vendredi 19 juillet 2019

El-Hibeh, avec une équipe pluridisciplinaire de l'Université de Californie à Berkeley

Portrait d'Isidora trouvé à El Hibeh - Villa Getty, Los Angeles

La cité égyptienne d’Ankyronpolis, l’antique “Ta-Dehenet”, c’est-à-dire “La Falaise”, aujourd’hui el-Hibeh, en Moyenne-Égypte, est située entre le cours du Nil et la chaîne arabique, à proximité d’un promontoire rocheux dominant la vallée du Nil. Elle fut équipée de puissantes fortifications au cours de la Troisième Période intermédiaire (XIe - VIe s.) pour tenir un rôle de point stratégique entre le Nord (royauté tanite) et le Sud du pays (possessions des grands-prêtres d’Amon), dont les antagonismes suscitaient la révolte, voire la guerre civile, et menaçaient gravement la stabilité du royaume.
L'intérêt scientifique pour el-Hibeh a commencé dans les années 1890, lorsqu'un grand nombre de papyrus attribués au site sont apparus sur le marché des antiquités. Le site a dès lors accueilli plusieurs équipes de fouilles qui en ont mis au jour ses richesses archéologiques : le groupe de papyrus dits "d'el-Hibeh", dont le célèbre papyrus d’Ounamon (qui apporte un éclairage sur la société d'alors et l'état du pays, notamment dans ses relations avec la cité de Byblos), aujourd’hui dispersés dans différentes collections en Europe et dans le monde ; des sarcophages en bois ou en pierre ; de nombreuses momies recouvertes de cartonnages peints aux couleurs vives de scènes mythologiques et funéraires égyptiennes classiques ; des portraits du Fayoum ; des habitations de la période gréco-romaine ; le temple d’Amon, qui comportait autrefois un pylône, une cour d'offrande, un pronaos à colonnes, une salle hypostyle, mais qui est aujourd’hui réduit au niveau de ses premières assises de grès, avec des vestiges de scènes liturgiques et des cartouches au nom du fondateur de la XXIIe dynastie...
Une équipe multidisciplinaire de l'Université de Californie à Berkeley procède à des fouilles sur le site d’el-Hibeh depuis 2001, en cherchant notamment à retracer le développement de la ville et ses interrelations avec l’arrière-pays, notamment au cours de la Troisième Période intermédiaire (1070 - 664 avant notre ère).
Grâce à ces études, la plupart des égyptologues sont amenés à réviser leur opinion négative sur l'Égypte post-Nouvel Empire et à considérer ce présumé “âge de déclin” comme une période d'activité multiculturelle prospère et diversifiée, accompagnée d'une passionnante réinvention des divers aspects de la culture égyptienne.
(source : The Hibeh Project - http://www.hibeh.org)

