mercredi 23 février 2022

"L'art égyptien est surtout typique, amoureux de la symétrie, de la méthode, de certaines conventions" (Pierre-Joseph Proudhon - XIXe s.)

Artist's Gridded Sketch of Senenmut - ca. 1479–1458 B.C.
Metropolitan Museum of Art

"Dans l'antique Égypte, l'homme est immergé dans la nature (...). Sa religion est tout à la fois zoomorphique et anthropomorphique : son art procédera de la même inspiration. Sa langue, toute jeune, formée par analogie, essentiellement figurative ; son écriture, imaginée d'après sa langue, en partie idéographique et en partie alphabétique, comme nos rébus, achèveront d'imprimer à cet art leur caractère.
On trouve de tout dans la peinture et la statuaire égyptiennes : cérémonies religieuses, batailles, triomphes, travaux agricoles et industriels, chasse, pêche, navigation, supplices, scènes de la vie domestique, funérailles, et jusqu'à des caricatures, dérisions de l'ennemi. J'ignore s'ils faisaient des portraits ; il ne paraît pas qu'ils se soient occupés de paysages. 
L'histoire et la vie de l'Égypte, ses mœurs, ses pensées, sont représentées dans ses temples. Rien n'est oublié de ce que l'art peut entreprendre pour servir de monument et de glorification à une société : c'est tout à la fois une constatation historique embrassant un laps de six mille ans et une apothéose. Par le fond des choses et par le but, l'art égyptien a été fidèle à sa haute mission et n'est resté inférieur à aucune autre. Or comment a-t-il rendu son idéal ? Voilà ce qui nous intéresse.
L'art égyptien est essentiellement métaphorique, comme les hiéroglyphes, emblématique, allégorique et symbolique, voilà pour les idées ; il est surtout typique, amoureux de la symétrie, de la méthode, de certaines conventions, voilà pour les figures. Tous les visages de rois, de reines, de prêtres, de guerriers, de simples particuliers, qu'on est d'abord tenté de prendre pour des portraits, autant que j'ai pu en juger sur de simples gravures, se ressemblent : Darius, Cambyse, les Ptolémées, Tibère lui-même, représentés en costume et dans une attitude égyptienne, ne paraissent pas différer d'Aménophis et de Sésostris. Ce sont toujours les mêmes poses, la même physionomie, la même expression conventionnelle. On dirait que les artistes égyptiens ont cru faire honneur à leurs maîtres étrangers en leur donnant les traits de la race indigène, regardée par eux comme la race par excellence, le plus noble échantillon de l'humanité. C'était une espèce de titre de nationalisation qu'ils leur délivraient.
(...)
Joignez à cela une recherche extrême de la symétrie, de la méthode, de certaines règles conventionnelles de pose et de geste que l'on retrouve jusque dans les scènes qui supposent le plus d'agitation, batailles, exercices gymnastiques, fantaisies même ; enfin, la réalité et la symbolique, l'histoire et la mythologie pêle-mêle : et vous aurez une idée générale de l'art et de l'idéalisme égyptiens."


extrait de Du principe de l'art et de sa destination sociale, par Pierre-Joseph Proudhon (1809 - 1865), journaliste, philosophe et écrivain politique français, précurseur de l'anarchisme et penseur du socialisme libertaire.

samedi 12 février 2022

"Les tombeaux des Khalifes, l'assemblage unique des plus gracieux bijoux de pierre que des architectes joailliers aient jamais ciselés" (Guy Vanderquand)

La mosquée Kaït Bey, gravure d'A. Kohl ; dessin de P. Benoist (c.1885)

