vendredi 19 juillet 2019

Les pyramides de Guizeh, par Jean-Philippe Lauer


photochrome 1895

“Depuis près de 5.000 ans que les pyramides de Guizeh, telles trois gigantesques bornes, dressent leurs masses imposantes à la limite géographique précise où la vallée du Nil s’ouvre en éventail pour former son delta, elles n’ont cessé de susciter auprès d’innombrables visiteurs les sentiments les plus vifs d’admiration, d’étonnement ou parfois même d’indignation. De nos jours, plus que jamais, bien rares sont les voyageurs qui, touchant le sol de l’Égypte, ne tentent l’impossible pour atteindre le Caire dans le dessein d’emporter au moins, si le temps de l’escale ne permet pas d’aller jusqu’au pied même des pyramides, la vision lointaine de leurs fameuses silhouettes géométriques. Cette vision est, d’ailleurs, l’une des plus belles impressions que l’on puisse en garder ; cela surtout si l’on a la chance de les apercevoir à l’aurore quand, teintées de rose ou de bleu suivant l’orientation de leurs faces, elles surgissent des brumes de la vallée, qu’elles semblent déchirer de leurs pointes, soit vers le soir lorsqu’elles reflètent les tons si ardents du soleil couchant sur le désert, ou quelques minutes plus tard au crépuscule, quand leurs triangles assombris se profilent sur un ciel tout embrasé.
À ces impressions pouvait s’ajouter autrefois en été, et ces dernières années encore au début de l’automne, le spectacle vraiment féerique de l’inondation du Nil. (...)
Cependant, si vives que soient ces impressions données par la vue panoramique des pyramides dans leur cadre grandiose, particulièrement aux saisons et aux heures plus belles, ce n’est pas tant cette émotion d’ordre purement artistique qui est recherchée par les voyageurs, que celle encore plus profonde généralement éprouvée en présence de ces impérissables témoins des premiers âges de l’Histoire, en même temps les plus vastes monuments que l’homme ait jamais construits. En effet, depuis leur création, ces édifices étonnants, classés par les Grecs au nombre des sept merveilles du monde, n’ont-­ils pas cessé de symboliser l’Égypte, terre mystérieuse entre toutes, où d’innombrables vestiges de la civilisation réputée la plus ancienne semblent nous relier aux origines mêmes de l’humanité ? Et pour ressentir pleinement ce choc inoubliable, c’est bien au pied même des pyramides qu’il faut se rendre, si possible par nuit étoilée ou mieux encore par clair de lune. Leur masse énorme semble alors presque illimitée ; leurs faces et leurs arêtes s’estompent et se perdent à l’infini dans le ciel.”
(extrait de “Le problème des pyramides d’Égypte”, 1952)


Le Sphinx de Guizeh, par Maxime du Camp

photo de Maxime Du Camp

“Je lançai mon cheval au galop et je l'arrêtai devant le sphinx rose qui sortait des sables rosés par le reflet du soleil couchant. Enfoui jusqu'au poitrail, rongé, camard, dévoré par l'âge, tournant le dos au désert et regardant le fleuve, ressemblant par derrière à un incommensurable champignon et par devant à quelque divinité précipitée sur terre des hauteurs de l'empyrée, il garde encore, malgré ses blessures, je ne sais quelle sérénité puissante et terrible qui frappe à son aspect et vous saisit jusqu'au profond du coeur. Je comprends bien les Arabes qui l'appellent maintenant ‘abou­ el-­houl’, le Père de l'épouvante ! Avant­-garde des pyramides, impassible sous le ciel, que fait-­il là depuis cinquante siècles au milieu des solitudes ? Les Pharaons, les Éthiopiens, les Perses, les Lagides, les Romains, les chrétiens du Bas­-Empire, les conquérants arabes, les Fatimites, les Mameluks, les Turcs, les Français, les Anglais ont dormi à son ombre ; les temps, les nations, les religions, les moeurs, les lois ont défilé devant lui ; chaque mot de l'histoire a frappé sa large oreille entourée des bandelettes sacrées ; on est tenté de lui dire : “Oh ! si tu pouvais
parler !” (...) Enraciné aux rochers de la chaîne libyque dans lesquels on l'a taillé en abaissant les terrains voisins de toute sa hauteur propre, il disparaît chaque jour sous les sables envahissants ; sa croupe, son dos, ses pattes en sont couverts ; devant lui, à son ombre, les Bédouins viennent souvent s'étendre, et les vautours fatigués se reposent sur sa tête.”
(extrait de “Le Nil : Égypte et Nubie”, 1860)

