vendredi 19 juillet 2019

Escale à Rosette, avec le Guide Joanne

Detail of City of Rosetta by L. Mayer

“Rosette (en arabe “Rachîd”, qui n’est que la transcription du nom copte “Rchit”), fondée par un des khalifes en 870, vraisemblablement sur les ruines d’une ville antique, est située sur la rive O. de la branche occidentale du Nil (anc. branche Bolbitine), à 10 k. de l'embouchure. Elle était jusqu'au commencement du XIXe s., le port principal de l’Égypte. Son importance à toujours été en raison inverse de celle d'Alexandrie. (...)
De toutes les villes du Delta, Rosette est celle où l’architecture civile en briques est le mieux représentée.
“Râchid, la ville jadis si commerciale et si florissante, aux mosquées nombreuses, aux maisons originales et gracieuses avec leur appareillage en briques roses et noires, exerce encore aujourd'hui, malgré les ruines et le délabrement, un charme profond sur le voyageur qui sait voir et le dédommagera amplement, même après un séjour au Caire, des petits ennuis du voyage.
“La ville actuelle n’occupe qu’une partie de son aire primitive, car des monticules de sable en couvrent tout le quartier de l’O., les autres quartiers ont aussi beaucoup souffert de la ruine naturelle causée par l'abandon. Il ne manque pas non plus d'habitants que l’appauvrissement a réduits à démolir leurs maisons pour en vendre les matériaux.
“Les mosquées répondent à un type très particulier : les quatre ‘liouanât’ s’y réduisent à une halle carrée couverte d’un plafond en bois que supportent des colonnes : mais le tombeau est sous coupole, comme dans le reste de l'Égypte. Le minaret complète cet ensemble assez modeste par une disposition à deux étages et une seule galerie. C’est surtout dans le portail et le mihrâb qu’on a plaisir à retrouver le sens ingénieusement décoratif des Arabes. Ces mosquées sont souvent ornées de faïences connues dans le pays sous le nom de ‘zilizli’. Aucune ne remonte avant l’an 1000 de l'hég. (1591). (...)
“Les maisons, hautes parfois de cinq étages et plus, entièrement construites en briques apparentes et formant de longues rues, sont encore ce qui caractérise le mieux cette ville. Ces maisons ne répondent pas toutes au même type ; elles se distinguent surtout par leur mode d’encorbellement. Tantôt le premier étage s’avance au-dessus du rez-de-chaussée qu'il abrite, en s’appuyant sur des colonnes provenant d’édifices antiques ; tantôt l’avant-corps est formé par les étages supérieurs au moyen d’élégantes consoles ou d’une gorge assez ample en briques bicolores finement appareillées ; souvent encore chaque étage accuse une faible saillie, ajoutant ainsi à l’aspect inaccoutumé des rues. L’aversion de l’uniformité se manifeste aussi dans la variété des motifs de menuiserie employés pour le grillage des fenêtres. La même maison offre parfois jusqu'à vingt motifs différents, depuis la grille à larges mailles jusqu’à la moucharabiyèh la plus délicatement travaillée. Les portes y sont, non moins que dans les mosquées, l’objet d’un soin tout particulier, dont on trouve la trace dans l’appareillage des briques et dans la décoration des tympans formée d’une sorte de mosaïque de briques et de terres cuites d’un effet ravissant.” (Max Herz.)
Les remparts de la ville ne sont pas sans intérêt. On peut les suivre à l’extérieur et dans tout leur pourtour : à l'O. se trouve une porte flanquée de deux tours, d’un caractère architectural tout particulier ; elle doit être contemporaine des plus anciennes constructions de la ville, c’est-à-dire de la fin du XVIe siècle.
Les jardins de Rosette, situés sur les deux rives du Nil en amont de la ville, sont de délicieux vergers donnant, par l’abondance des fruits et des fleurs, le spectacle d’une plantureuse fertilité.”
(extrait du guide Joanne, 1900)