"La jeunesse, puissamment aidée par les soins dont Raymond (...) entourait (Lucille) - et par la force toute puissante de l’amour - triompha du mal. Toutefois, la convalescence fut longue et pour parfaire la guérison le médecin ordonna un séjour en Égypte.
Lorsqu’ils s’embarquèrent à Livourne la jeune femme était presque complètement rétablie ; ils firent néanmoins le voyage, car Raymond était heureux de cette occasion qui allait lui permettre d'évoquer une civilisation disparue, une contrée dont les lumières rayonnèrent en gerbes éblouissantes pendant des siècles sur le monde antique.
Pendant un mois, ils promenèrent leurs rêveries sur le Nil bleu et traversèrent la terre des Pharaons d’un bout à l’autre, s’attardant souvent parmi les ruines des cités glorieuses maintenant endormies dans l’éternel silence.
Un soir, aux environs du Caire, la cité grouillante et bruyante de tapage humain - étrange et belle à miracle, une apparition surgit à leurs pieds, merveilleuse dans son recueillement nocturne ; c’étaient les tombeaux des Khalifes, l'assemblage unique des plus gracieux bijoux de pierre que des architectes joailliers aient jamais ciselés. Égrenés sur la plaine, ils sortaient de l’écrin de sable dont ils ont la teinte de grisaille jaunâtre, au point qu’on les pourrait croire modelés par le vent de désert avec la poussière ambiante.
Mieux que le plein jour la lumière de la lune découpait chaque relief des mosquées funéraires : coupoles en forme de mitres, dômes cannelés, minarets où une dentelle d’arabesques s’enroule sous les balcons ajourés. Les deux coupoles conjuguées de Sultan Barkouk et le minaret élancé de Kaït Bey dominaient la cité des tombes charmantes.
Délabrées et croulantes pour la plupart, ces merveilles ont la séduction des choses frêles, trop fines pour vivre longtemps, et qu’il faut admirer vite parce qu’on les sent qui meurent. Un enchantement de rêve, c’était le seul sentiment qu’éprouvât Raymond. Devant les sépultures sarrasines, il ne retrouvait aucune des impressions que lui avait laissées les autres vestiges de la Fille du Nil ; l’immémoriale et sérieuse nécropole de Memphis lui avait parlé de l’éternité : ici tout était songe d’ombres légères, jeux des génies aériens, roses effeuillées, dentelles déchirées dans un bal de la Mort, chez les princes élégants des Mille et une Nuits. Ces mausolées n’avaient de triste que leur abandon dans le désert et le regret qu’ils donnaient de leur fin prochaine ; des rayons de lune filtraient entre les grandes lézardes, plongeaient dans les plaies béantes des dômes ; sur les carcasses des plus inutiles, on découvrait à peine quelques vestiges des anciennes rosaces : de la face des vieux squelettes, le plâtre était tombé comme un fard.
Lucile et Raymond descendirent dans le vallon et mirent pied à terre devant le premier turbé. (...) Un peu plus loin, deux chameliers dormaient contre un pan de mur de Sitti Khaouand. Au delà de ce point il n’y avait plus trace d’êtres vivants, jusqu’aux coupoles de Sultan Barkouk, la grande mosquée située à l’avant-garde du campement funéraire de Mameluks.
Ils allèrent regarder l'un après l’autre ces édifices harmonieusement dissemblables dont quelques-uns atteignent la grandeur à force de noblesse dans la fantaisie. À cette heure, ils avaient le langage expressif des monuments qui nous parlent dans l’air immobile de la nuit. Leurs profils s’enlevaient sur le ciel pur, baignés par une clarté si vigoureuse qu’elle portait durement les ombres sur le lit de sable, encore tiède de la chaleur du jour. Par moment, sous les flots de vie que cette nuit d’Égypte épandait sur la prestigieuse vision, Raymond ressentait ces défaillances qui accablent le cœur devant trop d’inutile beauté, inutile pour la masse des hommes, mais non pour lui puisqu’il pouvait verser dans un autre cœur l’infini de sensations trop lourd pour un seul.
- Nous sommes chez les morts, murmura Raymond, chez les bons et non point chez les mauvais - et il montrait les tombeaux des Khalifes ; les morts qui ont fait ressusciter en nous ce que les autres voudraient étouffer.
- Raymond, restons avec eux, répondit Lucile, prise elle aussi par l’infinie grandeur des choses ; il n’y a plus de monde ; il y a le désert que notre amour emplit ; et autour de nous la mort, qu’il défie. Ne sens-tu pas descendre sur l’univers la vie que notre amour crée dans les profondeurs lumineuses de ce beau ciel ?
Et longtemps, dans la nuit auguste, les deux voix alternèrent les hymnes de l’extase, les soupirs de félicité qu’elle entend et confond, l’indifférente nuit, avec les cris de douleur qui montent vers son trône noir au même moment, de la même force, les uns contrepesant les autres dans les balances de quelque obscure justice. 
Le hennissement d’un cheval vint rappeler aux deux amants l’existence du monde ; ce bruit les fit souvenir du grand ennemi de l’amour, le Temps, qu'aucun baiser, aucun soupir n’arrête.
- Est-ce qu’il est bien tard, Raymond ? Hélas ! pourquoi faut-il que cette nuit finisse !
- Qu’importe ? Le soleil de demain se lèvera si beau !
(...) À plusieurs reprises, ils se retournèrent, ne pouvant se résoudre à quitter des yeux la mosquée de Kaït Bey, les coupoles bleuissantes sous la clarté liquide, toute la ville fée des tombeaux où leurs cœurs venaient de renaître. (...)
Leur plaisir favori était aussi de longues promenades sur le Nil, aux soirs tombants : la brise qui précède et accompagne la crue du fleuve soufflait dans les branches des oliviers et secouait les palmes des dattiers ; les longues feuilles des latanias s’agitaient comme de grands éventails et les bruits mourants de la ville se mêlaient au chant de la brise.
C'était l’heure douce où la rêverie enveloppe les plus amères pensées et leur prête un peu de charme des choses environnantes, comme elles, mystérieuse, imprécise, inachevée.
Aucune contrée du monde, pas même sa patrie revue après une longue absence ne donnait autant d’émotion à Raymond que cette vénérable terre d’Égypte et le Nil était pour lui comme pour les contemporains de Khéops un être animé, un dieu, l’Hapi.
D’où lui venait cette vénération qu’il avait toujours ressentie depuis le temps où, bambin, on le menait, les jours de pluie, errer à travers les sarcophages de granit du musée égyptien du Louvre ? Il n’en savait rien. Le musée était devenu pour lui un véritable temple ; c’était là qu’il avait d’abord déchiffré les premières inscriptions hiéroglyphiques, guidé dans ce travail par une aptitude instinctive. Il connaissait l’histoire de la vieille Égypte et était aussi habile qu’un scribe à dessiner les caractères de sa langue mystérieuse.
Par une singulière disposition d’esprit, il lui était arrivé souvent d’éprouver plus d’orgueil des victoires de Ramsès que de celles de Napoléon et les invasions du roi d’Assyrie Asarhaddon ou de l’éthiopien Tahargon étaient plus pénibles pour son cœur que les malheurs éprouvés par la France pendant la guerre de Cent ans.
Au milieu des innombrables tombeaux et des pyramides, pareilles à de géométriques tumuli, il sentait son cœur battre dans sa poitrine et il lui semblait que du sol, enveloppé déjà dans son manteau de brume, les Pharaons et les princes Memphites allaient surgir de leurs sarcophages enluminés. Une crainte respectueuse le prenait en face de ces éternels palais de la Mort qui étendaient leur ombre sur les champs de maïs."

