jeudi 26 août 2021

"La sculpture égyptienne a été considérée et traitée comme un art utile" (George Foucart)

temple d'Isis, Philae - photo MC

"La sculpture égyptienne diffère essentiellement de celle des Grecs en ce qu'elle a été considérée et traitée comme un "art utile", indispensable aux besoins les plus pressants de la vie.
Ni son invention, ni son développement n'ont été la satisfaction
d'aspirations esthétiques. Elle fut créée pour répondre à des nécessités de premier ordre : d’un côté, définir, régler et diriger les rapports avec les êtres divins ; de l'autre, assurer la continuation de l'existence de l’homme après sa mort terrestre : le tout dans des conditions précises, et sans cesse améliorées. Sans les instruments que fournit la statuaire, ni le culte des dieux, ni la vie d’outre-tombe n'auraient pu se développer. (...)
Un coup d'œil, même rapide, sur les œuvres de la statuaire égyptienne suffit pour reconnaître que la recherche du beau pour lui-même, telle que l’a entendue notre monde classique, n’a pu y tenir qu’une place très secondaire. Ce qui a déterminé le choix de telle ou telle forme n'a pas été la préoccupation de la valeur artistique. Le mot n’aurait pas eu de sens assez clair pour un artiste égyptien. Ç’a été la recherche du moyen d'expression adéquat à l'idée religieuse que l'œuvre devait faire vivre. Belle ou laide, la statue est également excellente, dès qu'elle fournit les moyens exacts d'agir sur la divinité, ou d'assurer l'existence posthume de l’homme. Quand le sculpteur égyptien a planté sur un corps humain une tête de crocodile, de chacal, d'ibis ou d'épervier, assurément il s’est peu préoccupé de l'effet plastique d’une pareille combinaison. Comme la tradition religieuse lui imposait ces formes, monstrueuses à notre jugement, il fallait, avant tout, que les fidèles n'eussent pas de doute sur l'identité du dieu auquel ils s'adressaient : il fallait également que celui-ci, reconnaissant son image, vînt s’y incarner sans hésitation. Sinon, elle ne servait à rien, ou, pire encore, elle pouvait devenir le corps d'un esprit malfaisant.
Prenons encore le cas d’un personnage plaçant dans son tombeau, ou consacrant en un temple deux ou plusieurs de ses statues, différentes chacune d'attitude et de costume. D'où s'inspire cette multiplication et cette variété ? De la recherche de l’art ? Non pas. L'idée est que l'homme revit en chacune de ses figures, et que, chacune, par son aspect extérieur, est destinée à affirmer, à perpétuer la possession d’une charge ou d'une dignité distincte. Elles doivent lui assurer, chacune pour sa part, des titres spéciaux à la protection du dieu, du roi, de ses descendants, et une part déterminée, afférente à chacune soit dans les offrandes du sacrifice, soit dans ses revenus d'outre- tombe.
Pourquoi, encore, tous les Pharaons ont-ils rempli les temples de leurs images, agenouillées, assises, debout, en formes humaines ou animales, depuis les colosses jusqu'aux statuettes ? C'est que chacune d'elles exprime, en termes convenus à l'avance, les rapports nécessaires du Roi avec les dieux. Elles le figurent comme leur serviteur, leur fils ou leur incarnation. Et le Roi vit réellement en la qualité que la statue fait ainsi exister à perpétuité ; et il en tire désormais tous les avantages qu’elle comporte, soit dans cette vie, soit dans l'autre. 
Ce n'est pas davantage, enfin, une question d'esthétique ou de choix personnel du sculpteur qui décide l'adjonction de tel ou tel accessoire. Emblèmes et symboles ont tous une valeur précise, fixée par le rituel ; chacun produit des effets certains, - on devrait dire magiques, - sur les rapports entre les dieux et les hommes. Ils garantissent au possesseur de la statue, dès ce bas monde, et, dans l’autre existence, des profits nettement déterminés."

extrait de "La Religion et l'Art dans l'Égypte ancienne", La Revue des Idées, 15 novembre 1908, par George(s) Foucart (1866-1944), égyptologue français, inspecteur des antiquités de la Basse-Égypte, professeur d'histoire ancienne à l'université de Bordeaux, professeur de l'histoire des religions à Aix-en-Provence, directeur de l'Institut français d'archéologie orientale au Caire de 1915 à 1928.


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