Beni Hassan, par Jean-François Champollion




“Je comptais être à Thèbes le 1er novembre (1828) ; voici déjà le 5, et je me trouve encore à Béni-Hassan. C’est un peu la faute de ceux qui ont déjà décrit les hypogées de cette localité, et en ont donné une si mince idée. Je comptais expédier ces grottes en une journée ; mais elles en ont pris quinze, sans que j’en éprouve le moindre regret (...).
À l’aube du jour, quelques-uns de nos jeunes gens étant allés, en éclaireurs, visiter les grottes voisines, rapportèrent qu’il y avait peu à faire, vu que les peintures étaient à peu près effacées. Je montai néanmoins, au lever du soleil, visiter ces hypogées, et je fus agréablement surpris de trouver une étonnante série de peintures parfaitement visibles jusque dans leurs moindres détails, lorsqu’elles étaient mouillées avec une éponge, et qu’on avait enlevé la croûte de poussière fine qui les recouvrait et qui avait donné le change à nos compagnons. Dès ce moment on se mit à l’ouvrage, et par la vertu de nos échelles et de l’admirable éponge, la plus belle conquête que l’industrie humaine ait pu faire, nous vîmes se dérouler à nos yeux la plus ancienne série de peintures qu’on puisse imaginer, toutes relatives à la vie civile, aux arts et métiers, et ce qui était neuf, à la caste militaire. J’ai fait, dans les deux premiers hypogées, une moisson immense, et cependant une moisson plus riche nous attendait dans les deux tombes les plus reculées vers le nord ; ces deux hypogées, dont l’architecture et quelques détails intérieurs ont été mal reproduits, offrent cela de particulier (ainsi que plusieurs petits tombeaux voisins), que la porte de l’hypogée est précédée d’un portique taillé à jour dans le roc, et formé de colonnes qui ressemblent, à s’y méprendre à la première vue, au dorique grec de Sicile et d’Italie.
Elles sont cannelées, à base arrondie, et presque toutes d’une belle proportion. L’intérieur des deux derniers hypogées était ou est encore soutenu par des colonnes semblables : nous y avons tous vu le véritable type du vieux dorique grec, et je l’affirme sans craindre d’établir mon opinion sur des monuments du temps romain, car ces deux hypogées, les plus beaux de tous, portent leur date et appartiennent au règne d’Osortasen, deuxième roi de la XXIIIe dynastie (Tanite), et par conséquent remontent au IXe siècle avant J.-C. J’ajouterai que le plus beau des deux portiques, encore intact, celui de l’hypogée d’un chef administrateur des terres orientales de l’Heptanomide, nommé Néhôthph, est composé de ces colonnes doriques sans base, comme celles de Paestum et de tous les beaux temples grecs-doriques.
Les peintures du tombeau de Néhôthph sont de véritables gouaches, d’une finesse et d’une beauté de dessin fort remarquables : c’est ce que j’ai vu de plus beau jusqu’ici en Égypte ; les animaux, quadrupèdes, oiseaux et poissons, y sont peints avec tant de finesse et de vérité, que les copies coloriées que j’en ai fait prendre ressemblent aux gravures coloriées de nos beaux ouvrages d’histoire naturelle : nous aurons besoin de l’affirmation des quatorze témoins qui les ont vues, pour qu’on croie en Europe à la fidélité de nos dessins, qui sont d’une exactitude parfaite.
C’est dans ce même hypogée que j’ai trouvé un tableau du plus haut intérêt : il représente quinze prisonniers, hommes, femmes ou enfants, pris par un des fils de Néhôthph, et présentés à ce chef par un scribe royal, qui offre en même temps une feuille de papyrus, sur laquelle est relatée la date de la prise, et le nombre des captifs, qui était de trente-sept.
Ces captifs, grands et d’une physionomie toute particulière, à nez aquilin pour la plupart, étaient blancs comparativement aux Égyptiens, puisqu’on a peint leurs chairs en jaune-roux pour imiter ce que nous nommons la couleur de chair. Les hommes et les femmes sont habillés d’étoffes très riches, peintes (surtout celles des femmes) comme le sont les tuniques de dames grecques sur les vases grecs du vieux style : la tunique, la coiffure et la chaussure des femmes captives peintes à Béni-Hassan ressemblent à celles des Grecques des vieux vases, et j’ai retrouvé sur la robe d’une d’elles l’ornement enroulé si connu sous le nom de grecque, peint en rouge, bleu et noir, et tracé verticalement. (...) J’ai fait copier ce long tableau en couleur avec une exactitude toute particulière : pas un coup de pinceau qui ne soit dans l’original.
Les quinze jours passés à Béni-Hassan ont été monotones, mais fructueux : au lever du soleil, nous montions aux hypogées dessiner, colorier et écrire, en donnant une heure au plus à un modeste repas, qu’on nous apportait des barques, pris à terre sur le sable, dans la grande salle de l’hypogée, d’où nous apercevions, à travers les colonnes en dorique primitif, les magnifiques plaines de l’Heptanomide ; le soleil couchant, admirable dans ce pays-ci, donnait seul le signal du repos ; on regagnait la barque pour souper, se coucher et recommencer le lendemain.
Cette vie de tombeaux a eu pour résultat un portefeuille de dessins parfaitement faits et d’une exactitude complète, qui s’élèvent déjà à plus de trois cents. J’ose dire qu’avec ces seules richesses, mon voyage d’Égypte serait déjà bien rempli, à l’architecture près, dont je ne m’occupe que dans les lieux qui n’ont pas été visités ou connus.”
(extrait de “Lettres écrites d’Egypte et de Nubie en 1828 et 1829”)

Touna el-Gebel, avec Jean Leclant, Jean-Philippe Lauer et Arpag Mekhitarian

Touna el-Gebel Tomb of Petosiris - source "Famous Pharaohs"