extrait de Amour maudit, par Guy Vanderquand (1870-19..), romancier

vendredi 11 février 2022

"L'art égyptien a, de lui-même, une telle puissance qu'il s'impose malgré tout" (Marcelle Werbrouck)

"un chef-d'oeuvre d'un autre âge : le grand temple d'Abou Simbel"


"Comment parler de l'art égyptien ? C'est, malgré tout, un grand méconnu, car beaucoup ne peuvent s'empêcher de le comparer à une pensée ou une technique moderne. La différence est énorme entre les étranges artisans qui travaillaient sous les pharaons, fils du soleil, et nos gens de métiers d'art.
Ainsi trahi par les copistes, les commentateurs ou les critiques, l'art égyptien a, de lui-même, une telle puissance qu'il s'impose malgré tout. Ses moyens d'expression, auxquels tout de suite on applique les épithètes d'hiératisme et de monotonie, ne l'empêchent pas d'être souple et divers, et de donner à chacun, en une communion intime où tout l'être s'épanouit, ce que chacun peut demander à la traduction de la nature par les hommes et à l'expression du beau.
Un voyageur, pour la première fois de sa vie, qui compte déjà nombre de lustres, remonte le Nil aux vastes eaux. Dans ses lectures, dans ses études, dans ses loisirs, il a senti sa pensée se fixer de préférence sur les hauts sommets où trône l'idéal de majesté.
Il ne sera pas déçu par l'Égypte, car il verra apparaître, dans la gloire du jour ou la splendeur de la nuit, les pylônes et les obélisques de Karnak et les centre trente-quatre colonnes de la salle hypostyle au pied desquelles "l'imagination s'arrête impuissante".
Sur la rive ouest, dans la Thèbes des morts, Medinet Habou reprendra, éloquent et grave, ce thème de majesté. Ses vieilles pierres usées du passage des chars pharaoniques ont gardé la résonance des triomphes qui suivirent les luttes épiques. Plus haut encore, vers la cataracte écumante, c'est Edfou. Son pylône admirable, sa grande cour où veille le Faucon, son couloir d'enceinte ou la descente vers le nilomètre donnent encore plus d'ampleur à la majesté des traditions.
Voici l'homme d'affaires qui descend du bateau. Il demande à l'Égypte de lui faire oublier, pour quelques semaines, ses préoccupations. Dès sa première excursion, il est saisi. Les pyramides de Guizeh se sont dressées sur leur socle naturel. Il cherche des précisions, s'empare des chiffres donnés, refait les calculs... et puis s'arrête, s'humilie, impressionné de cette démonstration irréfutable d'un âge de force et de discipline, à l'organisation impeccable. Si notre homme peut encore dérober quelques jours à l'emprise des affaires, il s'en ira à plus de mille kilomètres vers le Sud, retrouver la même impression de force dans un chef-d'oeuvre d'un autre âge : le grand temple d'Abou Simbel.
Mais pourquoi les âmes de simplicité et de lumière n'auraient-elles pas leur heure aux monuments pharaoniques ? Elles verront apparaître à Saqqarah, à Beni Hassan les lignes très pures des colonnes et des portiques. Pas de phrases écrasantes, pas de démonstrations péremptoires, mais simplement le jeu d'ombre et de lumière dans un rythme normal, apaisant. Leurs soeurs, portées vers une poésie plus sensible, ne pourront se rassasier de l'éloquent appel des portiques de Philae, dont les chapiteaux émergent des eaux comme des fleurs d'holocauste et qui, dans le doux clapotis des barques, semblent une Ys désolée, lançant un suprême appel.
Les fervents, eux, s'arrêtent à Louqsor. Quel monument a plus d'atmosphère religieuse que ce temple harmonieux ? La première cour rassemble, ordonne, prépare. Puis, c'est la procession qui s'organise sous les grands papyrus épanouis et, tout coup, après le recueillement de ces minutes, c'est la montée des hymnes vers le ciel, avec l'ascension des colonnes aux lignes dressées vers l'infini. À nouveau, le silence, car voici, après l'hypostyle et les salles de plus en plus réduites, la halte du sanctuaire des barques et l'escalier du Saint des Saints.
