illustration extraite de Album du musée de Boulaq : comprenant quarante planches / photographiées par MM. Delié et Béchard ; avec un texte explicatif par Auguste Mariette-Bey, 1872 |
On n'a pas, en effet, une idée juste de la valeur des fouilles exécutées en Égypte, si l'on pense que ces fouilles ont pour unique résultat la mise au jour des monuments conservés dans les Musées d'Europe. Pour une stèle, pour une statue, pour un monument quelconque que les collectionneurs dont je viens de parler ont admis dans leurs séries, il en est vingt autres qu'ils ont abandonnés sur le terrain parce qu'ils les ont trouvés soit en débris, soit dans un état de conservation qu'ils ont jugé insuffisant. Or il est impossible que parmi ces fragments il n'en soit pas qui aient quelque valeur scientifique, et il s'ensuit qu'à la rigueur les Musées d'Europe ont reçu de la main de ceux qui les leur ont vendues des collections qui, précisément par le travail d'épuration qu'on leur a fait subir, ont perdu de leur importance.
Je me crois autorisé à dire que notre Musée a évité cet écueil. Tous les fragments recueillis pendant les fouilles ont été étudiés, puis admis dans nos catalogues, toutes les fois qu'ils nous ont paru toucher par un côté quelconque aux intérêts de la science. Le Musée de Boulaq satisfait ainsi aux intentions de son fondateur : c'est un Musée organisé pour servir pratiquement l'égyptologie, et si les indifférents trouvaient à y blâmer l'introduction de quelques débris en apparence trop mutilés, je répondrais qu'il n'est pas un archéologue qui, avec moi, ne désirerait lui en voir encore davantage. (...)
C'est de parti pris et après mûre réflexion que, dans l'emménagement intérieur des vitrines et des armoires, j'ai sacrifié au goût et cherché une certaine mise en scène qu'exclut ordinairement la froide régularité de nos Musées d'Europe. Les motifs qui m'ont guidé sont faciles à comprendre. Le Musée du Caire n'est pas seulement destiné aux voyageurs européens ; dans l'intention du Vice-Roi, il doit être surtout accessible aux indigènes qu'il est chargé d'instruire dans l'histoire de leur pays. Or je ne médis pas de la civilisation introduite sur les bords du Nil par la dynastie de Mehemet-Ali en prétendant que l'Égypte est encore trop jeune à la vie nouvelle qu'elle vient de recevoir pour posséder un public facilement impressionnable aux choses de l'archéologie et de l'art. Il y a quelque temps, l'Égypte détruisait ses monuments ; elle les respecte aujourd'hui ; il faut que demain elle les aime. Mais, pour en arriver là, il est nécessaire, à mon avis, d'éviter l'aridité à laquelle nous condamnerait l'appropriation trop systématique des objets dans les meubles destinés à les contenir. Je sais par expérience que le même monument, devant lequel notre public égyptien passe toujours distrait et indifférent, attire ses yeux et provoque ses remarques dès que, par un artifice de mise en place, on a su le forcer à y fixer son attention. Il est certain que, comme archéologue, je serais assez disposé à blâmer ces inutiles étalages qui ne profitent en rien à la science ; mais si le Musée ainsi arrangé plaît à ceux auxquels il est destiné, s'ils y reviennent souvent et en y revenant s'inoculent, sans le savoir, le goût de l'étude et j'allais presque dire l'amour des antiquités de l'Égypte, mon but sera atteint."
extrait de Notice des principaux monuments exposés dans les galeries provisoires du Musée d'antiquités égyptiennes de S. A. le vice-roi, à Boulaq, 1869, par Auguste Mariette (1821-1881), créateur du service des antiquités de l’Égypte et du musée de Boulaq
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