la rue du Mouski, par Eugène Baugnies (1842-1891) |
Ce ne sont partout que caisses ouvertes ou à moitié chavirées dans la rue pour attirer le chaland.
Faire marcher l'amateur sur la marchandise pour le forcer à mettre l'article en main, tel est le problème industriel admirablement résolu par le commun de ces mille et un Ali-Baba.
Depuis le vieux Juif à lunettes qui se fait prier pour déranger des débris d'antiquailles enfouis dans de mystérieux petits coffrets, jusqu'au fabricants de bottes de scheiks pour qui la bottine à élastique est le dernier mot de la civilisation, tous semblent remplir un sacerdoce. Ce n'est pas ce débit fatigant et effronté de nos petits boutiquiers, c'est le calme le plus religieux qui préside à tous les achats, à toutes les transactions de la rue. L'empressement de nos commis de magasin, leur distinction et les dissertations à perte de vue auxquelles ils se livrent en France à propos d'un mètre de grenadine ou de madapolam (1), seraient ici du plus mauvais goût ; c'est presque le silence religieux de la mosquée qui règne dans les rayons et sur les comptoirs du Mouski. Voulez-vous une kouffie (2), vous montrez l'objet d'une main et la monnaie de l'autre, suivant l'estimation que vous en aura faite votre drogman, à moins que vous ne soyez déjà assez fort pour débattre vos prix vous-même.
Après avoir proposé en moyenne la moitié du prix qui vous a été fait d'une chose, vous vous retirez avec le calme d'un homme qui sait la valeur de ce qu'il veut acheter et vous n'insistez pas ; le marchand d'un signe imperceptible vous rappelle ; il consent à déranger sa pipe, accepte votre argent, et vous lance sa marchandise avec le gémissement plaintif d'une femme à qui l'on a arraché son enfant.
Vos prétentions sont-elles inacceptables pour le marchand, il manifeste alors la plus amère douleur par des claquements de langue qui rappellent les expérimentations des amateurs en vins ; et avec des larmes dans la voix il repousse sa marchandise en maugréant comme si vous l'aviez battu. Là, là, là, mafich, murmure-t-il entre sa pipe et ses dents. Car le chibouk ou le narghiléh sont l'accessoire indispensable du marchand du Caire qui se respecte.
Les étoffes du pays aux couleurs changeantes, aux reflets nacrés et aux broderies merveilleuses, attirèrent nécessairement notre attention, et nous serions encore dans les boutiques, si notre admiration pour la soie jaune l'avait emporté sur notre désir de parcourir d'abord la ville avant d'en apprécier les richesses en détail. La tentation était pourtant trop forte, et dès ce jour-là, presque au galop de mon âne, je trouvai le moyen d'acheter plusieurs de ces foulards soyeux que l'on nomme kouffies et que les Égyptiens emploient comme coiffure de luxe.
Après avoir proposé en moyenne la moitié du prix qui vous a été fait d'une chose, vous vous retirez avec le calme d'un homme qui sait la valeur de ce qu'il veut acheter et vous n'insistez pas ; le marchand d'un signe imperceptible vous rappelle ; il consent à déranger sa pipe, accepte votre argent, et vous lance sa marchandise avec le gémissement plaintif d'une femme à qui l'on a arraché son enfant.
Vos prétentions sont-elles inacceptables pour le marchand, il manifeste alors la plus amère douleur par des claquements de langue qui rappellent les expérimentations des amateurs en vins ; et avec des larmes dans la voix il repousse sa marchandise en maugréant comme si vous l'aviez battu. Là, là, là, mafich, murmure-t-il entre sa pipe et ses dents. Car le chibouk ou le narghiléh sont l'accessoire indispensable du marchand du Caire qui se respecte.
Les étoffes du pays aux couleurs changeantes, aux reflets nacrés et aux broderies merveilleuses, attirèrent nécessairement notre attention, et nous serions encore dans les boutiques, si notre admiration pour la soie jaune l'avait emporté sur notre désir de parcourir d'abord la ville avant d'en apprécier les richesses en détail. La tentation était pourtant trop forte, et dès ce jour-là, presque au galop de mon âne, je trouvai le moyen d'acheter plusieurs de ces foulards soyeux que l'on nomme kouffies et que les Égyptiens emploient comme coiffure de luxe.
Jaunes rayées de vert et de rouge, ou jaune sur jaune ornées de petites floches du même ton, ces pièces d'étoffes miroitent au soleil de la façon la plus étonnante. D'imperceptibles fils d'or ou d'argent artistiquement mélangés dans leurs tissus leur donnent des tons métalliques du plus brillant effet pour l'œil.
Quand nous passerons la revue des bazars, nous insisterons davantage sur la nature des étoffes, des vêtements et des costumes qui forment le fond des marchandises les plus caractéristiques du pays."
extrait de Le Fayoum, le Sinaï et Pétra : Expédition dans la moyenne Égypte et l'Arabie Pétrée sous la direction de J. L. Gérôme, par Paul Marie Lenoir (1843-1881), artiste français
(1) tissu de coton blanc
(2) fichu de cotonnade rouge à raies de soie verte, rouge ou jaune
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