vendredi 5 février 2021

La vallée des Rois "fut pour les Thébains, sans doute, l'objet d'une vénération superstitieuse et mêlée d'effroi" (Léon Verhaeghe)

Valley of the Kings, Thebes by David Roberts (1796-1864)

"Rien de majestueux comme l'amphithéâtre de montagnes qui enceint la plaine de Thèbes au nord-ouest, et semble une limite tracée par la nature elle-même à la grande capitale égyptienne. Des rochers à pic, absolument privés de végétation, s'élèvent graduellement depuis les bords du Nil jusqu'au pic ardu qui marque le site de la vallée des Rois, et puis, s'abaissant par degrés, vont rejoindre plus loin la chaîne libyque. La beauté de leurs grandes lignes, l'éclat de leurs couleurs, font oublier l'affreuse aridité du désert : c'est un mur de pierre élevé pour défendre Thèbes de ce côté. Les parois escarpées de ces montagnes si bien défendues devaient être choisies pour devenir la nécropole de la grande ville : c'est là que les habitants de Thèbes ont creusé, selon le système de l'ancienne Égypte, leurs tombes sans nombre ; c'est dans une vallée de cette chaîne, la plus reculée, la plus mystérieuse, qu'ils ont enseveli leurs rois. On s'étonne des précautions infinies qu'ils prirent pour dérober ces restes précieux à toute recherche, à toute profanation : en dépit de tant de précautions, on sait quelle curiosité sacrilège a ouvert toutes ces tombes, et jeté au vent les cendres d'un peuple entier. (...)
La gorge de Bab-el-Molouk, aride, brûlante, offre un spectacle de désolation. Elle fait plusieurs détours et arrive enfin à la vallée des Rois, site lugubre de la dernière demeure des souverains de Thèbes. Les rois reposaient là dans la solitude du désert : aucune herbe ne croissait sur leurs tombes, aucun bruit n'y troublait le silence de la mort ; les funérailles royales accomplies, rien n'amenait de visiteurs dans ces lieux reculés, jusqu'à ce que mourût un autre roi. Cette vallée étroitement encaissée fut pour les Thébains, sans doute, l'objet d'une vénération superstitieuse et mêlée d'effroi : c'était une image de l'Amenti, la région souterraine que les prêtres égyptiens assignaient pour demeure aux morts, et le voyage des rois à la sombre vallée des tombeaux figurait la migration des âmes et l'appel à la vie future.
Au fond de la vallée s'ouvrent çà et là les tombes royales. Nulle marque extérieure n'en signale l'entrée : la découverte en est due au hasard ou bien à de patientes recherches. Tout semble calculé pour en faire oublier la trace aux générations à venir. Je ne me fusse pas douté, à quelques pas du premier tombeau, que j'allais voir la terre s'ouvrir, et une longue série de galeries et de chambres sépulcrales s'enfoncer à d'incroyables profondeurs, jusqu'au sanctuaire où reposaient les momies royales, reliques dont la poussière est dissipée depuis des siècles. Heureux les rois thébains dont la dépouille a pu être dérobée aux travaux des archéologues et à la curiosité moins respectable des passants."

Extrait de Voyage en Orient, 1862-1863, par Léon-Francois Verhaeghe de Naeyer (1839-1906), avocat et diplomate belge, gouverneur de la province de Flandre Orientale, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire en Italie, en Espagne, au Portugal, en Chine.

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