circa 1897 |
Mes yeux s'arrêtaient sur un amas confus de décombres, de colosses mutilés et de colonnes brisées, qui ne permettent plus de se former une idée juste de l'ensemble de ce bel édifice, mais qui, dans leur état actuel de dégradation, offrent encore les traces de grandeur imposante imprimées à toutes les constructions de l'architecture égyptienne, et dont les dimensions extraordinaires semblent avoir été produites par la volonté toute-puissante d'un génie supérieur, plutôt que par la main de l'homme.
Le style de cette architecture est grave comme le caractère et les mœurs du peuple qui l'avait adoptée ; tout y est simple, imposant, austère et sublime à la fois. Il est évident que les idées religieuses des Égyptiens sur l'immortalité et sur le retour de l'âme dans ce monde, les ont portés à donner à leurs constructions cette solidité et ce caractère grandiose, qui distinguent leurs ouvrages de ceux des Grecs et des autres peuples de l'antiquité. Ils voulaient survivre à la postérité, ils croyaient travailler pour l'éternité et cependant, ces monuments magnifiques, ces temples consacrés aux Divinités protectrices de la nature, s'ils ne sont pas tombés en poussière comme la main qui les éleva, ils n'en sont pas moins dans un état de dégradation qui atteste l'impuissance de l'homme à éterniser l'œuvre de ses mains. Tel est le sort général des choses d'ici-bas ! C'est sur les ruines de Thèbes que toutes les ambitions de cette terre, même la plus noble de celles qui enflammèrent le génie et l'imagination, se trouvent réduites à leur juste valeur ; c'est là qu'il faut venir méditer sur les destinées des peuples, et sur le néant des puissances de la terre ! Cependant, tout en se pénétrant de l'inutilité des efforts de l'homme dans sa lutte avec le temps, la contemplation de ces ruines est loin d'inspirer un découragement complet ; et l'on se dit que l'être capable de si sublimes conceptions et de si grands travaux, est appelé à de plus hautes destinées et à une plus noble ambition ! Le génie survit ici à la destruction, et, semblable au phénix de la fable qui renaissait de ses cendres, l'âme s'élève victorieuse du sein des tombeaux même vers le séjour de l'immortalité.
Nous quittâmes les ruines de Karnak, plongés dans ces méditations et pénétrés d'un sentiment de respect religieux difficile à définir. C'est ainsi que se termina le premier jour passé à Thèbes."
extrait de Mes souvenirs d'Égypte, Volume 1, 1826, par Wolfradine Auguste Luise von Minutoli (1794-1868), épouse de l’archéologue prussien, le général Heinrich Menu von Minutoli (1772-1846), qu’elle a accompagné lors de ses missions de fouilles en Égypte.
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