Mais la nature humaine a besoin de se dérider. La jeunesse souriante entre dans les tombes : la belle lumière lui est enlevée ; le spectacle pittoresque de la vie du fellah s'évanouit... Non, non. Les tombes thébaines ont parfois des couleurs si vives et si fraîches qu'on les croirait peintes d'hier pour quelque fête joyeuse où l'animation ne manque pas.
Quant aux mastabas de la nécropole memphite, ils recèlent tant de traits d'humour que l'on pourrait en faire un gros recueil.
N'oublions pas, pour les raffinés, toutes les joies que peut donner un temple d'Abydos ou de Deir el Bahari, où l'élégance des portiques s'harmonise à celle des reliefs ; ou bien, dans une autre note, le réalisme curieux, parfois émouvant, de l'art d'el Amarna.
Il reste encore, pour ceux qui ne seraient pas satisfaits de tout cela, deux impressions vraiment inoubliables. Celui qui remonte le Nil, du Caire à Louqsor, voit, dans le dernier quart de sa route, s'élever, au bord de la plaine fertile, un petit édifice étrange. C'est Denderah, le centre du culte d'Hathor. Les cryptes, les chapiteaux, le kiosque du toit, les reliefs des chambrettes, tout concourt à vous faire vivre quelques heures de ces préliminaires d'initiation aux grands cultes antiques.
Partout, enfin, les chantiers de fouilles vous font assister aux péripéties de la vie mi-sportive, mi-érémitique des chercheurs.
Lorsque, par le train ou le bateau, vous aurez ainsi parcouru l'Égypte, il vous restera un devoir à remplir : la visite du musée du Caire. Ce ne sera pas le morne défilé des objets mutilés, sans âme. Tout ce que l'imagination a dû suppléer dans la visite des sites éparpillés au long du Nil se trouve là dans une réalité touchante. Les statues, les fragments de reliefs, les bijoux, les mille objets d'art industriel feront passer le visiteur du musée par toutes les phases d'émotion d'un lecteur qui, dans une bibliothèque de choix, prendrait tour à tour entre ses mains les chefs-d'œuvre des classiques, des romantiques, des parnassiens et des décadents.
Pour celui qui se défend de faire de la littérature, il y a, malgré tout, la vision éloquente et précise d'une vie de prince dans les objets curieux du trésor de Tutankhamon.
Mais l'Égypte mystérieuse et insondable prend, tôt ou tard, sa revanche. Si vous avez pu passer, indifférent, dans les ténèbres des tombes royales, vous irez, tout de même, la soirée dernière avant votre départ, vous recueillir auprès du Sphinx. Malgré les travaux récents, malgré les certitudes archéologiques qui lui donnent un nom et presque une date, il reste le grand symbole du mystère. Est-ce parce que son créateur l'a fait très impassible ? Parce que sa face émoussée peut prendre les traits de l'idéal de chacun ? C'est probable. Mais c'est, avant tout, peut-être, parce que, depuis des temps fabuleux, il est là, les yeux fixés vers la lumière.
Le paquebot nous emportera loin de la terre des Pharaons, la vie moderne nous reprendra, mais souvent, aux heures de détente, notre esprit se tournera, comme la face du Sphinx, vers la lumière qui monte."


extrait de "L'indépendance belge, supplément sur l'Égypte, à l'occasion du voyage de LL. MM. le Roi et la Reine des Belges", 1930, par Marcelle Werbrouck (1889 - 1959), première femme égyptologue belge, secrétaire de la Fondation égyptologique "Reine Elisabeth".

samedi 29 janvier 2022

Le musée de Boulaq, "un des plus beaux titres de gloire" de Mariette, par le vicomte Jacques de Rougé

Statue du pharaon Khephren, exposée au Musée égyptien du Caire - photo Marie Grillot

