était passé. L'on avançait comme dans un rêve hanté de formes mystérieuses, et de fait, l'hypogée n'était déjà plus de notre monde à nous. On l'avait creusé à l'image des vallées sourdes que le soleil parcourait chaque soir, et où les âmes non vouées à Osiris séjournaient mélancoliques : on avait peint ou ciselé sur ses parois la course de l'astre à travers ces populations d'esprits dolents et de génies farouches, son escorte de dieux magiciens, le portrait des ennemis qu'il y combattait et des amis qui l'aidaient à vaincre ces ennemis, les incantations qu'il lui fallait entonner pour sortir triomphant de ses épreuves.
Sous cette lueur tremblante et courte, les murs et leur décor demeuraient presque invisibles : les figures de dieux et les inscriptions sorties imparfaitement de la nuit s'y replongeaient aussitôt, dès que le cortège était passé. L'on avançait comme dans un rêve hanté de formes mystérieuses, et de fait, l'hypogée n'était déjà plus de notre monde à nous. On l'avait creusé à l'image des vallées sourdes que le soleil parcourait chaque soir, et où les âmes non vouées à Osiris séjournaient mélancoliques : on avait peint ou ciselé sur ses parois la course de l'astre à travers ces populations d'esprits dolents et de génies farouches, son escorte de dieux magiciens, le portrait des ennemis qu'il y combattait et des amis qui l'aidaient à vaincre ces ennemis, les incantations qu'il lui fallait entonner pour sortir triomphant de ses épreuves.
Une descente chez Sétouî mal éclairé était, pour les modernes comme pour les anciens, l'image affaiblie d'un voyage dans les régions de la mort ; n'est-ce pas détruire l'effet calculé par les Égyptiens que d'y prodiguer la lumière ? Aux touristes qui connaissent la destinée des Pharaons, il manquera peut-être la sensation d'horreur religieuse qu'ils attendaient, mais combien seront-ils par année ? La foule, qui veut avant tout voir les merveilles dont on lui a parlé et non pas les deviner, n'a point de ces scrupules : la promenade lui est plus facile depuis que l'électricité fonctionne, et elle est ravie. Les choses sont d'ailleurs arrangées de telle manière que chacun, s'il le veut, se remet instantanément dans les conditions anciennes. Au tombeau d'Aménôthès II, par exemple, où la momie est encore à sa place dans le sarcophage, on procède à la répétition de l'une des cérémonies qu'on célébrait le jour des funérailles. À un moment donné, les lampes s'éteignent et les ténèbres se font, puis une lueur pointe au-dessus de la tête du souverain. C'est ce que les prêtres appelaient l'Illumination de la Face : ils projetaient la flamme de leurs lampes au masque de la momie pour lui assurer la jouissance de la lumière éternelle. Après quelques minutes, le guide rallume les autres lampes, toutes à la fois si on le lui demande, l'une après l'autre lorsqu'on le préfère ainsi : il a donc de quoi varier ses effets et montrer la tombe sous son aspect d'autrefois avant de la ramener à celui d'à-présent.
Les six hypogées sont machinés de même, et notre système offre du moins l'avantage de pouvoir contenter tout le monde. À ceux qui désirent connaître la décoration en détail et la bien voir, il verse la lumière à flots, sans risque ni dommage pour le monument. Il laisse aux raffinés la demi-obscurité et il leur procure l'illusion d'une visite aux dieux de l'enfer égyptien."
Extrait de Ruines et paysages d'Égypte, 1910, par Gaston Maspero (1846-1916), égyptologue français, professeur au Collège de France, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, ayant succédé à Mariette, en janvier 1881, à la direction du Service des antiquités égyptiennes et du musée d’Archéologie égyptienne de Boulaq, au Caire.
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