dimanche 6 septembre 2020

"Il faut à l'obélisque le Nil bleu et non la Seine, pas plus que la Tamise" (Pierre Trémaux)

obélisque de Louqsor, par David Roberts (1796-1864)

"Nous avancions silencieusement entre ces deux rives où dorment d'imposantes ruines. Après avoir marché quelque temps en amont d’un contour bien prononcé du fleuve, le bateau ralentit son mouvement et s’approcha de la rive orientale. L'édifice qui le premier présenta ses restes à nos regards était celui dont l’obélisque qui décore aujourd’hui la place de la Concorde à Paris a popularisé le nom en France, c'était Luxor, dont on voyait principalement les pylônes, le portique de la première cour et quelques massifs de constructions. Nous mîmes pied à terre pour visiter ces ruines. 
En approchant du pylône de ce monument, nous examinâmes d'abord l’obélisque qui faisait pendant à celui de la place de la Concorde, et que Londres jalouse s'était fait donner par Méhémet-Aly ; mais il attend encore le bâtiment qui doit le transporter dans la brumeuse Angleterre. L’impassible Arabe, en apprenant les projets d'enlèvement de ces obélisques, s'est borné à dire ma-fiche (cela ne sera pas). Si ce ma-fiche a été démenti par la France, il paraît devoir être vrai pour l'Angleterre. Quelle que soit la cause de l'indifférence britannique à cet égard, ce magnifique monolithe paraît devoir dormir longtemps encore dans cette position.
Si quelque chose vivait dans cette masse inerte, combien cet obélisque devrait se réjouir de l'oubli du gouvernement anglais, combien il déplorerait le sort de son compagnon exilé, qui, après quelques années seulement, voit déjà ses flancs se fendre et céder sous l'influence des intempéries du nord ! Il faut à l'obélisque le Nil bleu et non la Seine, pas plus que la Tamise ; il lui faut le ciel ardent et les chaudes caresses des vents du désert, et, à ses pieds, un sol chargé de ruines qui attestent la longue série de siècles qui ont passé sur ses angles sans les user. Là, le voyageur promène son regard avec une respectueuse attention sur les ibis et les signes mystérieux incrustés dans ses quatre faces. Ces caractères très énigmatiques pour ses yeux parlent à son imagination, et font passer devant son esprit les images de l’antique splendeur des Pharaons. Cherchez ces impressions profondes devant l’obélisque remis à neuf de la place de la Concorde, emprisonné dans sa grille dorée. Le bon bourgeois qui en passant y jette un coup d'œil se contente de trouver assez bizarre l’idée qu'ont eue ces Égyptiens d’autrefois de graver l'image de canards sur ce monolithe.
Ces deux obélisques jadis dressés de chaque côté de la porte du palais de Luxor, et à peu de distance en avant des pylônes, étaient comme les tables d'inscriptions hiéroglyphiques placées au frontispice du monument.
Chez les Égyptiens, qui n'avaient pas comme nous les ressources de l'imprimerie pour transmettre l'histoire et les principes de la religion aux générations futures, les obélisques spécialement et les faces des monuments subsidiairement remplissaient autant que possible ce but. Aussi les édifices publics ont-ils eu dans l’ancienne civilisation égyptienne une bien autre importance que de nos jours. Chacune des faces de ces obélisques est couverte d'inscriptions. Toutes les faces des pylônes qui donnent entrée au palais sont chargées de grands sujets et d'hiéroglyphes. Les parois de l’intérieur du monument, et souvent même de l’extérieur, sont de véritables musées où sont gravés dans la pierre des tableaux et des inscriptions de toutes sortes."

extrait de Égypte et Éthiopie, de Pierre Trémaux (1818-1895), architecte, dessinateur et photographe français. Il s’est intéressé à l’urbanisme, au percement du canal de Suez. Il voyagea en Algérie, Tunisie, Haute-Égypte, Soudan oriental et en Éthiopie en 1847-1848. D'Alexandrie, il remonta le Nil jusqu'en Nubie. En 1853-1854, il entreprit un second voyage à but photographique en Libye, Égypte, Asie Mineure, Tunisie, Syrie et Grèce.

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