"Allons jusqu'à Boulaq, faubourg et port de la capitale actuelle de l'Égypte. Là s'élève le musée créé par Mariette et qui restera un de ses plus beaux titres de gloire.
La description de toutes les richesses contenues dans le musée de Boulaq nous entraînerait trop loin ; je me bornerai donc à arrêter votre attention sur deux séries de monuments qui doivent vous intéresser plus particulièrement, c'est-à-dire les monuments de l'Ancien-Empire et la collection des bijoux.
Avant les fouilles de Mariette, on ne possédait que peu de monuments datant les premières époques de l'histoire égyptienne : à peine quelques échantillons en étaient-ils répandus dans les musées d'Europe et particulièrement au musée du Louvre. Cependant, mon père, avec cette justesse de vue qui a toujours caractérisé ses travaux, avait déjà fait remarquer combien l'art de cette époque, contemporaine des Pyramides, portait un cachet de force et de vérité, qui ne devait plus se retrouver aux époques postérieures. Les trouvailles de Mariette sont venues confirmer et compléter cette appréciation. Quelques-uns de ces monuments ont été apportés à Paris, lors de l'exposition universelle de 1867 : ceux d'entre vous qui ont visité alors le petit temple égyptien doivent se rappeler la statue en diorite du roi Chéfren, le fondateur de la seconde pyramide de Gizeh, et particulièrement cette merveilleuse statue en bois représentant un personnage debout, un bâton à la main. La physionomie de cette dernière statue était si particulièrement vivante que les fellahs crurent y reconnaître le portrait du maire de leur village, et lui donnèrent immédiatement le nom de Scheik el-Beled, qui lui est resté depuis. 
La collection des monuments de cette époque est considérable au musée de Boulaq, et témoigne de l'élévation de l'art sous le premier empire égyptien. Les sculpteurs ne sont arrêtés ni par la dureté de la matière, la statue de Chéfren en fait foi, ni par la finesse des détails, témoin les bas-reliefs des tombeaux ; dans les statues, les têtes sont de véritables portraits, et leur attitude n'a pas toujours cette raideur conventionnelle que nous trouverons par la suite. 
À la vue de cette perfection de l'art égyptien primitif, une pensée se présente d'elle-même à l'esprit: la civilisation de l'Égypte semble à son origine, puisque ces monuments sont l'oeuvre des dynasties que les Égyptiens eux-mêmes nous désignent comme les premières de leur histoire. Comment peut-il se faire alors que ce peuple apparaisse tout à coup avec un art merveilleux, produisant des chefs-d'oeuvre qui ne seront pas renouvelés, et une science architecturale assez parfaite pour diriger la construction des pyramides ? Ce problème n'est pas résolu et
mérite toute l'attention des savants et des historiens.
La collection de bijoux du musée de Boulaq est également unique au monde. Une seule trouvaille a suffi du reste pour lui faire un fond inestimable. Dans les fouilles entreprises sur la rive gauche du Nil à Thèbes, les ouvriers de M. Mariette trouvèrent le cercueil d'une reine de la la XVIIIe dynastie, nommée Aah-Hotep. Ce cercueil contenait, outre la momie intacte de la reine, une collection vraiment merveilleuse de bijoux : colliers, bracelets, diadème, pectoraux, etc. À côté de la momie se trouvait une hache de commandement, dont le manche était en bois de cèdre recouvert d'une épaisse feuille d'or : des hiéroglyphes y sont découpés à jour et donnent le nom du roi Ahmès, probablement le fils de reine Aah-Hotep. Le tranchant de la hache est de bronze, orné d'une feuille d'or, sur laquelle sont gravées des scènes représentant le roi Ahmès foulant à ses pieds les ennemis de l'Égypte.
Parmi les pièces les plus curieuses se trouvait une petite barque, garnie de son équipage, et montée sur un chariot à quatre roues. La barque est d'or massif ; les rameurs, au nombre de douze, sont d'argent également massif. À l'avant un personnage est debout sous une cabine ; à l'arrière le timonier tient la grande rame qui servait de gouvernail : ces deux personnages, ainsi que le commandant qui est au centre, sont en or.
Si l'on réfléchit que ce petit monument date de 1600 ou de 1700 ans avant notre ère, on peut le considérer comme la pièce d'orfèvrerie la plus ancienne connue jusqu'à ce jour."


extrait de Voyage aux bords du Nil, 1881, par M. le vicomte Jacques de Rougé (1841-1923
), égyptologue, issu de la branche cadette, dite du Plessis-Bellière, de la maison de Rougé. Il est le fils du vicomte Olivier Charles Camille Emmanuel de Rougé (1811-1872), également égyptologue, dont il publia les travaux.

vendredi 28 janvier 2022

Les rites funéraires de l'ancienne Égypte, par Camille Flammarion

Papyrus de Hounefer - Livre des Morts (British Museum)

