mardi 19 octobre 2021

Le chameau, "un animal précieux pour le pays, et une monture fort agréable quand on est parvenu à s'y installer" (Ernest Jacquesson - XIXe s.)

aucune mention de date ni d'auteur pour ce cliché

"L'Européen qui arrive en Égypte par mer, et qui tombe tout à coup, sans transition aucune, au milieu des habitudes et des moeurs d'un pays si différent du nôtre, serait tenté de croire à un rêve, si les palmiers-dattiers qui apparaissent au loin, et les chameaux qui passent sur la place, n'étaient là pour le rappeler à la réalité.
On a beaucoup parlé de l'utilité du chameau, et je suis loin de la contester ; mais j'affirme qu'il n'est rien moins que doux et patient, comme l'ont prétendu certains naturalistes. Il a, au contraire, une inertie de caractère récalcitrante, si je puis m'exprimer ainsi, qui le rend indocile et hargneux dès qu'on veut lui faire faire quoi que ce soit. On voit ces animaux rester immobiles sur leurs jambes des heures entières : leur maître vient et veut les faire marcher, ils montrent les dents et crient ; leur commande-t-il de s'arrêter, ils crient ; de se lever, ils crient encore ; et tout cela en cherchant à mordre, sans toutefois trop se déranger. Il serait difficile de donner une idée de ce cri à ceux qui ne l'ont pas entendu : c'est un grommellement sourd et caverneux, accompagné, pour ainsi dire, de borborygmes ; somme toute, quelque chose de fort maussade. À part cela, c'est un animal précieux pour le pays, et une monture fort agréable quand on est parvenu à s'y installer, ce qui n'est pas une petite affaire.
Vous vous mettez en croupe sur l'animal couché par terre ; il relève fort brusquement ses deux grandes jambes de derrière, au risque de vous culbuter en avant ; il relève ensuite celles de devant, mouvement qui vous précipiterait avec violence par-
dessus sa croupe, si vous ne vous cramponniez au fort pommeau de la selle, qui est disposé à cet effet.
Les Arabes ont l'ennuyeuse habitude de les faire marcher à la file les uns des autres, de sorte que ceux qui les montent ne peuvent jamais voyager côte à côte ; bon gré mal gré, on est ainsi forcé de passer à l'état muet et contemplatif qui plaît tant aux musulmans, et qui est si pénible aux touristes français.
Une caravane un peu considérable est fort curieuse à voir. Les chameaux sont tous reliés entre eux par une corde partant du licol, et se rattachant à l'espèce de selle que celui qui précède porte sur le dos. Ils vont tous au pas, et de loin, dans le désert, on dirait une file de vaisseaux sur une seule ligne, les chevaux et les ânes qui marchent sur les flancs ressemblant à des bâtiments légers. Le chameau est la monture du désert.

Pour les petits voyages, et particulièrement pour les courses dans l'intérieur des villes, ce sont des ânes qui font le service. On les voit circuler, à Alexandrie et au Caire, aussi nombreux que les voitures sur les boulevards de Paris."

extrait de Voyage en Égypte et en Palestine : notes et souvenirs,  par Ernest Jacquesson (1831-1860),
ingénieur civil, ancien élève de l’École centrale des Arts et Manufactures, qui a pu effectuer un voyage en Égypte en compagnie de Ferdinand de Lesseps et des membres de la Commission internationale des ingénieurs, se rendant sur les lieux pour étudier le percement de l'isthme de Suez.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.