La Pyramide de Djoser, par Jean Leclant, Jean-Philippe Lauer et Arpag Mekhitarian


“Faisant face au N., on peut distinguer nettement, à la base du massif de la pyramide, le mastaba initial que cette dernière recouvre. Ce mastaba, qui a été, en effet, rendu apparent par l'exploitation systématique des pierres des quatre revêtements de calcaire fin de Tourah ajoutés les uns devant les autres sur cette face S., consiste en un massif carré de 63 m. de côté ne s'élevant qu'à un peu plus de 8 m. de hauteur.
Derrière son revêtement le massif est formé de blocaille locale liée au mortier d'argile, mais sur tout le pourtour de l'édifice un second revêtement de 3 m. d'épaisseur fut tôt ajouté, en prévision sans doute du cas où le premier viendrait à disparaître. De plus afin d'incorporer au monument funéraire du roi une série de puits construits en lisière de sa face E. et donnant accès à des galeries destinées aux sépultures de divers personnages ou enfants de la famille royale décédés prématurément, le mastaba fut allongé d'une dizaine de mètres vers l'E., devenant ainsi anormalement oblong dans le sens E.-O. C'est après cette seconde modification qu'apparut, pour la première fois en Égypte, l'idée de dresser un gigantesque escalier vers le ciel qui faciliterait l'ascension de l'âme du roi vers le soleil ; cette idée paraît devoir être imputée à Imhotep qui était précisément grand-prêtre du culte de Rê à Héliopolis. Après n'avoir attribué à l'édifice d'abord que quatre degrés, Imhotep l'étendant vers le N. et vers l'O., en ajouta deux autres, ce qui porta la hauteur totale à près de 60 m. Le premier monument pyramidal était né, mais ce ne sera qu'au début de la IVe dynastie, pour le roi Snéfrou, que les architectes arriveront à donner à la superstructure de la tombe royale la véritable forme de pyramide aux faces triangulaires.”
(extrait du Guide Nagel “Égypte”, 1969)

Le Sérapéum de Saqqarah, par Auguste Mariette et Jacques Vandier

photo Marie Grillot
“La découverte du Sérapéum de Memphis, due à Auguste Mariette, peut être considérée comme un des grands moments de l'archéologie égyptienne au XIXe siècle. Comme si souvent, ce fut un pur hasard qui fut à l'origine de la trouvaille. Mariette, qui avait été chargé, au Louvre, d'une humble besogne matérielle, avait obtenu, grâce à l'appui de Charles Lenormant et de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, une mission dont l'objet était de réunir une collection de manuscrits coptes, éthiopiens ou syriaques. Il débarqua à Alexandrie le 2 octobre 1850, éprouvant une des joies les plus vives de son existence, celle à laquelle il avait rêvé depuis des années.
S'étant heurté, dès son arrivée, à de graves difficultés, il ne put consacrer les premières semaines de son séjour à l'objet de sa mission, et employa le temps libre que lui accordaient les circonstances à la visite du Caire et de ses environs. Le 27 octobre, il se rendit à Saqqara et “aperçut par hasard une tête humaine en calcaire qui saillait du sable et dont le type lui rappela celui des sphinx qu'il avait admirés aux jardins Zizinia et chez ses amis du Caire”.
Cette tête évoqua immédiatement dans son esprit un texte de Strabon (XVII) : “On trouve de plus (à Memphis) un temple de Sérapis dans un endroit tellement sablonneux que les vents y amoncellent des amas de sable sous lesquels nous vîmes les sphinx enterrés, les uns à moitié, les autres jusqu’à la tête, d'où l'on peut conjecturer que la route vers ce temple ne serait pas sans danger, si l'on était surpris par un coup de vent.” Par une intuition géniale, Mariette comprit qu'il se trouvait, ce jour-là, au-dessus de l'avenue qui conduisait au Sérapéum de Memphis.
Quelques jours plus tard, le 1er novembre 1850, il commençait à déblayer, avec trente ouvriers, le secteur qu'il avait remarqué. (...) En quelques semaines, Mariette mit au jour l'allée des sphinx de Nectanébo 1er, quelques tombes d'Ancien Empire, dans lesquelles se trouvaient de belles statues et, parmi elles, le scribe accroupi du Louvre, un aréopage de poètes et de philosophes grecs, et, enfin, un sanctuaire élevé par Nectanébo 1er en l'honneur d'Apis. (...)
Ce ne fut que le 12 novembre 1851, un an et douze jours après le premier coup de pioche, que Mariette pénétra dans le Sérapéum : “Comme étendue, la tombe d'Apis a dépassé toutes nos espérances, C'est un ample souterrain, avec ses chambres, ses galeries, ses couloirs. Évidemment, les Apis avaient, dans la nécropole de Memphis, une sépulture commune, et, comme je l'avais pensé quelquefois, des caveaux isolés, creusés séparément et enfermés dans l'enceinte du Sérapéum. Quand un Apis mourait à Memphis, on prolongeait d'une chambre le souterrain, et de génération en génération, la tombe du dieu s'allongeait, à mesure que les momies qu'on y déposait devenaient plus nombreuses... La tombe se compose d'une longue galerie principale, taillée en voûte, sur laquelle se greffent à angle droit des galeries plus petites, venues d'autre part... : ses galeries mises bout à bout, sans compter, bien entendu, les chambres latérales, ont environ 230 mètres de développement.” Ainsi furent trouvées, en fait dans deux souterrains différents, les sépultures des Apis, s'échelonnant de la XVIIIe Dynastie à l'époque ptolémaïque.
Il eût été trop beau que les documents qui furent mis au jour, eussent été si méthodiquement classés qu'on eût retrouvé, sans hiatus, la série complète des Apis. Si regrettable qu'ait été l'absence d'un tel état de choses, les découvertes de Mariette n'en ont pas moins été miraculeuses par l'éblouissante moisson d'objets qu'elles nous ont apportée et qui a enrichi nos connaissances historiques, archéologiques et artistiques.”
(extrait de “La Découverte du Sérapéum et les funérailles de l'Apis d'après certaines stèles du Sérapéum”, compte rendu par Jacques Vandier de l’ouvrage de Jean Vercoutter, “Textes biographiques du Sérapéum de Memphis. Contribution à l'étude des stèles votives du Sérapéum”, in “Journal des Savants” Année 1964 - 2)

