textes d'égyptologues et de voyageurs sur l'Égypte ancienne et contemporaine
mardi 22 septembre 2020
Une "trop brève, mais inoubliable excursion" en Égypte, par Jean-Baptiste Samat
lundi 21 septembre 2020
"On comprend que les Égyptiens aient déifié le Nil" (Louis Piérard)
"J'hésite à rédiger ce livre que l'on m'a demandé avec une aimable insistance. Peut-être aurais-je eu moins de scrupules, après une première visite au Caire, à Louksor et Assouan, s’il s'était agi exclusivement de noter ce pittoresque extérieur qui frappe l’Européen à peine débarqué à Port-Saïd ou Alexandrie. Et pourtant... Même s’il n’est question que de ces vives images, comment oublier qu'il ne s’est trouvé jusqu'ici aucun grand peintre pour fixer sur la toile la couleur véritable de ce pays mystérieux et fascinant ? Delacroix ou Decamp nous ont rapporté d’Alger des chefs-d’œuvre.
Mais quel grand paysagiste a rendu exactement la qualité de ces gris-argent des rives du Nil que j'admirais chaque matin au Caire en traversant le grand pont au bout duquel s’érige la statue de Saad Zaghloul, l'apôtre de la Libération nationale, - que tout un peuple idolâtra. La lumière du Delta (où la terre est plus fertile et la densité de population plus forte que partout ailleurs au monde) rendrait à l'artiste la tâche plus facile. C'est le matin, par chemin de fer, plutôt que par la route, qu'il faut se rendre du Caire à Alexandrie. Le vert du berzim, les roses ou les rouges d’un fichu, d’un turban, le bleu d'une galabieh, tout cela chante d'une façon à la fois franche et délicate dans le jour diaphane. Mais il y a le noir des vêtements de femmes, de ces femmes bibliques ou grecques, comme on voudra, qui portent sur la tête une cruche ou une corbeille et s’avancent avec une souplesse, une majesté, une grâce incomparables. Oui, il y a ce noir dans le soleil, le noir dont Tintoret dit que c’est la plus belle des couleurs. Les chameaux se découpent sur la ligne d’horizon avec une netteté singulière. De la route stratégique du désert, on les aperçoit à des kilomètres de distance et l’on se demande si l’on n’est pas victime d’un mirage. On voit trottiner les petits ânes infatigables, dans le poil desquels les Arabes dessinent parfois, avec les ciseaux, des décors géométriques cousins de ceux des velours du Kassaï. Aux norias dont les godets montent l’eau des canaux d'irrigation, sont attelés les buffles aux cornes recourbées que l’on voit dans les reliefs des tombes de Sakkara ou de la Vallée des Rois. Les felouques voguent lentement sur le Nil toujours proche et les voiles gonflées par la brise légère sont comme de gigantesques papillons posés sur la plaine bariolée. De temps en temps - souvent - apparaissent les petites villes ou les villages avec leurs minarets fragiles dominant le troupeau des maisons basses, en boue séchée. On se demande si le moindre souffle ne va pas faire s’évanouir, se dissoudre en poussière ces constructions sommaires.
C’est la terre d'Égypte, don du Nil. Chaque été, le fleuve gonflé par les pluies de l’Afrique équatoriale, sort de son lit et submerge pour quelques mois la vallée étroite, laissant après l’inondation ce limon fertile dans lequel on n’a qu’à semer, après que le fellah l’aura gratté avec une charrue primitive, une araire dont le type n’a pas changé depuis cinquante siècles. Deux et parfois trois récoltes. J'ai vu moissonner l'orge fin février, près de Louksor. Le coton et la canne à sucre font la richesse du pays. Il y a en outre les riz et les céréales d'Europe, et les légumes, tous les légumes, et les fruits, tous les fruits : oranges, citrons verts, bananes, dattes, fraises, poires ou pommes. Ne parlons pas de la vigne. Un célèbre fabricant de cigarettes l'a plantée dans une oasis qu'il a créée en plein désert. On y fabrique un vin qui s'appelle, s'il vous plaît, "le cru des Ptolémées... (...)
On comprend que [les Égyptiens] aient déifié le Nil. C'est un véritable émoi religieux qui s'empare d'eux au moment de la crue. Qu'on y songe : le fleuve ne reçoit pas un seul affluent dans la traversée d'un immense territoire sur lequel il ne pleut jamais."
jeudi 17 septembre 2020
"Il y a là toute l'histoire de la civilisation de l'Égypte" (Amédée Baillot de Guerville, à propos du musée égyptien du Caire)
Le Musée occupe aujourd'hui un immense palais, admirablement situé et dont la construction vient seulement d'être achevée.