“L'édifice le plus important de la nécropole de Tounah est le tombeau de Pétosiris, construction imitant le pronaos des temples de Basse Époque. Dans la cour, un autel carré de type non-égyptien. La façade est faite de quatre colonnes à chapiteaux floraux, reliées entre elles par des murs d'entre-colonnement. Le vestibule est consacré à Pétosiris lui-même, grand prêtre de Thot à Hermopolis ; la chapelle, à son père et à son frère Djed-Thotefankh. Le puits menant au caveau est fermé, le cercueil de Pétosiris ayant été transféré au musée du Caire.
Les bas-reliefs ornant les parois sont d’un extrême intérêt : sculptés vers 300 av. J.-C., ils sont typiques de cet art gréco-égyptien, où les thèmes traités demeurent traditionnellement du répertoire pharaonique ; mais ils sont conçus dans un style “grécisant”. Voici, sans entrer dans les détails, une description sommaire des principaux tableaux représentés :
Sur les entre-colonnements de la façade, côté extérieur : Pétosiris adorant des divinités hermopolitaines ; côté intérieur : scènes artisanales. Mur du fond du vestibule (paroi S.), des deux côtés de l’entrée de la chapelle : scènes d’offrandes et de sacrifices de style hellénistique. Paroi E. du vestibule (mur gauche) scènes agricoles ; paroi O. (mur droit) : bétail, vendange et pressoir. Dans la chapelle, paroi N., côté E. de l'entrée : déesse du Sycomore, Pétosiris adorant son père, passage du gué ; côté O.: Pétosiris et son frère attablés. Paroi O. (mur droit) : adoration de divinités infernales et d’Osiris par Djed-Thoteïankn ; au registre inférieur, porteurs d’offrandes. Paroi S. (mur du fond) : adoration de divinités diverses - Ré, Osiris, Isis, etc. ; au registre inférieur, à droite, des marais avec des hippopotames et un crocodile. Paroi E. (mur gauche) : funérailles et processions de porteurs d’offrandes ; à droite, purification de la momie de Nes-Shou.
Autant que ces scènes, les inscriptions qui les accompagnent sont d'une grande importance par la haute tenue morale qu’elles révèlent et par un aspect, quasi mystique, de la religion personnelle dont rarement les Égyptiens nous ont laissé, comme ici, le témoignage.
Derrière le tombeau de Pétosiris, il y a toute une cité des morts, comme un véritable village avec des rues et des maisons, de type mi-égyptien mi-hellénistique, où les survivants se réunissaient périodiquement, à certains anniversaires, comme le faisaient déjà les Égyptiens de haute époque et comme le font encore leurs lointains descendants dans les cimetières musulmans.
Ces tombes-maisons, dont quelques-unes sont à deux étages, comprennent plusieurs chambres dont l’une contient un lit de parade où l’on exposait le mort avant de le descendre dans le caveau souterrain. Leurs parois sont recouvertes de stuc et peintes soit de scènes funéraires égyptiennes, soit, le plus souvent, d’imitations de bois et de marbres à la manière aleandrine ou pompéienne. Elles datent, pour la plupart, de l’époque gréco-romaine (du IIIe av. J.-C. au IIe s. de notre ère). Les plus importantes d’entre elles sont celle d’Isidora, une jeune fille morte noyée en 120 av. J.-C. et celle de Neith, du Ier s. av. J.-C., qui est décorée de tableaux rappelant les vignettes du Livre des Morts.”
(extrait du Guide Nagel “Égypte”, 1969)

Récemment (janvier-février 2019), plus de quarante momies très bien conservées d’hommes, de femmes, d’enfants et d’animaux ont été trouvées sur le site. Selon le ministère égyptien des antiquités, ces hommes et ces femmes, Ces momies, découvertes dans un tombeau familial, ont été identifiées comme appartenant à la “petite bourgeoisie” de l’époque ptolémaïque.

