mercredi 8 janvier 2020

Le Nil, "père nourricier" de l'Égypte (Joseph Joûbert)

"On the Nile", par John Varley II (1850 - 1933)

"Comme le Nil est grandiose et pittoresque ! C'est une vraie fascination qu'il exerce et à laquelle ne résiste aucun voyageur. On ne se lasse pas de regarder, je dirais presque avec amour, cette "bordure de fil d'or", qui festonne les déserts et dont les franges multiples forment les ramifications du fleuve dans le triangle du Delta. Est-ce que tout d'ailleurs ne conspire pas à faire admirer et aimer le Nil : l'extraordinaire longueur de son cours (6470 kilomètres) qui en fait, après le Mississippi, le roi des fleuves de la terre ; la variété de ses rives verdoyantes ou fleuries, toujours limitées par des solitudes incultes, mais tantôt comme emprisonnées entre de hautes falaises, murailles de grès ou de granit qui les défendent contre l'haleine dévorante du khamsin, tantôt s'élargissant en une vallée plus spacieuse ; la succession de ses mugissantes cataractes, longtemps la terreur des étrangers ; le mystère qui plane encore sur ses sources inconnues, malgré les récentes découvertes d'intrépides explorateurs ; surtout enfin cette merveilleuse périodicité des inondations, richesse du pays que fertilisent les abondants engrais de la crue annuelle !
Les Arabes appellent le Nil el-Bahr, le fleuve par excellence, "le fleuve-roi", la mer. C'est le Jupiter égyptien des Grecs ; pour les anciens habitants de ses rives, sous les Pharaons, c'est Hôpi-Mou, "celui qui a la faculté de cacher ses eaux", par allusion, au retrait de la crue qui se renouvelle chaque année. (...)

Mais avant tout le Nil est le père nourricier de l'Égypte, qu'il a créée, qu'il conserve et féconde encore avec tant de largesse en la gratifiant d'une triple récolte par année. "La nation égyptienne, a écrit le grand géographe allemand Carl Ritter, est le résultat de la nature de la vallée (formée par le fleuve) ; elle es sortie du sol où elle resta enchaînée, comme les statues de ses dieux du porphyre de ses carrières." Rappelons-nous le mot si souvent cité d'Hérodote : "L'Égypte est un don du Nil !" Certes jamais définition ne fut plus exacte dans sa puissante synthèse ; ce pays, en effet, n'est qu'une bande de terre végétale, un long couloir africain, encaissé entre les deux chaînes libyque et arabique, admirable vallée de trois cents lieues qui doit son existence au fleuve.
Au lendemain de la conquête arabe, Amrou, dans un message à son maître le sultan Omar, décrivait ainsi la contrée : "Un aride désert et une campagne magnifique entre deux remparts de montagnes, voilà l'Égypte !" Que le Nil se dessèche, qu'il cesse de couler vers la Méditerranée, et l'Égypte elle-même cesse d'exister, retournant au désert qui la guette comme une proie, prêt à l'engloutir sous ses sables dévorants, contre lesquels le fleuve, À l'instar d'un dieu bienfaisant, la protège depuis des milliers d'années.
On s'explique dès lors facilement le culte, l'adoration dont les anciens Égyptiens entouraient le Nil."


extrait de En Dahabièh, du Caire aux cataractes : Le Caire, le Nil, Thèbes, la Nubie, l'Égypte ptolémaïque, 1894, par Joseph Joûbert (1853-1925?), voyageur, explorateur, conseiller de la Société des études coloniales et maritimes.

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