On y trouve des merveilles sans nombre, que la pioche des savants égyptologues a arrachées aux mystérieuses cachettes où elles avaient dormi paisiblement pendant des siècles. Il y a là, entassée dans les vastes salles et remontant à des milliers d'années avant Jésus-Christ, toute l'histoire de la civilisation de l'Égypte. Ses rois et ses reines, ses princes et ses princesses, ses soldats et ses prêtres, ses guerres et ses conquêtes, ses deuils et ses fêtes, ses arts et ses jeux - tout cela est là sous forme de momies aux masques d'or, de statues de pierre, de granit, de bronze, de bas-reliefs admirablement sculptés, de tablettes commémoratives, d'animaux, de fleurs, de meubles, d'ustensiles de toute espèce.
Je ne connais rien de plus émouvant que ces temples du passé, où sont réunis tout ce qui a été la vie et, hélas ! la mort de peuples grands et puissants - tout ce qui a fait la gloire, le bonheur et les tristesses de ceux qui, il y a trente, quarante, cinquante siècles, jouissaient, tout comme nous le faisons aujourd'hui, de ce beau soleil vivifiant et de la vie qui conduit au néant !
Les statues, les vases, les autels, les pierres à sacrifices, les sarcophages, les bas-reliefs, tout cela, le confesserai-je, me laisse bien indifférent, mais je suis attiré par un attrait invincible vers toutes les vitrines qui contiennent les bibelots que touchaient chaque jour, il y a des milliers d'armées, les mains souples et nerveuses alors, raidies et desséchées aujourd'hui, de ces formes humaines qui dorment ici même, dans des boîtes à momie, le sommeil qu'est venu brutalement interrompre notre civilisation chercheuse, farfouilleuse et irrespectueuse des morts. Ici ce sont des objets de toilette, là de délicieux bijoux, prouvant quels fins orfèvres vivaient trois ou quatre mille ans avant notre ère. Des bagues, des boucles d'oreilles, des chaînes, des couronnes, des diadèmes, des pendants, des pièces exquises en or finement ciselé et incrusté de pierreries, qui ont orné des princesses et des femmes belles, puissantes, aimées. Ah ! parlez donc de l'art nouveau et des horreurs qu'on fait aujourd'hui en son nom, et je vous crierai : "Venez, venez voir ce que les vieux Égyptiens faisaient et quel goût sûr et exquis ils déployaient !"
Et mon émotion augmente encore quand mes yeux étonnés s'arrêtent sur des fleurs desséchées et admirablement conservées, des fleurs qui, par une matinée ensoleillée, sortirent de terre il y a des milliers d'années, furent cueillies par une main alerte et heureuse de vivre, des fleurs auxquelles des lèvres amoureuses confièrent peut-être des paroles de tendresse et d'espoir !
Ah ! Seigneur, se peut-il que tout cela, qui fut l'essence de la vie d'un peuple, soit venu jusqu'à nous, pour nous rappeler à travers les siècles passés toute la vanité des espoirs terrestres !
Amen ! me crierez-vous. Soit, n'en parlons plus. Laissons les morts à M. Maspéro et à ses savants collaborateurs, et filons vers l'air, la lumière, le mouvement, la vie."
mardi 15 septembre 2020
"Le tombeau de Ti est bien une des choses les plus étonnantes que j'aie jamais vues" (Edmond Cotteau)
Comme on a pu s’en assurer par la lecture des inscriptions hiéroglyphiques gravées sur les parois des chambres funéraires, ce Ti était un personnage important, quelque chose comme le Ministre des travaux publics, le conseiller intime du monarque ; issu d’une humble origine, il s'était élevé au premier rang, grâce à la faveur royale.
On le voit visitant ses fermes, procédant au dénombrement de ses troupeaux, s’adonnant aux plaisirs de la chasse ou de la pêche, recevant les offrandes de ses serviteurs, etc. Ces diverses scènes, soigneusement peintes et gravées en relief, sont du style le plus pur. La peinture n’est pas effacée, les contours sont nets et les couleurs encore très vives ; il semble vraiment que l'artiste vienne de terminer son travail. Et dire que toutes ces merveilles que nous admirons à la lueur d’un bout de bougie, ou bien à la lumière du magnésium, étaient destinées à rester éternellement ensevelies dans les ténèbres!"
extrait de "Six semaines sur le Nil", revue Le Tour du Monde, 1894, par Edmond Cotteau (1833-1896), globe-trotter, journaliste et photographe français, membre de la Société de géographie. C'est en 1892 qu'il visite l'Égypte.
samedi 12 septembre 2020
"En Égypte, les œuvres les plus antiques sont les plus belles de toutes" (Edmond About)
vendredi 11 septembre 2020
Mariette-Bey "honore la France, l'Égypte, l'humanité" (Edmond About)
Il était conservateur des antiques au musée du Louvre et connu du monde savant par quelques travaux estimés, lorsque le duc de Luynes eut l'idée de l'envoyer ici pour des fouilles. Il se donna la tâche de découvrir les tombeaux des Apis, plus introuvables assurément dans le désert que la planète Neptune dans le ciel. Durant quatorze mois, il vécut en plein sable, près de Memphis, sous un baraquement provisoire qui mériterait d'attirer tous les savants en pèlerinage. Les dépenses et les lenteurs de l'entreprise découragèrent le duc de Luynes, la France eut foi dans M. Mariette ; on lui fournit quelques ressources, et un beau jour, guidé par des signes que lui seul était capable d'interpréter, il déblaya l'entrée de cette admirable caverne où l'on couchait les bœufs sacrés dans des tombeaux monolithes, polis comme des miroirs et aussi vastes que les salles à manger de Paris.