Tell el-Amarna, avec Jean Leclant, Jean-Philippe Lauer et Arpag Mekhitarian


“Tell el-Amarna est un nom artificiel dérivé du village d’at-Till où est venue s'installer, au début du XVIIIe siècle, une tribu bédouine, les Bani ’Amrân. Cette appellation, réservée d’abord au site archéologique, a été définitivement consacrée, vers les années 1930, par la création d’une station de chemin de fer du même nom sur la rive gauche. Les archéologues l’abrègent encore en Amârna et parlent même d'art amarnien pour désigner le style de l'époque d’Aménophis IV-Akhenaton. Lorsque celui-ci se brouilla avec le clergé d’Amon et quitta l’antique Thèbes, il chercha à installer sa nouvelle capitale dans une région qui n’appartînt jusque-là à aucun dieu ni à aucune déesse.
Il choisit ce cirque de montagnes formant comme un arc de cercle, de près de 25 km. de longueur, qui touche au Nil par ses deux extrémités. Entre Cheikh Sa’îd au N.. et le village de Haouata au S.. il y a une douzaine de km. C'est sur les bords du fleuve que la cité, avec ses temples, ses palais, ses maisons et ses bureaux administratifs, fut bâtie en briques crues et en bois. Quant aux tombes, elles furent, comme dans la nécropole thébaine, creusées dans la montagne : elles sont groupées au N. et au S. d’un ouâdi (le Darb el-Malik) qui part vers l’E. conduisant à la tombe de la famille royale (aujourd’hui fermée au public). Deux autres ouâdis, el-Gebel l’un au N., l’autre au S., mènent à des carrières de calcaire et d’albâtre : celles du N., dites carrières de la reine Tiy, sont facilement accessibles ; celles du S.. exploitées dès le règne de Khéops et connues sous le nom de Hatnoub, sont situées au bout d’une vallée de 11 km. de longueur.
Le domaine qu'Aménophis IV-Akhenaton consacra au disque solaire, Aton, se trouvait en fait dans le nome d'Hermopolis. Le roi en délimita les frontières en gravant sur les rochers quatorze stèles dont onze se trouvent à Tell el- Amârna même et trois autres près de Tounah el-Gebel. Plusieurs de ces stèles, les plus belles, furent mutilées entre 1930 et 1934 dans un esprit de vengeance contre un des gardiens du site !
Akhetaton ou “Horizon du Disque”, nom égyptien de la ville du roi “hérétique”, eut une existence éphémère, une douzaine d’années : la hâte avec laquelle elle fut construite se manifeste un peu partout ; mais abandonnée presque aussitôt après la mort d’Aménophis IV-Akhenaton, elle nous est parvenue intacte et nous apporte ainsi l’unique témoignage d’envergure de l’urbanisme au temps des pharaons. Certes, pour le touriste, la visite de ruines en briques, ne dépassant pas un mètre de hauteur et souvent recouvertes de sable, est plutôt décevante ; mais, l’imagination aidant, il pourra se figurer l’animation qui régnait dans la cité au moment de sa splendeur : il sera aidé en cela par les représentations murales des tombes, dont l’iconographie anti-conventionnelle révèle le non-conformisme de Ia vie à Akhetaton. Rompant avec la tradition de rigidité de ses prédécesseurs, Akhenaton voulut, en effet, “démocratiser” les institutions, le culte religieux, les cérémonies royales et jusqu’à la langue officielle qu'il remplaça par le langage parlé. Le fameux hymne au soleil qu’il rédigea dans cette langue moderne, et dont plusieurs versions ont été gravées dans les tombes des nobles, est une des pages les plus lyriques de la littérature universelle.”
(extrait du Guide Nagel “Égypte”, 1969)

jeudi 18 juillet 2019

Assiout, par Louis Malosse

gravure du XIXe s. mosquée de Syout, par Pannemaker (1860)

“Assiout est la première ville où le bateau s’arrête plus que les minutes indispensables aux opérations d’embarquement. Elle ne possède ni temples, ni monuments géants, mais elle fut une cité importante autrefois et ses bazars eurent leur heure de célébrité. Ses minarets sont aussi nombreux que ses bosquets de palmiers. Ses environs ont une verdure luxuriante. L’aspect de la ville, vue du Nil, est charmant. Elle impressionne favorablement le voyageur qui désire aller à elle, parcourir ses ruelles, visiter les échoppes qui ont survécu aux riches bazars de jadis où se trafiquent encore des objets de poterie. (...)
Le touriste, fatigué par trois jours de navigation continue, est heureux d’enfourcher un âne, de s’en aller à travers champs vers la cité riante. Dans sa joie, il dévalise les magasins de poteries, emporte des vases, des chandeliers, des brûle­parfums en terre cuite que leur fragilité empêchera plus tard d’arriver à destination. (...)
Assiout est l’ancienne Lycopolis, la ville des loups, la cité dédiée à Anubis, le dieu à tête de chacal. Elle a quelques tombes, quelques chambres sépulcrales où furent entassées des momies de loups. Ces hypogées servirent de refuge aux premiers chrétiens à l’époque des persécutions. Une jolie légende plane sur ces grottes funéraires : on dit qu’un cénobite des premiers siècles rendit un jour la vie à toutes les momies d’hommes et d’animaux qu’il trouva dans l’une d’elles et l’on ajoute qu’il se fit raconter successivement par ces momies ressuscitées l’histoire de leur vie. Quel dommage que ce bienheureux ermite n’ait pas laissé ses mémoires, ne nous ait pas transmis le récit des choses qu’il entendit. Je donnerais toutes les nécropoles de l’antiquité pour la reproduction de ce miracle, pour la narration de ces vies antiques tombée de la bouche de ces morts enfouis si longtemps sous le sable de la vieille Lycopolis, la cité des loups sacrés.”
(extrait de “Impressions d'Égypte”, 1896)



