Carte du Caire par Matteo Pagano, publiée dans Civitate Orbis Tarrarum par Braun et Hogenberg, 1572.
"Il y a tant de choses à voir au Caire qu'on en pourrait faire un assez gros volume, et comme j'y ai fait un séjour assez considérable, j'en ai vu une bonne partie ; c'est pourquoi je les mettrai ici selon l'ordre du temps auquel je les ai vues. (...)
Cette ville est mal située, car elle est au pied d'une montagne sur laquelle est le château, de sorte que cette montagne la couvre, et lui ôte tout l'air, en arrêtant le vent, et c'est cela qui fait la grande chaleur étouffante qu'on y souffre, qui engendre tant de maladies, au lieu que si elle était à la place du vieux Caire, premièrement on aurait la commodité du fleuve, qui est de si grande importance, quand ce ne serait que pour boire, car il faut porter l'eau par tout le Caire dans des outres sur des chameaux, qui la vont quérir à Boulac qui est à plus de demi-lieue de la ville, et qui est le lieu le plus proche : d'où vient qu'on boit tant de méchantes eaux au Caire, parce que ceux qui la vont quérir sur leurs chameaux, pour faire plus de voyages, la prennent dans des 'birques' ou mares puantes, qui sont plus proches que la rivière, et (...) ils la vendent bien cher.
Ils auraient encore l'avantage du vent, qui leur viendrait de tous côtés le long du fleuve, de sorte qu'on serait beaucoup moins incommodé de la chaleur ; de plus, le commerce en recevrait grande commodité, en ce qu'on n'aurait pas la peine et le coût de charger les marchandises sur des chameaux, pour les porter de la ville au port, ou du port à la ville. Aussi les anciens avaient bien pris la situation de Memphis sur le bord du fleuve de l'autre côté de l'eau, et depuis on a bâti encore le vieux Caire sur le bord du fleuve en delà l'eau vis à vis de Memphis, et les derniers qui devaient corriger les fautes des autres, s'il y en avait, ont le plus manqué, car je ne trouve point d'autres raisons pourquoi ils aient pris cette incommode situation, sinon peut-être pour joindre leur ville au château, afin d'être sous sa protection.
Le Caire est une fort grande ville remplie de canaille. Il est en forme de croissant, peu large, et c'est à tout que plusieurs se sont persuadés que le Caire fut plus grand que Paris. J'ai fait une fois avec deux ou trois autres Français le tout de la ville et du château ; nous étions sur des ânes, n'osant aller à pied, crainte d'être maltraités, mais nous allions doucement, accommodant le mieux que nous pouvions le pas de nos ânes à celui des hommes, et nous mîmes deux heures et un quart à faire ce tout, qui est d'un peu plus de trois lieues, mais non pas quatre lieues. (...)
Plusieurs personnes ont écrit que le Caire n'a point de murailles, et c'est peut-être ce qui les a fait confondre le Caire avec Boulac et avec le vieux Caire, mais ils n'y ont pas bien regardé, car le Caire est tout entouré de murailles fort belles, et assez épaisses : elles sont bâties de belle pierre encore si blanche qu'on dirait qu'elles seraient bâties tout de nouveau, si on ne connaissait par les grandes crevasses qu'il y en a plusieurs parts, qu'elles sont fort anciennes. Ces murailles sont fort bien garnies de beaux créneaux, et à l'intervalle de moins de cent pas il y a de fort belles tours, capables de tenir beaucoup de gens ; elles ont été bâties fort hautes, mais elles sont présentement toutes couvertes de ruines, qui sont si hautes que j'ai y passé en des endroits où elles cachent les murailles tout à fait (...).
Il est bien vrai que toutes les rues du Caire sont fort courtes et étroites, excepté la rue du bazar et le 'khalij', qui n'est sec qu'environ trois mois de l'année, et encore peu de gens y passent-ils. Il n'y a pas une belle rue au Caire, mais quantité de petites, qui sont des tours et détours ; ce qui fait bien connaître que toutes les maisons du Caire ont été bâties sans aucun dessin de ville, chacun prenant tous les lieux qui leur plaisaient pour bâtir, sans considérer qu'ils bouchaient une rue ou non.
Pour les mosquées, je crois bien qu'il y en a 23 mil, mais de ces vingt-trois mil, il; y en a une bonne partie qui ne sont que de petits trous ou chapelles, n'ayant pas dix pas en carré. Ce n'est pas aussi qu'il n'y ait plusieurs belles grandes mosquées, bâties superbement, et ornées de fort belles façades et portes, et de minarets fort hauts. La plus belle est 'Dgemiel-azem'.
Les maisons du Caire sont à plusieurs étages, bâties en terrasse, comme par toute la Turquie, et on y prend le frais quand le soleil s'est retiré, et même plusieurs personnes y couchent en été. Elles ne paraissent toutes rien par dehors, mais par dedans vous n'y voyez qu'or et azur, au moins dans celles des gens de condition, et la plupart des salles sont ouvertes au milieu du plancher d'une ouverture ronde, par laquelle on reçoit beaucoup de frais, qui est une chose bien précieuse en ce pays-là, et ordinairement au-dessus de cette ouverture est un petit dôme ou 'coupe', où il y a plusieurs fenêtres à l'entour, pour laisser passer le vent."
extrait de Relation d'un voyage fait au Levant : dans laquelle il est curieusement traité des Estats sujets au Grand Seigneur, par Jean de Thévenot (1633-1667), voyageur parisien
"Avec Jean de Thévenot commence la grande époque des voyages, apparaît le type du voyageur professionnel, de celui que nous appellerions aujourd'hui l'explorateur. (...) Cette relation de voyage n'est ni bien écrite ni bien composée. Mais elle reste savoureuse par sa franchise et par la vérité de ses impressions. C'est un tableau pittoresque de l'Égypte, après un siècle et demi de domination turque. L'auteur ne se préoccupe ni de démontrer, ni de coordonner ses notations. Il raconte, et c'est tout..." (Jean-Marie Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, 1956)
L'orthographe a été rétablie selon sa forme contemporaine.
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