Le lac Menzaleh, par Georges Ebers


“Je visitai le lac avec des pêcheurs du bourg maritime d'El Matarîyéh. Il est grand, semé d'îles, et séparé de la mer par une langue de terre fort mince. Il égale en superficie le duché de Saxe-Meiningen, et est si richement peuplé d'oiseaux de toute espèce, que le savant Brehm affirmait qu'ils consommaient chaque jour pour leur nourriture soixante mille livres de poisson. L'histoire bien connue du baron de Münchhausen qui, avec la baguette en fer de son fusil, avait percé et embroché d'un bout à l’autre toute une bande de canards, paraît ici moins invraisemblable : surtout au temps de la couvée, des masses innombrables d'hôtes ailés habitent les petites îles et les fourrés de roseaux du lac. (...)
Canards, oies chenalopex, cigognes, hérons, pélicans, ‘Abou monâs’ et flamands aux riches couleurs, dont quelques chasseurs seulement parmi les gens de Menzaléh connaissent les stations, mouettes, hirondelles de mer, aigles et faucons dorés ou noirs qui tuent à leur tour les meurtriers ailés du poisson, se trouvent assemblés par légions dans ce paradis d'oiseaux.
Le chasseur, qui va d’île en île, peut ici faire un butin immense, surtout lorsqu'il sait diriger son petit bateau de sa propre main. L'eau est presque partout peu profonde et ne submerge les îles les plus basses que pendant le temps de l’inondation. Les plus hautes de ces îles sont nommées ‘Gebel’, “montagnes”, par les pêcheurs.
Des images ineffaçables d’un monde où la main de l’homme ne s’est encore fait que peu sentir, d’une nature exubérante comme aux premières époques, calme et pourtant riche de vie, s’imposèrent à mon esprit, tandis qu'un bateau pêcheur de Matariyèh grossièrement ponté me promenait sur ce lac, qui aujourd'hui encore fait la joie du chasseur, et peut-être, nous pouvons dire certainement, un jour, dans quelques dizaines d'années, sera rendu à la culture.”
(extrait de “L’Égypte”, traduction de Gaston Maspero, 1883)

La mosquée Ibn Touloun, au Caire, par Gaston Wiet


Illustration de Pierre Tremaux (1818 - 1895 ), ca 1858


“Nous méditerons, dès l'abord, sur la mosquée fondée il y a plus de mille ans par le premier prince indépendant de l'Égypte musulmane.
Le monument conçu par Ahmed ibn Tulun “reflète une âme rude, ambitieuse et superbe” : il nous émeut par son art sobre et vigoureux et, en outre, comme le premier et brillant effort d'une autonomie nationale. On y trouve la gravité du sentiment religieux : l'on y est ému de la magnifique simplicité du plan, simplicité qui n'a pas empêché l'architecte de jouer du contraste de la lumière de la cour avec la pénombre des nefs, accentuée par la masse des piliers. À l'intérieur, au milieu d'un espace si pur qu'il vous imprègne de recueillement, on est plongé dans une atmosphère de méditation religieuse, grâce à la hauteur des arcades, à l'harmonie des lignes, et à la mystérieuse profondeur des nefs. La sévérité des arcades, déjà compensée par les fenêtres qui semblent les alléger, est amenuisée par la frise de rosaces qui couronne le sommet des murs. Les quelques parcelles de la décoration sur stuc qui ont subsisté font penser à des artistes d'une gaucherie voulue : ils ont créé un répertoire linéaire que les générations futures ne feront qu'enrichir. Le minaret reste curieux, avec son escalier hélicoïdal ; le campanile original devait, comme celui de Samarra, en basse Mésopotamie, posséder une pente douce tournant autour d'un axe de briques.”
(extrait de “Les Mosquées du Caire”, 1966)

