vendredi 4 septembre 2020

"On dirait qu’en Égypte un secret, dont le mot s’est perdu, nous attend à chaque pas" (Francis Carco)

Statue de Ramsès II Memphis, circa 1875
Statue de Ramsès II Memphis, circa 1875

"Avant tout (...) l'Égypte est une présence : elle émane de l'atmosphère, du sol.
Comme un air imprégné de sel, a spécifié Baudelaire. Des profondeurs cachées où dorment les momies, elle rayonne à travers la lumière des vivants. Chaque atome, chaque parcelle en sont intensément chargés et lorsque, par exemple, on lit dans les journaux qu’à bord des avions qui survolent la Vallée des Rois, les appareils magnétiques tombent à zéro et demeurent bloqués durant les brèves minutes qu’exige cette traversée, tout le monde accepte le phénomène sans même tenter d’en vérifier l’exactitude.
On dirait qu’en Égypte un secret, dont le mot s’est perdu, nous attend à chaque pas. Terre des énigmes, elle les accumule tantôt dans les débris d’un temple, les fragments d’une statue, d’un vase, d’un objet sacré, tantôt dans la personne des "répondants", dans les signes gravés sur les parois d’une tombe, enfin dans les offrandes déposées près du "double" attentif, derrière sa cloison percée d’étroites fentes, à conserver la ressemblance de celui qui le fit exécuter.
Selim Hessen, qui dirige les fouilles de la quatrième Pyramide, m’a montré un de ces "doubles" conservé sous terre dans son propre sépulcre. Il consistait en une statuette polychrome, de dimensions moyennes, comme on en voit dans les salles du musée du Caire, et qui représentait le mort assis, les mains à plat sur les genoux. L’impassibilité du visage, la fixité des prunelles, leur expression sereine conféraient à l’œuvre du sculpteur une sorte de seconde vie, pétrifiée sans doute, mais rayonnante d'on ne savait quelle spirituelle, quelle inaltérable méditation. 
À Sakkarah, les tombeaux du Serapeum étaient vides. Un trou mal refermé, dans l'angle d’une galerie, désignait l'ouverture par où les détrousseurs s’étaient glissés à l'intérieur du souterrain. D’énormes cuves de granit noir gisaient au centre des chambres funéraires réservées aux dépouilles embaumées des bœufs Apis et recouvertes de masques d’or, telle au fond de sa fabuleuse et dernière retraite, la momie de Tout-Ank-Amon. Un éclairage admirablement calculé entretenait sous les voûtes une atmosphère de maléfices. Tout paraissait plongé, hors du temps, hors du monde, en de si mystérieuses profondeurs qu’on ignorait où l’on se trouvait. Or, malgré ces cuves d’ombre, malgré l’apparence de ces lieux de ténèbres où la clarté des lampes de verre dépoli projetait sur les murs de fantastiques reflets, la Présence, cette présence de ce que fut, voilà des siècles, l’ancienne Égypte, nous étreignait jusqu’au malaise. Rien ne saurait en communiquer l'oppression. C’est sur place que le miracle opère. On a beau constater que les colonnes sont mutilées, les plafonds jetés bas, les statues, comme celle de Ramsès à Memphis, renversées, les sarcophages pillés par les voleurs ou les égyptologues, les Dieux n'ont pas quitté leurs temples ni les morts leurs tombeaux."

extrait de Heures d'Égypte, par Francis Carco (1886-1958), né François Carcopino-Tusoli, écrivain français, de l'Académie Goncourt, romancier, poète, journaliste, auteur de chansons.

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