mercredi 5 août 2020

"Les Égyptiens bâtissaient pour l'immortalité" (Aug. de Couffon)

photo de Pascal Sébah (1823 - 1886 )

"Au temps où l’Europe, couverte d’épaisses forêts, n'était peuplée que par quelques tribus sauvages ; lorsque la Chine, enveloppée des langes de l'enfance, était encore inconnue ; à l'époque où les nations les plus célèbres de la haute antiquité n'avaient pas encore donné signe de vie ; avant la fondation de Tyr, de Babylone, de Ninive, d'Ecbatane, de Persépolis ; antérieurement aux grandes migrations qui, envahissant les contrées de l'Occident, les remplirent de hordes longtemps ignorées, un peuple nombreux, industrieux et savant occupait les rives du Nil et les couvrait de monuments magnifiques.
Grandement avancé dans les sciences et dans les arts, il présentait alors le spectacle, unique sur la terre, de la civilisation au milieu de la barbarie universelle. D'où venait-il et qui lui avait enseigné sa science sublime ? La question n'est pas éclaircie ; peut-être ne le sera-t-elle jamais. L'Égypte peut également recevoir des colonies par les deux mers qui bordent ses rivages, soit des régions de l'Arménie, où parurent les premiers hommes, soit de l’Inde, qui fut peuplée dès l'antiquité la plus reculée.
C'est là qu'Hérodote, Platon, Pythagore, Diodore de Sicile et tant d'autres allèrent puiser les premiers principes des sciences que les nations occidentales crurent longtemps des inventions de la Grèce ; mais les prêtres égyptiens, jaloux du secret de leur savoir, ne le leur confièrent jamais en entier, et restèrent ainsi de beaucoup les plus doctes entre les hommes. 

Pour se faire une idée de la perfection à laquelle arriva ce merveilleux peuple, il faut imaginer les différents aspects de barbarie qu'ont présentés les nations qui nous ont précédés. Nous croyons être enfin arrivés à un haut degré de civilisation, mais l'antique Égypte, il y a de cela six mille ans, des savants modernes disent davantage, jouissait de toutes ces belles institutions dont nous sommes fiers, et la douceur de ses mœurs ne cédait en rien à celle des nôtres.
Tout porte à croire qu'elle ne dut sa science qu'à elle-même, car elle lui fut particulière, et, ni sa langue ni la forme de ses monuments n’ont été retrouvées chez d’autres peuples.
À une époque infiniment éloignée, lorsque le globe ne contenait encore qu'un petit nombre d'habitants, les heureux possesseurs de la terre de Kémé, comme enfermés dans un pays d'une merveilleuse fertilité par la Méditerranée, la mer Rouge et les deux déserts Arabique et Libyque, se trouvèrent isolés du reste du monde, et purent à loisir, paisibles pendant de longues années, se former en corps de nation, cultiver les sciences et les arts, et devenir l'école supérieure où vinrent ensuite s'instruire les philosophes des nations qui se développèrent après eux.
Il n'est, pour ainsi dire, pas de peuple que l'idée de la divinité n'inquiète et ne tourmente. Les Égyptiens, peut-être plus qu'aucun autre, eurent sans cesse cette grande pensée présente à la mémoire, et la traduisirent en de magnifiques ouvrages destinés à glorifier l'être infini qui pénétrait leurs esprits de son essence incréée.
Une théocratie forte, puissante, savante, révérée, courba à tout jamais leurs fronts sous une règle immuable, et donna à la nation cette teinte religieuse qui la colore si fortement pendant tout le temps de son existence.
Comme expression terrestre de cette pensée, elle couvrit le pays, pendant une longue suite de siècles, des monuments les plus surprenants, les plus vastes, les plus splendides qu'il se puisse imaginer, et c'est d'eux que nous allons essayer de donner aujourd'hui une faible idée. Mais combien de questions s’y rattachent ! (...)

Malgré les immenses dégradations que le temps et surtout les hommes ont fait subir aux monuments égyptiens, ce qu'il en reste suffit pour nous remplir de la plus profonde admiration. Il est impossible de voir les pyramides, Abou-Sembil, Medinet-Abou et surtout Karnac, sans éprouver un étonnement dont rien ne peut faire revenir. En vain, vous errez au milieu des vastes ruines, vous n'arrivez point à vous familiariser avec elles ; votre stupeur reste entière le dernier jour comme le premier. Rien de ce que vous avez vu, si grand voyageur que vous soyez, ne peut vous donner une idée de pareilles proportions, de matériaux aussi précieux, de sculptures et de peintures aussi étincelantes.
Que sont auprès d'eux les monuments de Rome et de la Grèce, quelque parfaits qu'ils aient pu être ? Seul, le Colisée peut lutter avec eux, c'est une lutte de géants.
Cet art architectural égyptien est son père à lui-même, nulle part on ne trouve de constructions qui l'aient précédé, il ne ressemble à aucun autre. Les Hellènes lui ont fait de nombreux emprunts, et les tombeaux de Béni-Hassan ont fourni le modèle de la colonne et de la métope dorique.

Les Égyptiens bâtissaient pour l'immortalité, employant les matériaux les plus durs, les dressant et les ajustant avec une perfection qui n'a jamais été égalée si ce n'est dans le Parthénon d'Athènes. Leurs constructions sont plus majestueuses qu'élégantes ; le sentiment de la force, de la durée et de la solidité y domine. Les lignes des hauts pylônes sont fortement rentrantes et les colonnes des angles sont aussi un peu inclinées en dedans, disposition que nous avons retrouvée du reste dans le temple de Minerve à Athènes." 


extrait "Les monuments de l’ancienne Égypte", par Aug. de Couffon (*), dans la Revue contemporaine - seizième année - 1867.
(*) Qui était cet auteur ? Il m’a été impossible de trouver le moindre élément d’information me permettant de l’identifier. Tout renseignement sera le bienvenu. (MC)

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