"Aux portes de Thèbes, Karnac et Luxor développaient leurs splendeurs sur la rive droite du Nil, tandis que, sur la rive gauche, les palais et les temples conduisaient à la cité des morts, plus peuplée encore que la cité des vivants, car l'Égypte est la surface d'un immense, prodigieux et opulent cimetière, où tous les corps étaient embaumés pour la vie future, même ceux des esclaves.
Mille sphinx reliaient Karnac à Luxor. Le palais de Karnac était soutenu par cent trente-quatre colonnes, dont quelques-unes ont un chapiteau capable de recevoir cent hommes debout. Douze d'entre elles mesurent vingt mètres de hauteur. C'est une forêt de pierres, à travers laquelle la lumière qui descend d'en haut n'arrive que divisée, oblique, mystérieuse, étrange. Les images peintes sur les colonnes, vivement coloriées, animent l'immense salle silencieuse.
À Luxor, deux obélisques élevés par Ramsès même, ornaient l'entree du portique (c'est l'un de ces deux monolithes que nous admirons aujourd'hui sur la place de la Concorde).
Sur l'autre rive du Nil, le Ramesseum, avec ses trente colonnes aux chapiteaux en forme de calice, avec sa porte principale couverte d'une plaque d'or pur, était une somptuosité. Le colosse de Ramsès II, qui y trônait, pesait plus d'un million de kilogrammes.
Des salles immenses, admirablement décorées, sont creusées dans le roc de la montagne, lointaines et profondes, pour enfermer des tombeaux. Elles ne sont habitées que par des statues en bas-relief, aux yeux d'émail ouverts sur la nuit. Les embaumés sont enfermés par des portes de pierre scellées au sceau sacré, à l'abri de la cupidité des vivants et des injures de l'atmosphère, car ils doivent attendre, intacts, la vie ultérieure.
Dans la religion égyptienne, l'âme dépendait du corps, même après la séparation ; elle le reflétait de loin dans ses avatars, elle ressentait par delà le temps et l'espace ses mutilations et ses flétrissures ; son individualité spirituelle tenait à l'intégrité de sa dépouille matérielle. De là ces soins infinis du cadavre et l'inviolabilité qu'on lui attribuait. Lorsqu'on ouvre un sarcophage qui, dans la pensée des prêtres, ne devait être revu par aucun mortel, lorsqu'on déshabille une momie, on reste confondu d'admiration et de respect devant la sincérité, devant la minutie des soins avec lesquels le mort a été enseveli, vêtu, orné, sanctifié d'amulettes et de souvenirs, dans des cercueils consécutifs de bois de diverses essences, ornementés eux-mêmes en dedans et en dehors de dessins, de peintures, de préceptes, de vœux conformes à la carrière parcourue par le défunt et aux espérances pour sa vie future. (...)
Là, constamment, dans la cité souterraine, travaillaient les embaumeurs, sous la surveillance de prêtres lugubres ceints de peaux de panthères, coiffés de masques de chacals. Les cadavres passaient par toutes les phases de l'embaumement, chacun suivant sa classe et sa fortune. La toilette funèbre d'un roi ou d'une reine était d'une complication fantastique. Peintres, orfèvres, coiffeurs paraient les corps embaumés comme pour une fête nuptiale. Les femmes étaient couchées en de chastes attitudes, souvent dans la pose de la Vénus de Médicis, voilant leurs charmes pour le mystère même de la tombe. Une jeune mère, trouvée dans la nécropole de Thèbes, serre sur son cœur une petite momie d'enfant nouveau-né. On polit les ongles, on allonge les sourcils, on dore les seins, on natte les cheveux. Ces soins extrêmes eurent, eux aussi, leurs revers dans les grossières passions de quelques vils ouvriers, car dès l'époque des Ramsès, il semble qu'on ait parfois hésité à livrer les corps des jeunes femmes entre ces mains corrompues et que, pour éviter toute profanation sacrilège, on ait attendu les signes précurseurs de la décomposition avant d'ordonner l'embaumement. Mais pendant cinq mille ans peut-être, l'embaumement n'en fut pas moins général. On embauma même les animaux."


extrait de Clairs de lune, 1924, de Camille Flammarion (1842-1925), astronome français, "
apôtre de la science (qui) travailla toute sa vie à répandre dans toutes les couches de la société sa passion de l’étude et de l’observation des phénomènes de la nature" (Société astronomique de France)

vendredi 21 janvier 2022

"La pompe errante et triomphale - Ondule dans l'horreur des temples ruinés" (José-Maria de Heredia)

par Frederick Arthur Bridgman (10 novembre 1847 - 13 janvier 1928)

La Vision de Khèm

I

Midi. L'air brûle et sous la terrible lumière
Le vieux fleuve alangui roule des flots de plomb ;
Du zénith aveuglant le jour tombe d'aplomb,
Et l'implacable Phré couvre l'Égypte entière.

