Tous les souverains qui s'y succédèrent tinrent à honneur d'y élever des temples, des palais, de magnifiques monuments. Elle avait, au temps de sa splendeur, d'après une notion que l'on trouve rapportée dans Diodore, 140 stades ou 26 kilomètres de tour, c'est-à-dire la même dimension qu'avait Paris avant 1860. Homère la nomme fréquemment Thèbes aux cent portes, non qu'elle ait eu cent portes d'entrée, mais sans doute à cause des nombreux pylônes qui décorent l'entrée de ses temples, et qui sont comme autant de portes monumentales, ou d'arcs de triomphe.
Il nous reste de Thèbes des ruines nombreuses et imposantes ; aussi la visite de cette ville forme-t-elle toujours pour les voyageurs le but principal, quelquefois le but unique, d'un voyage dans la Haute-Égypte.
Notre première pensée, en arrivant le soir à Louqsor, est d'aller jeter un coup d'œil sur le grand temple de Karnak. Nous sommes impatients d'admirer le plus vaste et le plus beau monument, non seulement de Thèbes, mais de l'Égypte entière. Il fait nuit ; mais la clarté de la lune nous suffira pour jeter un coup d'œil d'ensemble sur les ruines, auxquelles elle doit prêter un caractère merveilleux.
Du village de Louqsor, nous nous rendons à pied à Karnak, trois amis et moi. Au bout d'une demi-heure de marche, nous arrivons en vue d'une masse imposante de constructions ; nous nous approchons, et nous nous trouvons bientôt au pied d'un immense pylône, qui précède l'ensemble des édifices, et qui se dresse dans le ciel comme un arc de triomphe gigantesque. Nous montons, non sans peine, et en nous aidant des mains et des genoux, sur la terrasse qui le surmonte, et qui est grande elle-même comme une vaste cour. Placés sur ce piédestal, nous dominons tout l'ensemble, et nous restons confondus d'admiration devant le plus merveilleux amas de ruines que l'on puisse voir. Les arcs de triomphe, les statues colossales, les sphinx accroupis, les forêts de colonnes, les obélisques, les grandes salles des temples, se déroulent à nos yeux éblouis, à la vive clarté de la lune, qui ajoute encore à leur aspect fantastique.
C'est ainsi qu'il faut voir Karnak pour la première fois. Nous ne nous lassons pas de parcourir les terrasses supérieures du monument, de redescendre dans les salles des temples, d'en mesurer les énormes colonnes, et de parcourir d'un œil curieux les longues pages de bas-reliefs, à jamais incrustés dans les murailles. Nous entrons ainsi, guidés par le hasard, dans la grande salle hypostyle, la merveille des merveilles. Une forêt de colonnes gigantesques nous entoure, et la fin de leurs longues avenues se perd dans l'obscurité. La clarté de la lune en frappe quelques-unes ; une de ces colonnes a chancelé sur sa base, et est venue s'appuyer sur sa voisine. Des blocs énormes forment le plafond ; plusieurs d'entr'eux se sont écroulés et gisent à terre devant nous ; mais nous n'arrivons même pas à la moitié de leur hauteur.
Quelles mains puissantes ont donc élevé jusqu'aux cieux ces masses énormes de pierre ? à quels dieux a-t-on pu ériger un temple aussi colossal ? Le sentiment du grand et du majestueux nous envahit tout entiers. Une partie de la nuit s'était écoulée dans cette contemplation."
par Émile Dormoy, extrait de la Revue contemporaine, Volume 111, 1870.
Émile Dormoy (1829-1903 ? - s’agit-il de l’ingénieur géologue présenté ici ?) se trouvait en Égypte pour y assister à l'inauguration du canal de Suez. Puis il rejoignit le Caire et, sur invitation du vice-roi, fit partie d'une “expédition” qui remonta le Nil jusqu'à la première cataracte.
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