La mosquée Sultan Hassan, au Caire, par Gaston Wiet


“Le collège du sultan Hassan marque le point culminant de l’art mamlouk. Ce bâtiment inattaquable, solidement installé sur ses bases, s’élance vers le ciel avec un calme impérial : il est comme le symbole de l’Islam, envisagé sous l’angle de la majesté. Un architecte, aux idées nobles et véhémentes, a su réaliser une entreprise, dont l’exécution soignée, sans emphase, avec une éloquence dépourvue de boursouflures, vient dignement couronner la hardiesse du projet. (...)
C’est par un couloir étroit, deux fois coudé, que l’on débouche dans la cour centrale, et l’on est saisi par une découverte imprévue, insoupçonnée. On est précipité au sein d’une clarté prodigieuse, qui ne laisse d’ombre nulle part, malgré la profondeur du ‘liwan’ du chœur. En haut de ce vaste puits formé par les quatre murailles, le ciel semble irréel dans sa splendeur, et le bleu est accusé par la blancheur éclatante des murs. On est ébloui par la profusion de la lumière, par l'aspect vertigineux des arcs de la cour.”
(extrait de “Les Mosquées du Caire”, 1966)

Le Khân el-Khalîli, au Caire, par Walter Tyndale, peintre orientaliste


The store of Nassan Khan al-Khalili, Cairo, 1912, by Walter Frederick Roofe Tyndale


“Presque en face de nous maintenant, se trouve l'entrée du Bazar turc appelé Khân Khalîl. Construit en l'an 1300 par le Sultan mamelouk El Ashraf Khalîl, il est depuis cette époque le centre commercial de la vieille ville, bien que son importance ait fort diminué du jour où plusieurs de ses gros commerçants ont installé de somptueux magasins très modernes dans les nouveaux quartiers. Cet endroit est, de toute la ville, certainement le plus curieux, et celui où la vie est le plus intense…
Le porche par lequel on pénètre dans le quartier des cuivres, avec son ornementation serpentine, est très beau. Les couleurs originales ont presque entièrement disparu, mais ce qu'il en reste s'harmonise d'une façon charmante avec le brun et l'or pâle des pierres sculptées. Il serait difficile d'imaginer un cadre plus ravissant, ou mieux approprié aux lampes, vases, cache-pots et services en cuivre ciselé, exposés sur des étagères de chaque côté de l'entrée. De grandes lampes pendent tout le long de l'allée qui conduit au porche, et c'est vraiment un spectacle merveilleux.”
(extrait de “L'Égypte d'hier et d'aujourd'hui”, 1910)


Le Musée égyptien du Caire, avec Gaston Maspero et le Guide National Geographic




“Le Musée égyptien du Caire est entièrement l'œuvre du Service des Antiquités, mais combien y en a-t-il parmi les visiteurs qui sachent comment il fut créé et l'histoire de ses années premières ? L'œuvre est là avec ses statues colossales, ses blocs de granit ou de schiste taillés en sarcophages, ses milliers d'objets rares et précieux, sans qu'ils soupçonnent le labeur immense qu'elle a exigé, ni l'effort de volonté presque surhumain qui a été déployé pour la maintenir et pour la continuer une fois fondée, dans un pays qui n'avait pas le respect de ses monuments et où les gouvernements ne commencèrent à s'inquiéter que fort tard de conserver les vestiges de leur passé glorieux.
Dès le XVIIe et le XVIIIe siècles, les cabinets de curiosités des souverains, et des riches particuliers renfermaient d'ordinaire quelques stèles, quelques statues de dimensions médiocres, des figurines de divinités, des fragments de papyrus, mais, de préférence, les objets qui caractérisent encore les civilisations du Nil aux yeux de la foule, des scarabées, des statuettes funéraires, des cercueils et des momies. Toutefois, on ne les y trouvait qu'en petit nombre, et la difficulté des transports ne permettait pas qu'on rapportât les morceaux lourds dont parlaient les rares voyageurs qui s'étaient aventurés jusqu à la première cataracte.
L'expédition de Bonaparte et l'avènement de Mohammed Aly rendant les ruines de Thèbes plus accessibles aux Européens, le goût des érudits et la mode se portèrent sur les choses de l'Égypte. Les consuls accrédités auprès du Pacha se firent antiquaires avec passion : ils obtinrent de lui des firmans qui les autorisaient à exploiter les nécropoles, et leurs agents, les Yanni, les Athanasi, les Rifaud leur expédièrent d'année en année de véritables cargaisons de monuments antiques. (...) Ce fut un pillage effréné qui dura plus de trente ans et contre lequel les savants ne se privèrent pas de protester. Champollion, qui vit les fouilleurs à la besogne de 1828 à 1830, mesura l'étendue du mal qu'ils faisaient et proposa le remède : dans un mémoire qu'il remit à Mohammed Aly en 1830, quelques jours avant son départ pour la France, il réclama l'établissement d'un service de conservation des antiquités de l'Égypte.
S'il eût été écouté, bien des édifices aujourd'hui détruits auraient été conservés à l'admiration et à l'étude, mais les consuls et les résidents étrangers, auxquels il enlevait le moyen de s'enrichir, le représentèrent comme un révolutionnaire dangereux, et le Pacha, qui tenait à ne pas les mécontenter, ensevelit le mémoire aux archives de l'État. Néanmoins, l'idée était entrée dans son cerveau : elle y germa et elle finit par éclore cinq ans plus tard.”
(extrait de “Guide du visiteur au Musée du Caire”, par Gaston Maspero, 1915)