Les grands sphinx qui jamais n'ont baissé la paupière,
Allongés sur leur flanc que baigne un sable blond,
Poursuivent d'un regard mystérieux et long
L'élan démesuré des aiguilles de pierre.

Seul, tachant d'un point noir le ciel blanc et serein,
Au loin, tourne sans fin le vol des gypaètes ;
La flamme immense endort les hommes et les bêtes.

Le sol ardent pétille, et l'Anubis d'airain
Immobile au milieu de cette chaude joie
Silencieusement vers le soleil aboie.

II

La lune sur le Nil, splendide et ronde, luit.
Et voici que s'émeut la nécropole antique
Où chaque roi, gardant la pose hiératique,
Gît sous la bandelette et le funèbre enduit.

Tel qu'aux jours de Rhamsès, innombrable et sans bruit,
Tout un peuple formant le cortège mystique,
Multitude qu'absorbe un calme granitique,
S'ordonne et se déploie et marche dans la nuit.

Se détachant des murs brodés d'hiéroglyphes,
Ils suivent la Bari que portent les pontifes
D'Ammon-Ra, le grand Dieu conducteur du soleil ;

Et les sphinx, les béliers ceints du disque vermeil,
Éblouis, d'un seul coup se dressant sur leurs griffes,
S'éveillent en sursaut de l'éternel sommeil.

III

Et la foule grandit plus innombrable encor.
Et le sombre hypogée où s'alignent les couches
Est vide. Du milieu déserté des cartouches,
Les éperviers sacrés ont repris leur essor.

Bêtes, peuples et rois, ils vont. L'uraeus d'or
S'enroule, étincelant, autour des fronts farouches ;
Mais le bitume épais scelle les maigres bouches.
En tête, les grands dieux : Hor, Khnoum, Ptah, Neith, Hathor.

Puis tous ceux que conduit Toth Ibiocéphale,
Vêtus de la schenti, coiffés du pschent, ornés
Du lotus bleu. La pompe errante et triomphale

Ondule dans l'horreur des temples ruinés,
Et la lune, éclatant au pavé froid des salles,
Prolonge étrangement des ombres colossales.


par José-Maria de Heredia (1842 - 1905), homme de lettres d'origine cubaine, né sujet espagnol, naturalisé français en 1893.
Il est l'auteur du recueil, Les Trophées, publié en 1893, qui s'inscrit dans le mouvement parnassien. C'est de ce recueil qu'est extrait le sonnet ci-dessus.

mardi 11 janvier 2022

L'amenti - "L'obscure profondeur des maisons éternelles", par André-Charles-Romain de Guerne

Cheikh Abd el-Gournah © Raimond Spekking / CC BY-SA 4.0 (via Wikimedia Commons)

L'Amenti

La Montagne de l'ouest, les rivages du Fleuve
Et le rocher libyque où, dans sa tombe neuve,
Sous des bandes de lin, parmi les noirs parfums,
Dort le peuple embaumé des Osiris défunts,
Retentissent de cris et de sanglots funèbres.
Un cortège sans fin vers le Lieu des Ténèbres,
Par les rampes des monts et le chemin sacré,
Suit le traîneau mystique où le Mort vénéré,
Cousin royal, Grand Chef d'Ouas, Prophète unique
Serviteur du Taureau, Neb-Seni, véridique,
Allongeant sa momie au fond du coffre épais,
Monte vers le sépulcre et s'étend dans la paix.
Il n'est plus, le Seigneur du Nome héréditaire.
Son âme a dépassé la Porte du Mystère ;
Mais son corps périssable aux mains des embaumeurs
Reste pur et complet, et malgré les clameurs,
Malgré la plaie ouverte et le couteau de pierre,
Ressuscite immortel en sa forme première.
L'acre bain de natrum a corrodé les chairs ;
La résine de cèdre et les parfums amers,
Les aromates noirs, les poudres végétales,
Deux mois, ont imprégné le corps aux membres pâles.
Le cœur et les poumons, le foie et l'intestin,
Dans des vases scellés, marqués du nom certain,
Ont séché, détendus par les quatre Génies,
Sous le lit funéraire où, les jambes unies,
Remplissant tout entier le coffre de carton,
Colliers d'émail au cou, barbe fausse au menton,
Dans le réseau croisé des fines bandelettes,
L'incorruptible mort, avec ses amulettes
Et le rouleau funèbre enclos dans son cercueil,
Solitaire, attendait le jour du dernier deuil.

Le jour suprême a lui. La salle intérieure
De la resplendissante et terrestre demeure
A vu le maître ancien pour la dernière fois.
Les prêtres sont venus. Les sanglots et les voix
Des parents ont mêlé leurs plaintes douloureuses
Aux larmes de la veuve, à l'appel des pleureuses,
Au monotone chœur des fils désespérés,
Qui vont, le front meurtri par leurs poings lacérés,
Souillant leur face blême et dans leur chevelure
Semant la boue épaisse et la poussière impure.