Memphis, avec le “Guide bleu”


photo de Bonfils
“De la première capitale de l’Égypte unifiée, il ne reste aujourd’hui presque rien : quelques blocs disséminés sous la palmeraie.
Dans le parc archéologique, on peut quand même voir quelques sculptures monumentales découvertes sur le site. La plus spectaculaire est un colosse de Ramsès couché sur le dos, haut à l'origine de 13 m.”
“Découvert en 1820 par Caviglia et Sloane, ce colosse fut offert au musée Britannique qui n’en prit pas possession. Il est taillé dans un bloc de calcaire siliceux et mesure 10 m. 30 de hauteur (13 m. avant d’avoir perdu ses jambes) ; il porte son nom gravé à l’épaule droite, sur le pectoral et la boucle du ceinturon. Coiffé d’un nemès que surmonte le pschent, ce colosse n'est autre que l’image de Sésostris mentionnée par Hérodote et Strabon.”
“Un colosse similaire fut retrouvé non loin de celui-ci : transporté au Caire en 1955, il fut dressé devant la gare de chemin de fer, puis transféré (...) sur le site du nouveau Musée archéologique (...). Au centre du périmètre, on peut également voir un sphinx d'albâtre datant probablement du règne d'Aménophis II (1427-1401) : c’est la plus grande sculpture égyptienne en albâtre connue à ce jour.”
“D’autres fragments au nom de Ramsès II se voient encore dans le voisinage. Le grand temple de Ptah, qui se trouvait au cœur de la ville de Memphis, devait avoir son emplacement non loin de là. Des fouilles y furent entreprises par Grébaut qui découvrit, en 1890, des statues royales de la IVe et de la V°e dyn.; par Daressy, qui mit au jour, en 1894, une grande barque de granit, etc.
La ville, que les Grecs appelaient ‘Memphis’ par altération de son nom égyptien ‘Mennofri’ (copte ‘Menfi’, ‘Memfi’) et qui paraît aussi avoir été désignée du nom de son principal sanctuaire, ‘Hâït-Ka-Ptah’, fut l'une des plus anciennes et des plus importantes cités de l’Égypte. Au temps d'Hérodote, elle passait pour avoir été fondée par Ménès, et le souvenir de cette fondation se confondait avec celui des grands travaux hydrauliques, attribués également à ce roi, pour régulariser le cours du Nil. (...)
Memphis avait atteint son apogée sous la IVe dynastie ; sa décadence, causée par l’affaiblissement des princes régnants de la VIIe et de la VIIIe, fut rapide. Déchue du rang de capitale, elle n’en resta pas moins une très grande ville d'Égypte, et Thèbes seule, grâce aux conquêtes de ses princes et à la durée de son hégémonie, put rivaliser avec elle de grandeur et de richesse. Mais, par une sorte de privilège dû à sa position qui commandait le Delta, au moins autant qu’à l’illustration de son sanctuaire, Memphis ne tomba jamais dans un abandon semblable à celui des autres capitales.”
(condensé de textes des Guides bleus “Égypte”, éditions de 1956 et 2010)

