jeudi 5 mars 2020

Le Nil "délimite le milieu physique du fellah, l'Égypte vivante" (Henry Habib Ayrout)


photo Abdullah Frères - Vichen (1820-1902), Hovsep (1830-1908) et Kevork Abdullahian (1839-1918) -
photographes ottomans d'origine arménienne
"Pour porter des fruits, la terre doit s’abreuver. Elle doit aussi respirer. Par les crevasses verticales que ses rayons d'été dessinent sur le sol plat, le soleil pourvoit à l’hygiène des champs en jachère. Il aide à leur dessalement, les ameublit et leur assure une profonde aération. La terre est ainsi déshydratée, renouvelée...
Nous voyons donc le Nil, aidé par le soleil, préparer, et déjà cultiver le pays. Il délimite, du fait même, le milieu physique du fellah, l'Égypte vivante.
En effet, là où il ne pénètre pas par-dessus ou par-dessous, le désert commence brutalement, sans zone de transition. Les conventions des atlas, qui montrent sur la carte d'Égypte un mince ruban vert sur un large fond d’ocre se vérifient exactement ici.
Du haut de la Grande Pyramide, aux environs du Caire, ou au Saïd (Haute-Égypte), de n’importe quel point de vue on est frappé par la netteté de la ligne de partage : là s'arrêtent l'habitation et le travail de l’homme.
Une vallée plate entre les falaises du désert libyque et du désert arabique, longue de 1.500 km., large de 1 km. à Ouadi Halfa, de 5 km. à Edfou, de 14 km. environ entre Louqsor et Assiout où elle se resserre de nouveau, de 25 km. à Beni Souef, d’où elle se ramifie à l’ouest (Fayoum), étalée sur 260 km. de front dans le Delta, en tout 32.000 km2 de bonne terre, au milieu d’un million de km2 de sables stériles, - trois pour cent du territoire total - voilà l'Égypte vivante et nourricière.
Le Nil en a tracé la silhouette. Il nous apparaît, comme un lotus géant dont les racines (Nil blanc, Nil bleu) plantées au cours de l'Afrique, dans les hautes montagnes d’Abyssinie et les grands lacs du Congo, poussent, dès Khartoum, la sève d’une tige unique, qui pénètre, étroite, en Égypte à Ouadi Halfa, ne verdit qu’à Assouan, pousse une feuille à Beni Souef (- Bahr Youssef - Fayoum), fleurit au Caire et s’épanouit en ramure innombrable sur les deux branches de Rosette et de Damiette, rejoignant la Méditerranée à travers la frange des lacs de Mariout, Edkou, Borollos, Manzalé qui, de l’ouest à l’est, bordent l'embouchure du fleuve.Enclose entre deux déserts, au delà desquels se dressent les frontières politiques, la Vallée du Nil est d’un "physique" essentiellement agricole. Sa vie s’exprime sur un seul ton : le vert d’incessantes cultures.
Elles s'étendent en une campagne immense, unique et plate, qui enveloppe les villes et les villages. À hauteur d’homme, et avant la récolte du maïs, par exemple, on ne voit ni le Nil, ni le réseau innombrable des canaux, ni les fossés ni le ballast de la voie ferrée que seuls les poteaux révèlent, ni les maisons basses et groupées... Comme dans les plaines mouillées de Hollande ou de Russie, mais sous un ciel qui ne s’égoutte point, paraît la primauté des cultures et des champs.
Qu'il aille du Caire à Alexandrie ou qu'il remonte au contraire vers le sud, qu’il voyage en barque, en chemin de fer ou en auto, dans le Delta ou dans le Saïd, en été ou en hiver, tout itinérant, en Égypte nilotique, est obsédé par le ton agricole du paysage.
Mais dès qu'il s'éloigne du Nil, vers Suez ou vers les monastères coptes du Ouadi Natroum, le désert l’envahit de toutes parts ; il croit alors changer de pays.
À l’ouest, il rencontrera les oasis bédouines et commerçantes de Kharga, de Dakhla, de Farafra et de Siwa. À l’est, vers les côtes de la mer Rouge, il trouvera des exploitations de pétrole et de phosphates, et des familles de fellahs saïdiens installés là pour les travaux.
Dans cette Égypte excentrique et dépouillée, qui n’est ni la Basse-Égypte ni la Haute-Égypte, seuls ces hommes transplantés rappellent au voyageur la campagne familière qui pour lui, comme pour les neuf dixièmes des Égyptiens, représente le pays."


extrait de Moeurs et coutumes des fellahs, 1938, par Henry Habib Ayrout (1907-1969), jésuite, docteur en sociologie, responsable de l'enseignement catholique en Égypte, fondateur de l'Association de Haute-Égypte pour l'éducation et le développement

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