dimanche 23 août 2020

La "maison d'éternité" des "reines de jadis", par Marie-Thérèse Gadala

tombe de Nefertari


"Maintenant le paysage explique le passé, l'a conservé intact embaumé dans ses plis, dans cette terre momifiée que le soleil dévore, dans cette denture de roches qui troue le ciel, si lourde sur le secret maintenant violé des tombes... de ces trous béants par où entrèrent un jour, peut-être les pieds devant, coiffées, parfumées, parées comme pour une fête, et pleurées sans doute par ceux qui les aimèrent, les belles petites reines de jadis.
Une porte étroite, une pente raide, le jour qui peu à peu se rétrécit, s'éloigne, ce bruit feutré que font nos pas dans un goût de renfermé qui vous prend à la gorge, ce malaise, malgré tout, de se sentir sous terre, là où si longtemps la mort seule a régné. De la lumière ! Elle vient, falote sous forme d’une bougie, la lampe d'Aladin, la lampe merveilleuse sous laquelle tout un monde va paraître sur les murs...
Et voici, chair d’ambre et perruque noir cirage, sourcils ras, yeux immenses, toute menue dans ce maillot pagne qui la moule, si printanière, si droite sous l’uraeus de son front, Nefert-Ari, femme chérie de Ramsès, qui fait sa prière et joue aux dames... Sous cette lueur qui tremble, vraiment ses paupières bougent et tout à sa suite, ces dieux et déesses qui sont déjà pour moi de vieilles connaissances, en bois, en pierre ou en couleur, toujours les mêmes.

L'audace, le réalisme, l'éclat de ces peintures les font croire d'hier, inspiratrices, patronnes de cet art moderne dont, en architecture les temples sont la réplique. Oui, mais l’on étouffe... une angoisse m'étreint... si ce caveau soudain allait se refermer... si quelque reptile familier du lieu, tapi dans l'ombre... Si l'ombre, le double de la petite reine s'évadant un instant de la cage de verre dans laquelle aujourd’hui on l’expose, revenait errer dans cette "maison d’éternité" construite pour elle et qui, aussi menteuse que les choses d’ici-bas, ne resplendit plus que pour nos yeux profanes...

En Égypte, dans la mort comme dans la vie, les rois et les reines n’habitaient pas ensemble. Ils avaient chacun leur vallée et leur tombe. C'est vers celle des rois que nous allons maintenant.
La gorge se resserre, se dénude, les cimes montent. Plus fait pour les chacals, pour les hyènes, que pour nous, ce paysage plus mort que les morts qu'il portait ! La piste s'évase, nous verse dans un cratère. Murailles de fiord, chauffées à blanc, rideau de pierre qui ferme la scène du monde. En fait de grandiose le désert se surpasse... Cette fois le contenant est digne du contenu.
Oui, mais là comme partout, c'est l'homme qui abîme... rien qu'en étant là. Le long de ces falaises toute forées de tombeaux, s'agrippe un essaim de mouches, mouches humaines qui, hélas, qua d on s'approche grossissent, s'agglutinent, obstruent les rampes, font de l'entrée des tombes un escalier de métro...
De nouveau le tunnel, la mine, l’étuve... On descend, on descend... puis soudain, ruisselante d'électricité et d’or, cette salle de fête, somptueusement habillée de versets et de fresques, avec sa voûte tout en étoiles... Boniment du drogman qui récite sa leçon : "C’est ici le tombeau de Séthos Ier, ce roi qui..." Ombres de mes semblables, hélas, ombres qui parlent ! Mais je n’écoute pas, je regarde, je songe... Ce qui existe ici, seul, ce sont les morts."


extrait de Égypte Palestine, 1930, par Marie-Thérèse Gadala (1881-1970), infirmière, écrivaine, résistante, membre de la Société des gens de lettres et de la Société des poètes français. 
Dans La mémoire de Thèbes : Fragments d'Égypte d'hier et d'aujourd'hui, 2015, Christian Leblanc écrit à propos de l'ouvrage de cette auteure : "Ses illustrations en sépia, comme son texte, écrit avec une indéniable poésie, me guidèrent sans peine dans le dédale de cet Orient des pharaons, des califes, des rois-mages, des pierres précieuses et de l'encens, sans oublier cet étrange monde de dieux qui arboraient de bien curieuses têtes animales."

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