El-Hibeh, avec une équipe pluridisciplinaire de l'Université de Californie à Berkeley

Portrait d'Isidora trouvé à El Hibeh - Villa Getty, Los Angeles

La cité égyptienne d’Ankyronpolis, l’antique “Ta-Dehenet”, c’est-à-dire “La Falaise”, aujourd’hui el-Hibeh, en Moyenne-Égypte, est située entre le cours du Nil et la chaîne arabique, à proximité d’un promontoire rocheux dominant la vallée du Nil. Elle fut équipée de puissantes fortifications au cours de la Troisième Période intermédiaire (XIe - VIe s.) pour tenir un rôle de point stratégique entre le Nord (royauté tanite) et le Sud du pays (possessions des grands-prêtres d’Amon), dont les antagonismes suscitaient la révolte, voire la guerre civile, et menaçaient gravement la stabilité du royaume.
L'intérêt scientifique pour el-Hibeh a commencé dans les années 1890, lorsqu'un grand nombre de papyrus attribués au site sont apparus sur le marché des antiquités. Le site a dès lors accueilli plusieurs équipes de fouilles qui en ont mis au jour ses richesses archéologiques : le groupe de papyrus dits "d'el-Hibeh", dont le célèbre papyrus d’Ounamon (qui apporte un éclairage sur la société d'alors et l'état du pays, notamment dans ses relations avec la cité de Byblos), aujourd’hui dispersés dans différentes collections en Europe et dans le monde ; des sarcophages en bois ou en pierre ; de nombreuses momies recouvertes de cartonnages peints aux couleurs vives de scènes mythologiques et funéraires égyptiennes classiques ; des portraits du Fayoum ; des habitations de la période gréco-romaine ; le temple d’Amon, qui comportait autrefois un pylône, une cour d'offrande, un pronaos à colonnes, une salle hypostyle, mais qui est aujourd’hui réduit au niveau de ses premières assises de grès, avec des vestiges de scènes liturgiques et des cartouches au nom du fondateur de la XXIIe dynastie...
Une équipe multidisciplinaire de l'Université de Californie à Berkeley procède à des fouilles sur le site d’el-Hibeh depuis 2001, en cherchant notamment à retracer le développement de la ville et ses interrelations avec l’arrière-pays, notamment au cours de la Troisième Période intermédiaire (1070 - 664 avant notre ère).
Grâce à ces études, la plupart des égyptologues sont amenés à réviser leur opinion négative sur l'Égypte post-Nouvel Empire et à considérer ce présumé “âge de déclin” comme une période d'activité multiculturelle prospère et diversifiée, accompagnée d'une passionnante réinvention des divers aspects de la culture égyptienne.
(source : The Hibeh Project - http://www.hibeh.org)

