mardi 7 janvier 2020

Le "vigoureux réalisme" de la statuaire égyptienne, par Godefroid Kurth

Cheikh El Beled by Boston Public Library (Wikipedia Commons)
"...la statuaire (égyptienne) s'est émancipée des types conventionnels bien plus que la glyptique murale. Les spécimens que nous en conservons ont une incroyable vérité de vie : voyez les statues de Chéfren et de Chéops, voyez le Scheickh el Béled, le scribe accroupi du Louvre, le nain Knoumhotep, le couple princier Rahotep et Nofrit, le roi Pepi et plusieurs autres. Comme on voit qu'ils ont vécu, et comme leurs images sont restées vivantes !
Quel vigoureux réalisme ! Ne dirait-on pas tels de ces personnages qui se meuvent en chair et en os autour de vous, tant l'artiste a bien saisi le type ambiant et a su le rendre dans toute sa richesse de vie.
L'histoire du Scheick el Béled est, sous ce rapport, bien significative. Lorsque les ouvriers de Mariette l'exhumèrent à Sakkarah
de la tombe où elle était depuis 5,ooo ans, il n'y eut parmi eux qu'un cri : ils avaient reconnu dans cette figure paterne et satisfaite les traits du scheick de leur village et aussitôt ils lui en donnèrent le nom. Le vocabulaire artistique a ratifié ce jugement spontané de la foule.
Les reliefs muraux eux-mêmes, dès qu'ils cessent de camper devant nous les figures conventionnelles des dieux et des rois, nous offrent de merveilleuses représentations de la vie quotidienne. En Égypte comme en Assyrie, les humbles scènes de l'existence vécue au jour le jour, parmi les travailleurs de la ville et des champs, parmi les troupeaux ou parmi les fauves, sont traitées avec une prédilection à rendre jaloux les Pharaons. Sans le secours de la couleur, du relief, de la perspective, avec de simples traits et le seul jeu des lignes, l'artiste évoque devant vous tout le monde des champs et des métiers, toute la hiérarchie du travail, toute la variété de l'existence civilisée dans ses couches profondes. On est confondu du savoir-faire et, pourquoi ne pas le dire ? de l'amour avec lequel l'instrument de l'ouvrier égyptien fait apparaître sur les parois sacrées nos humbles "frères inférieurs", comme disait le poverello d'Assise. Voyez ces ânes égyptiens, si élégants et presque gracieux, ces chiens au corps fin et élancé, ces bœufs paisibles dressant la paire de vastes cornes qui est la "gloire de leur front", comme ils sont vrais ! comme ils vivent ! Voyez ces oies qui sortent de la pyramide de Meidoum, vieilles de cinquante ou soixante siècles : elles se détachent du mur, elles se promènent, elles pâturent ; ne les effrayez pas : elles vont ouvrir les ailes et s'envoler ! Non, sous le rapport de la puissance imitative, l'art égyptien, quand il travaille le genre, n'a laissé pour ainsi dire aucun progrès à faire à la postérité."


extrait de Mizraim : souvenirs d'Égypte, 1912, par Godefroid Kurth (1847-1916), professeur d’histoire médiévale à l’université de Liège (Belgique). Au cours d’un voyage en 1910, il a visité Alexandrie, Le Caire et la Haute-Égypte, en remontant le Nil jusqu’à Philae.

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