jeudi 29 avril 2021

La description du Caire, par le chirurgien et naturaliste Claude Granger (XVIIIe s.)

illustration de David Roberts (1796-1864)

"Cette ville capitale de l'Égypte a sept milles de circuit, sans y comprendre Boulac, ni le vieux Caire. Sa longitude est quarante-neuf degrés, et sa latitude vingt-neuf et cinquante minutes ; elle est sur la rive droite du Nil. Le nombre de ses habitants est plus grand que celui de Paris, quoique celui des maisons ne soit pas si grand. On compte sept cent vingt mosquées avec minarets et prédicateurs, quatre cent trente qui n'ont ni l'un ni l'autre, et soixante-dix bains publics.
On y voit un collège appelé la Mosquée des fleurs, où l'on enseigne les principes du mahométisme, un peu de logique, d'astronomie, d'astrologie judiciaire, et d'histoire. C'est le siège des quatre pontifes ou chefs des quatre sectes de la Loi, Eschefaii, Maleki, Abali, Hanefi (*), égaux entr'eux, et qui ont beaucoup d'autorité dans la ville. Ce collège est entretenu aux dépens du Grand Seigneur, indépendamment des revenus des legs des bienfaiteurs, dont jouissent les pontifes. Parmi plusieurs sectes qui se sont élevées dans la religion de Mahomet, les quatre dont je viens de parler sont réputées orthodoxes, on peut s'y attacher sans donner atteinte à la foi, selon eux.
La ville est traversée par un canal que Prolomée nomme Trojanus Amnis ; Quinte-Curse Oxius, et les Turcs Merakemi, c'est-à-dire pavé de marbre, il sort du Nil tout auprès du vieux Caire ; ses eaux coulent pendant trois mois, après quoi il devient cloaque ; il forme sept ou huit petits étangs dans la ville et aux environs, arrose les campagnes voisines, et va se jeter dans le lac des Pèlerins à trois lieues du Caire.
Les rues de cette ville sont étroites et sans alignement, non pavées, poudreuses, balayées pourtant et arrosées tous les jours devant les maisons des honnêtes gens. Les maisons sont à plusieurs étages, terrassées, bâties de briques ; les fenêtres qui donnent sur la rue sont grillées et garnies de jalousies, pour que les femmes ne soient pas vues des passants. L'extérieur des maisons n'a rien de beau, et la magnificence des palais des grands consiste à quelques salles pavées de marbre. Dans toute la ville il n'y a qu'une place publique qui est devant le château ; on n'y voit ni arbre, ni fontaine, ni aucun autre embelissement.
Le château est plus vaste que fort, sans régularité. Il est dominé par la montagne du Levant ; la garde en est confiée aux janissaires et aux azabs. C'est le séjour du pacha ; mais il n'y est pas le maître, et la milice l'en fait sortir quand il lui plaît.
Un aqueduc de trois cent vingt arcades conduit l'eau du Nil au château. Cet aqueduc dont parlent Crésias, Diodore de Sicile et Strabon, a été renouvelé par les princes mahométans qui l'ont fait bâtir de pierres taillées en pointe de diamant.
On voit dans le château un puits extraordinaire, nommé vulgairement puits de Joseph et en arabe du Limaçon, à cause de la figure spirale de la descente. C'est un carré de seize pieds de large dans oeuvre sur vingt-quatre de long ; sa profondeur est de deux cent soixante-quatre pieds, mais en deux coupes qui ne sont pas perpendiculaires l'une à l'autre, la premiere coupe a cent quarante-huit pieds, la seconde cent seize. On tire l'eau par le moyen d'une double roue et d'un double chapelet de cruches de terre. Les boeufs employés à faire tourner ces roues descendent à la premiere coupe par une galerie creusée dans le roc qui règne autour du puits du haut en bas ; l'eau de ce puits n'est bonne à boire que dans le temps de l'inondation, après quoi elle est saumâtre, ainsi que celle des autres puits qu'il y a dans la ville.
On compte au Caire sept à huit mille Juifs, plus de vingt mille Coptes, peu de Grecs, d'Arméniens, et de Maronites. Il y a quatre hospices de religieux qui y font la mission et qui n'opèrent pas beaucoup ; ce sont les Cordeliers, les Récollets, les Capucins, et les Jésuites. Il y a deux patriarches d'Alexandrie, l'un pour les Coptes et l'autre pour les Grecs."

(*) on reconnaîtra les quatre écoles sunnites suivantes : chafiisme, malékisme, hanbalisme, hanafisme


extrait de Relation du voyage fait en Egypte en l'année 1730 : ou l'on voit ce qu'il y a de plus remarquable, particulièrement sur l'histoire naturelle, par Claude Granger (16.. - 1737), chirurgien, naturaliste. Son véritable nom était Tourtechot (aucune mention de prénom). Il fit le voyage en Égypte, attiré par son ami M. Pignon, consul de France au Caire, et y fit deux séjours.

L'orthographe de certains mots a été rétablie selon sa forme actuelle.

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