Beni Hassan, par Jean-François Champollion




“Je comptais être à Thèbes le 1er novembre (1828) ; voici déjà le 5, et je me trouve encore à Béni-Hassan. C’est un peu la faute de ceux qui ont déjà décrit les hypogées de cette localité, et en ont donné une si mince idée. Je comptais expédier ces grottes en une journée ; mais elles en ont pris quinze, sans que j’en éprouve le moindre regret (...).
À l’aube du jour, quelques-uns de nos jeunes gens étant allés, en éclaireurs, visiter les grottes voisines, rapportèrent qu’il y avait peu à faire, vu que les peintures étaient à peu près effacées. Je montai néanmoins, au lever du soleil, visiter ces hypogées, et je fus agréablement surpris de trouver une étonnante série de peintures parfaitement visibles jusque dans leurs moindres détails, lorsqu’elles étaient mouillées avec une éponge, et qu’on avait enlevé la croûte de poussière fine qui les recouvrait et qui avait donné le change à nos compagnons. Dès ce moment on se mit à l’ouvrage, et par la vertu de nos échelles et de l’admirable éponge, la plus belle conquête que l’industrie humaine ait pu faire, nous vîmes se dérouler à nos yeux la plus ancienne série de peintures qu’on puisse imaginer, toutes relatives à la vie civile, aux arts et métiers, et ce qui était neuf, à la caste militaire. J’ai fait, dans les deux premiers hypogées, une moisson immense, et cependant une moisson plus riche nous attendait dans les deux tombes les plus reculées vers le nord ; ces deux hypogées, dont l’architecture et quelques détails intérieurs ont été mal reproduits, offrent cela de particulier (ainsi que plusieurs petits tombeaux voisins), que la porte de l’hypogée est précédée d’un portique taillé à jour dans le roc, et formé de colonnes qui ressemblent, à s’y méprendre à la première vue, au dorique grec de Sicile et d’Italie.
Elles sont cannelées, à base arrondie, et presque toutes d’une belle proportion. L’intérieur des deux derniers hypogées était ou est encore soutenu par des colonnes semblables : nous y avons tous vu le véritable type du vieux dorique grec, et je l’affirme sans craindre d’établir mon opinion sur des monuments du temps romain, car ces deux hypogées, les plus beaux de tous, portent leur date et appartiennent au règne d’Osortasen, deuxième roi de la XXIIIe dynastie (Tanite), et par conséquent remontent au IXe siècle avant J.-C. J’ajouterai que le plus beau des deux portiques, encore intact, celui de l’hypogée d’un chef administrateur des terres orientales de l’Heptanomide, nommé Néhôthph, est composé de ces colonnes doriques sans base, comme celles de Paestum et de tous les beaux temples grecs-doriques.
Les peintures du tombeau de Néhôthph sont de véritables gouaches, d’une finesse et d’une beauté de dessin fort remarquables : c’est ce que j’ai vu de plus beau jusqu’ici en Égypte ; les animaux, quadrupèdes, oiseaux et poissons, y sont peints avec tant de finesse et de vérité, que les copies coloriées que j’en ai fait prendre ressemblent aux gravures coloriées de nos beaux ouvrages d’histoire naturelle : nous aurons besoin de l’affirmation des quatorze témoins qui les ont vues, pour qu’on croie en Europe à la fidélité de nos dessins, qui sont d’une exactitude parfaite.
C’est dans ce même hypogée que j’ai trouvé un tableau du plus haut intérêt : il représente quinze prisonniers, hommes, femmes ou enfants, pris par un des fils de Néhôthph, et présentés à ce chef par un scribe royal, qui offre en même temps une feuille de papyrus, sur laquelle est relatée la date de la prise, et le nombre des captifs, qui était de trente-sept.
Ces captifs, grands et d’une physionomie toute particulière, à nez aquilin pour la plupart, étaient blancs comparativement aux Égyptiens, puisqu’on a peint leurs chairs en jaune-roux pour imiter ce que nous nommons la couleur de chair. Les hommes et les femmes sont habillés d’étoffes très riches, peintes (surtout celles des femmes) comme le sont les tuniques de dames grecques sur les vases grecs du vieux style : la tunique, la coiffure et la chaussure des femmes captives peintes à Béni-Hassan ressemblent à celles des Grecques des vieux vases, et j’ai retrouvé sur la robe d’une d’elles l’ornement enroulé si connu sous le nom de grecque, peint en rouge, bleu et noir, et tracé verticalement. (...) J’ai fait copier ce long tableau en couleur avec une exactitude toute particulière : pas un coup de pinceau qui ne soit dans l’original.
Les quinze jours passés à Béni-Hassan ont été monotones, mais fructueux : au lever du soleil, nous montions aux hypogées dessiner, colorier et écrire, en donnant une heure au plus à un modeste repas, qu’on nous apportait des barques, pris à terre sur le sable, dans la grande salle de l’hypogée, d’où nous apercevions, à travers les colonnes en dorique primitif, les magnifiques plaines de l’Heptanomide ; le soleil couchant, admirable dans ce pays-ci, donnait seul le signal du repos ; on regagnait la barque pour souper, se coucher et recommencer le lendemain.
Cette vie de tombeaux a eu pour résultat un portefeuille de dessins parfaitement faits et d’une exactitude complète, qui s’élèvent déjà à plus de trois cents. J’ose dire qu’avec ces seules richesses, mon voyage d’Égypte serait déjà bien rempli, à l’architecture près, dont je ne m’occupe que dans les lieux qui n’ont pas été visités ou connus.”
(extrait de “Lettres écrites d’Egypte et de Nubie en 1828 et 1829”)