Abydos, par Georges Bénédite

photo de Marie Grillot

“Abydos fut à Thinis ce que le plateau de Saqqarah fut à Memphis, un ancien cimetière marquant l'emplacement primitif de la résidence royale ; cette nécropole historique, l'une des plus anciennes dans le souvenir des hommes, se trouva ainsi remplir, aux yeux des Égyptiens, les principales conditions pour abriter le tombeau d'Osiris. Son dieu des morts était, à vrai dire, Khontamenti ; mais nous savons qu'en Égypte certaines divinités, restées purement locales, ne purent jamais faire obstacle à la fortune de dieux tels qu’Osiris et Râ, pas plus qu’à la diffusion de certains dogmes ou de certains mythes. Le mythe osirien, d’origine supposée mendésienne ou, comme on tend à le croire aujourd'hui, busirite, trouva un terrain particulièrement favorable à Abydos, et s'y développa. C'est ainsi que le reliquaire d’Osiris, qui était censé contenir la tête du dieu dépecé par son frère ennemi, le dieu Sit, devint le Saint-Sépulcre auprès duquel les gens pieux voulurent être inhumés ; mais, pour concilier cette piété avec le désir très naturel à l'homme de reposer dans la terre natale, on se borna à faire accomplir à la momie un pèlerinage funèbre à Abydos, d’où on la ramenait pour lui donner dans le tombeau choisi sa sépulture définitive. Les peintures murales des tombeaux de la VIe dyn. reproduisent assez uniformément cet épisode des funérailles qui devait avoir lieu immédiatement après les opérations de l’embaumement. Cette pratique qui, il faut bien le dire, n'était pas à la portée de tout le monde, resta en vigueur sous le Moyen Empire et pour les petits états voisins de la principauté du Reliquaire, tandis qu'à Thèbes, par exemple, à partir de la XVIIIe dyn., la navigation à Abydos devint une simple cérémonie qui se confondit avec la traversée du Nil pour aller de la rive des vivants à celle des morts.”
(extrait du Guide Joanne, 1900)



Le temple de Dendérah, par Auguste Mariette

photo de Zangaki

“Le temple de Dendérah a pour lui son excellente conservation et l’abondance des matériaux qu’il nous met entre les mains. Accessible comme il l’est aujourd’hui jusque dans la dernière de ses chambres, il semble se présenter au visiteur comme un livre qu’il n’a qu’à ouvrir et à consulter. Mais le temple de Dendérah est, en somme, un monument terriblement complexe. Quand on ne l’a pas vu, on ne peut, en effet, se faire une idée de l’extraordinaire profusion de légendes, de figures, de tableaux, d’ornements, de symboles, dont il est couvert et sous lesquels ses murailles disparaissent littéralement. (...)
La nature même de la décoration du temple et son point de départ sont un autre écueil. À première vue, on serait tenté de croire qu’on a déployé sur les parois du temple les nombreux sujets de décoration qu’on y voit dans le but de démontrer et de conserver les formules de doctrines dont le temple est la consécration. Mais on risquerait de faire fausse route si on suivait trop à la lettre cette définition. L’esprit de la décoration est tout autre. On peut se représenter la décoration du temple de Dendérah comme composée d’une suite presque innombrable de tableaux mis à côté les uns des autres, et représentant uniformément le roi fondateur devant Hathor ou un de ses parèdres. Or, chacun de ces tableaux est un logis donné à l’âme de la divinité dont l’image y est sculptée ; l’âme de la divinité hante et fréquente le tableau ; elle s’y tient et s’y trouve toujours présente. Hathor habite ainsi réellement le temple bâti à son intention, ou, pour mieux dire, les Tentyrites croyaient à la présence réelle de la déesse dans le temple qu’ils lui avaient élevé. (...)
Il n’y a pas de temple qui soit mieux conservé que le temple de Dendérah. Les parois, les colonnes, les plafonds, tout y est en place comme au plus beau temps de l’édifice. De tous les temples de l’Égypte, le temple de Dendérah est celui qui se présente comme le spécimen le plus achevé et le plus intact de l’architecture égyptienne. Les seules traces de dévastation qu’on y rencontre se trouvent sur les terrasses où la moitié de deux des colonnes du petit temple hypèthre a disparu, et où quatre ou cinq pierres ont été détachées de la corniche du mur méridional. Il faut, malheureusement, compter aussi parmi les mutilations subies par le temple, le trou béant qu’a laissé dans le plafond de l’une des chambres, l’enlèvement brutalement et maladroitement exécuté du zodiaque circulaire, maintenant à Paris.”
(extrait de “Dendérah: description générale du grand temple de cette ville”, Volume 1, 1875)


illustration : photo Zangaki