Cette découverte fut suivie de cent autres, et le gouvernement égyptien, comprenant à la fin qu'il devait exploiter lui-même les trésors scientifiques du sous-sol, emprunta M. Mariette à la France. C'est aux dépens des vice-rois, c'est à leur éternel honneur qu'il a trouvé la table d'Abydos et cette liste des rois qui confirme contre toute attente la chronologie calomniée de Manéthon."
jeudi 10 septembre 2020
"On éprouve une certaine appréhension à pénétrer dans ce domaine de la mort" (Édouard Herriot, à propos de la vallée des Rois)
Toute une cour funèbre accompagne dans l’autre monde les morts royaux ou, plutôt, y revit avec eux suivant le rite. On éprouve une émotion et, avec beaucoup de curiosité, une certaine appréhension à pénétrer dans ce domaine de la mort qui possède son code et d’où sont exclus les hommes injustes. C’est même, à vrai dire, une profanation. Le temple funéraire qui, sous l’Ancien Empire, s’associait à la pyramide, s’en est séparé. La pyramide, c'est la montagne libyque, jaune et rose. Les temples se dressent dans la plaine pour le culte des rois divinisés ; nous les trouverons à Deir-el-Bahari, au Ramesseum, à Medinet-Habou. Nous les visiterons sans scrupule. Mais l’hypogée, le puits, le caveau, n’y a-t-il pas quelque scandale à les violer ? Ne dit-on pas que Tout-Ankh-Amon s’est vengé ?
Nous prenons la voie que suivaient jadis les cortèges funéraires ; elle passe devant le Ramesseum. Pas une plante, pas une herbe. Seules de grandes ombres parcourent ce paysage inerte, cette terre que des millions de silex taillés colorent d’une teinte brune.
Lieu funèbre à souhait ; les vents du désert ont créé une dépression fermée que déchirent des lits de torrents desséchés ; on n’y accède que par d'étroits sentiers, en dehors du chemin pour les funérailles ; il a fallu que la main des hommes ouvrît un passage pour atteindre ce bassin que l’on dirait séparé du reste du monde. Et, cependant, malgré toutes les précautions prises, les orages, les violences de la nature, la cupidité hardie des pillards ont forcé les secrètes demeures que Champollion, l’un des premiers, sut explorer avec un zèle intelligent et que Maspero mit à l'abri des déprédations.
Coupons la vallée dite des Singes, où MM. Lortet et Gaillard, deux Lyonnais, ont fait leurs recherches. Des ravins se creusent dans le calcaire crétacé ; des croupes, étrangement crénelées, les dominent avec des tours fantastiques et des couloirs enchevêtrés. Les parois servent d’abri aux milans et aux corbeaux. Des torrents, jadis, ont usé la roche, aujourd’hui complètement desséchée ; des centaines de petits ateliers où travaillèrent des tailleurs de silex sont l’unique indice qui évoque la vie. Les fellahs, chercheurs de pierre à chaux, ont eux-mêmes déserté les corniches scabreuses patinées par le soleil et par des couches de manganèse violet. Seule beauté de cet enfer, les cailloux polis par le sable et le vent, glacés par l'usure des âges, scintillent et se diamantent au choc violent de la lumière.
Notre première indiscrétion sera pour ce tombeau de Tout-Ankh-Amon, que découvrit Carter, dans des conditions si romanesques. Il ne reste plus sur place que la momie du roi sous la garde des babouins sacrés et sous la protection des quatre divinités qui le couvrent de leurs ailes étendues. Le jeune Tout-Ankh-Amon arrive au ciel, où la déesse Nout l’accueille en lui offrant l’eau, signe de bienvenue.
(...) La visite des tombeaux confirme bien la définition de Loret, pour qui l'Égyptien, aussitôt né, se prépare à mourir ; dans toute cette tradition, en dépit de quelques textes sceptiques, la vie n’est qu’une préparation, un passage. Après la mort, il faut à l'âme un support, une statue ou, du moins, un nom. Complexe formé de plusieurs croyances parfois contradictoires, la religion égyptienne va se présenter à nous, dans la vallée des Rois, avec l’infinie richesse d’imagination dans le surnaturel d'un peuple où abondent les dessinateurs."