"Philae : L'île et le temple vus du Nil, felouques amarrées", par Émile Brugsch, dit Brugsch Pacha (1842-1930) |
Cet isolement artistique de l'Égypte s'explique facilement du reste, lorsqu'on se rappelle dans quelles conditions particulières était née et s'était développée la sculpture sur les bords du Nil. Son point de départ, l'idée première qu'elle devait exprimer, c'était la célébration, l'immortalisation, si l'on peut s'exprimer ainsi, d'un monarque ou d'un simple particulier. Aussi voyons-nous les tombeaux représenter les voyages de l'âme, les cérémonies religieuses, et les bas-reliefs reproduire les costumes et les mœurs des nations vaincues. Mais pour toutes ces représentations, l'artiste se préoccupe médiocrement de la beauté de la forme, de la justesse de l'effet, de la vérité soigneuse du contour ; il recherche rarement le pittoresque : l'exactitude lui suffit. À quoi eussent servi d'ailleurs des raffinements d'art, de travail, de talent, pour des œuvres généralement destinées à être placées dans des hypogées, dans des salles dissimulées, obscures et où personne ne pouvait ni ne devait pénétrer ? Il est bien plutôt extraordinaire, dans de telles conditions, d'y trouver des monuments artistiques exécutés avec autant de soin. Et puis le caractère même du pays imposait à la sculpture des données naturelles et impérieuses. Il y a en Égypte, entre l'art et la nature, un rapport intime qui n'a pu échapper à aucun des voyageurs qui ont visité les bords du Nil.
Les chaînes de montagnes encadrant les vallées forment des lignes immenses, égales, monotones mais grandioses ; les déserts s'enfoncent à l'horizon, les nappes tranquilles du Nil couvrent le pays et ne sont interrompues que par quelques collines, par quelques monuments émergeant de ses eaux. Ces grands aspects du pays ont eu certainement une part immense dans les représentations, dans la forme et dans le caractère de l'art égyptien, en forçant les sculpteurs, dans ces horizons sans fin, à donner des proportions colossales à leurs monuments, pour être simplement en rapport avec le paysage qui les entourait. Il fallait bien que les statues, pour paraître seulement de grandeur naturelle, fussent deux et trois fois plus grandes que nature. Telle pièce ou telle figure classée aujourd'hui dans nos Musées, qui nous étonne et nous impose par ses dimensions, serait loin de produire le même effet si on la voyait à l'air libre."
extrait de La sculpture égyptienne, 1876, par Émile Soldi (1846-1906), sculpteur, médailleur et historien de l'art français ; Grand Prix de Rome ; président de la section Histoire de l'Art à la Société de Numismatique et d'Archéologie
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