“On peut dater la création du Musée égyptien du Caire de 1835, date à laquelle Méhémet-Ali décida de mettre fin au pillage des sites archéologiques en concevant le futur Service des antiquités ainsi que l’idée d’une collection permanente d'objets d’art dans la capitale. Pendant quelques années encore, jusqu’en 1858 environ, les premières collections d'objets se présentaient sous forme de dépôts disséminés dans différents édifices.
Ensuite, sous l'impulsion d’Auguste Mariette, le Service des antiquités destiné à
découvrir et à préserver les monuments antiques fut officiellement constitué.(...) Nommé directeur du Service des antiquités en 1858, Mariette réussit à faire transformer des locaux de l’ancienne compagnie fluviale, dans le quartier de Boulaq, pour créer le noyau du futur Musée égyptien du Caire, avant que les collections égyptiennes, qui ne cessaient de s'enrichir, pussent être conservées dans un lieu digne de les accueillir au cœur de la capitale.”
(extrait de l’introduction du guide National Geographic “Les trésors de l’Égypte ancienne au Musée égyptien du Caire”, 2001)

Le Caire, par Gabriel Charmes

 Circa 1895, vintage photochrome

“Il faut aimer la vie orientale, les rêveries prolongées et les contemplations sans fin, pour se plaire longtemps au Caire. En huit ou quinze jours, on peut avoir vu tout ce qu'il y a de remarquable dans cette ville ; mais, si l'on veut s'imprégner de son esprit et en analyser le charme séducteur, de longs mois ne sont pas de trop. Pour mon compte, j'en ai passé cinq dans une inaction à peu près complète, sans m'ennuyer une seconde, sans regretter l'activité européenne, dont on se déshabitue si vite sous un climat endormant. Les plaisirs actuels du Caire sont cependant bien peu variés.
Visiter pour la centième fois le Khan­ Khalil, se reposer sous les ombrages de l'Esbekieh, faire une partie d'âne le long du Nil, aller voir coucher le soleil du haut de la colline du Mokatam, errer sans but dans des ruelles qui ne finissent jamais, passer des heures entières à contempler un détail d'architecture, un groupe pittoresque, un délicieux assemblage de couleurs, etc. etc. quoi de plus monotone en apparence ! Mais, si l'on a l'imagination et le cœur remplis de fantaisies orientales, si l'on est poursuivi par les souvenirs des “Mille et une Nuits”, si, d'ailleurs, l'esprit est excité par l'observation d'un monde tout nouveau, on ne sent pas le temps s'envoler ; il glisse sans laisser de traces, les journées succèdent doucement aux journées, et, lorsqu'on veut se rendre compte de la manière dont on a vécu durant une semaine, on s'aperçoit souvent, après un examen de conscience rigoureux, qu'on ne s'y est pas occupé d'autre chose que d'un palmier dont la cime se balançait au vent, ou d'une teinte particulière qui, chaque jour, à la même heure, venait colorer de nuances légères les ondulations du désert lointain.”
(extrait de “Cinq mois au Caire et dans la Basse Égypte”, 1880)