À travers Pi-Amen, dans l'ordre habituel
Réglé pas les Grands Dieux et le saint Rituel,
Le cortège éploré déroule en longue file
Sa pompe accoutumée aux portes de la ville.
En tête, transportant les meubles du tombeau.
Le lit, les coffrets peints, le siège et le flambeau.
Les figures d'émail, les vases, les offrandes.
La bière fermentée et les pains et les viandes,
Marchent les serviteurs que Neb-Seni vivant
Aveuglait de rayons comme un soleil levant.
Et derrière eux, parmi les pleureuses, le Prêtre
Parfume avec l'encens le char pompeux du Maître.

Mais le Nil vénéré traîne ses flots divins
Et les radeaux emplis nagent vers les ravins
Et les rocs, surplombant la rive occidentale
Où la crypte s'enfonce en une nuit fatale.
Le mort s'embarque, il vogue et, passager d'un jour,
Voyage vers le puits du ténébreux séjour,
Tandis que sur les eaux le battement des rames
D'un rythme intermittent scande le chant des femmes.

Les pleureuses

Laissez, ô matelots, laissez, laissez encor
Pendre les avirons au long des barques d'or !
Qu'il ne s'éloigne pas, qu'il demeure à sa place,
Le mort silencieux qu'un triple voile enlace.
Ô vous qui reverrez le seuil de vos maisons,
Ne hâtez point vos pas vers d'autres horizons
Attendez ! Mais, hélas ! la barque Osirienne
Emporte loin d'ici son âme avec la mienne.
Il part ! Vers l'occident et l'impalpable lieu
Tu navigues, parfait, dans le vaisseau du Dieu,
Pour aborder au port de la double Justice,
Ô toi, vivant hier, véridique et sans vice !
Toi que servaient jadis des esclaves nombreux,
Oublié, sans escorte, abandonné par eux,
Parcours, ô Voyageur, la grande solitude !
Tes pieds, liés ensemble, ont perdu l'habitude
De suivre dans les champs le chemin des travaux.
Et voici qu'aujourd'hui, ceint de langes nouveaux,
Tu gis, comme un enfant qu'on porte et qu'on balance,
Dans l'immobilité de l'éternel silence.
Pleurez ! Pleurez ! Pleurez ! ô lamentables cris !
Toi veuve au sein voilé, toi mère aux cheveux gris,
Menez le deuil farouche et, déchirant vos membres,
Roulez vos corps meurtris contre les murs des chambres !

La flotte aborde enfin ; le cortège a passé.
Dans l'ordre primitif, loin du Nil traversé,
Il décroît lentement et s'allonge et circule
Par les sentiers rugueux où, dans le crépuscule,
Aux flancs des monts abrupts, taillés en escaliers,
Les images des morts s'alignent par milliers.
Et toutes, sur des blocs côte à côte rangées,
Gardiennes du repos au seuil des hypogées.
Sans gestes, sans regards, comme un peuple d'aïeux,
Accueillent le Défunt vénérable et pieux
Qui vient, dans l'ombre sainte, habiter auprès d'elles
L'obscure profondeur des maisons éternelles.

Salut, tombeau secret ! Le voyage est fini
Que sur l'heureuse terre accomplit Neb-Seni.
La demeure est ouverte et la stèle est plantée
Les aliments sont prêts, l'offrande est apportée.
Le chacal Anopou dresse le coffre étroit
Devant la porte basse où Neb-Seni, tout droit
Dans la gaine de cèdre aux lourdes planches peintes,
Entend monter vers lui l'écho mourant des plaintes,
Et comme un hôte cher, voilé du masque bleu,
Reçoit le dernier pleur et le suprême adieu.
Le prêtre a répandu l'eau purificatoire,
Et le crochet de fer emmanché dans l'ivoire
A successivement frôlé les yeux éteints
Du cadavre, la bouche et les pieds incertains
Et tout ce qui vivra, comme aux jours de la vie,
Dans la béatitude éternelle et ravie.

Et lui, le Mort très pur, le Prophète inspiré,
Le Chef que pleure encor Pi-Amen, est entré
Dans sa tombe divine où la nuit préalable
Garde jusqu'au réveil la chair inviolable.
La porte est close ; il dort. Neb-Seni n'entend pas
La clameur décroissante et le bruit du repas
Où ses proches, devant les lugubres murailles,
Boivent au long banquet le vin des funérailles,
Tandis que, se penchant sur des harpes de deuil,
Des chanteurs au front ras chantent l'antique orgueil
De sa gloire, et la vie après la sépulture
Au sein des Dieux cachés, dans la splendeur future.


extrait de Les siècles morts - L'Orient antique, par André-Charles-Romain de Guerne, dit le Vicomte de Guerne (1853-1912), poète français