Philae, par Edward Lear (1812–1888) |
"Les Grecs et les Romains, qui faisaient le pèlerinage d'Égypte, ne manquaient jamais de remonter le Nil au-delà de Thèbes, jusqu'à l'île de Philae. C'est là qu'ils recevaient l'initiation dernière, dans la forme et sous le voile poétique du drame sacré par lequel les fils d'Hermès consentaient à révéler le plus grand secret de leur religion aux laïques ou aux étrangers de choix. (...)
L'île allongée dans le sens du fleuve a la forme
d'une sandale. Les colonnades et les deux pylônes
du temple d'Isis se profilent sur son arête en tons
chauds. Au-dessus de la rive orientale, le petit
temple hypèthre de Trajan, coquettement placé sur
une terrasse, se mire dans l'eau. Quatre architraves posant sur douze colonnes à chapiteaux de
papyrus, sans toiture, c'est tout l'édifice. Ce pavillon aérien semble avoir poussé comme une végétation de grandes fleurs d'or, entre les palmiers
qu'il surpasse et les haies d'acacias qui ceignent
ses pieds. Un ciel toujours bleu sourit entre les
calices ouverts des colonnes élégantes, où passent
librement les hirondelles. Ce petit temple si gracieux, si poétique semble inviter les barques à
mouiller dans son anse et dire aux voyageurs : "Les tristesses de la vie ne passent point mon
seuil ; viens te reposer dans la paix d'Isis." On
monte, et on rejoint l'extrémité sud de l'île. C'est
là que débarquaient les pèlerins antiques et qu'ils
étaient accueillis par les pastophores, en haut de
l'escalier de la terrasse. (...)
Le site a quelque chose d'inquiétant et de paisible,
d'étrange et d'intime à la fois. Ce ne sont plus les
vastes horizons plantureux de Thèbes, de Siout et
d'Abydos. Le Nil fait un grand tournant entre des
côtes abruptes et se hérisse d'écueils. Partout surgissent des rochers de granit et de syénite noir,
avec des veines de diorite d'un vert sombre. Tantôt ils forment de petits récifs qui écument au milieu du fleuve, tantôt ils s'écroulent sur les rives
en escaliers tumultueux, tantôt ils redressent leurs
angles en castels bizarres, en pitons menaçants.
La teinte rougeâtre des roches, maculées de taches
noires, donne à l'ensemble du paysage quelque
chose de fantastique et d'infernal. On dirait le
serpent Typhon, le génie du Mal, vomi par la
terre incandescente et révoltée, rouge encore du
feu qui le dévore et tordant ses écailles mal
refroidies autour du fleuve et de l'île sacrée. Mais
celle-ci brille, tranquille et pure, au milieu de cette
nature hostile et convulsée. Elle sourit, la Vierge
intangible et sacrée, avec sa ceinture de mimosas,
ses grêles bouquets de palmes et son diadème de
temples, qu'elle porte comme une parure." extrait de Sanctuaires d'Orient - Égypte, Grèce, Palestine, 1907, par Édouard Schuré (1841-1929), écrivain, philosophe et musicologue français
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