photo de Lekegian |
Les bras sont pendants le long du corps ou croisés sur la poitrine, à moins qu'ils ne se détachent pour montrer un attribut, un sceptre, une clef, une coupe, ou un lotus ; mais dans cette pantomime solennelle et cabalistique, la figure fait des signes plutôt que des gestes ; elle est en situation plutôt qu'en action, car son mouvement prévu et en quelque sorte immobile ne changera plus ; il ne sera suivi d'aucun autre.
Cependant, par une compensation qui étonne, il se trouve que cet art égyptien, qui semble retenu dans une éternelle enfance, est un art grand, majestueux, hautement formulé. Il est majestueux et grand par l'absence du détail, dont la suppression a été voulue, préméditée par le prêtre.
Gravée en bas-relief ou sculptée en ronde bosse, la figure égyptienne est modelée, non pas grossièrement, mais sommairement ; elle n'est point dégrossie comme une ébauche ; elle est au contraire finement dessinée, d'une simplicité choisie dans ses lignes et dans ses plans, d'une délicatesse élégante dans ses formes ou, pour mieux dire, dans ses formules algébriques.
Deux choses y sont évidentes et évidemment volontaires : le sacrifice des petites parties aux grandes, et la non-imitation de la vie réelle. Nue, la figure est vue comme à travers un voile ; vêtue, elle est serrée dans une draperie collante, semblable à un second épiderme, de sorte que le nu se découvre quand il est voilé, et se voile quand il est découvert. Les muscles, les veines, les plis et les contractions de la peau n'y sont point rendus, ni même la charpente osseuse. La variété qui distingue les êtres vivants, et qui est l'essence de la nature, est remplacée par une symétrie religieuse et sacerdotale, pleine d'artifice et de majesté.
D'ordinaire, les mouvements exécutés par plusieurs figures sont soumis au parallélisme des membres doubles et paraissent obéir à un certain rythme mystérieux, qui a été réglé dans le sanctuaire invisible, impénétrable. Le plus sûr moyen d'expression dans l'art égyptien est, en effet, la répétition. Quels que soient le naturel et la souplesse d'un mouvement, il devient cérémonial quand il est répété intentionnellement et plusieurs fois d'une manière identique, ainsi que nous le voyons si souvent dans les sculptures de l'antique Égypte. Elle appartient à l'ordre des choses sublimes, cette répétition persistante qui fait de toute marche une procession, de tout mouvement un emblème religieux, de toute pantomime une cadence sacrée.
Le style égyptien est donc monumental par le laconisme du modelé, par l'austérité des lignes et par leur ressemblance avec les verticales et les horizontales de l'architecture. Il est imposant, parce qu'il est une pure émanation de l'esprit ; il est colossal, même dans les petites figures, parce qu'il est surnaturel et surhumain. Il demeure toujours semblable à lui-même, parce qu'il représente la foi, qui ne doit point varier, et, il faut le dire, cette uniformité constante était singulièrement favorisée par l'identité des races au moyen des infranchissables barrières qui séparaient les castes et s'opposaient ainsi à tout croisement.
Enfin le style égyptien est engendré par un principe autre que l'imitation, et c'est volontairement qu'il s'écarte de la vérité imitative, car la faculté de rendre fidèlement la nature n'est pas plus étrangère aux Égyptiens qu'aux Grecs, et la preuve en est dans la vérité saisissante que présentent quelquefois les animaux, comparée à la manière convenue et artificielle dont la figure humaine est exprimée."
extrait de Voyage de la Haute Égypte, 1876, par Charles Blanc (1813-1882), historien, critique d'art et graveur français, membre de l'Académie des beaux-arts et de l'Académie française, professeur d'esthétique et d'histoire de l'art au Collège de France.
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