vendredi 31 juillet 2020

"Le plus beau pays de l'Égypte et notamment du Delta, entre les deux principales branches du Nil", par Jules Lacroix de Marlès

photo extraite de L'Égypte et la Nubie : Grand album monumental, historique, architectural : Reproduction par les procédés inaltérables de la phototypie de cent cinquante vues photographiques par M. Béchard, artiste photographe (1844-18..?)
"M. Roland avait eu d'abord l'intention de remonter le Nil par sa rive gauche ; M. Dupré l'avait déterminé à prendre d'abord la rive droite, afin de revenir par la chaîne libyque ; mais la rencontre du Mamlouk Mohammed l'avait ramené à son premier plan, tant son ancienne connaissance l'avait pressé de se rendre à Fayoûm, où , disait-il, il ferait préparer d'avance tout ce qui lui serait nécessaire pour faire son voyage avec sûreté, commodité et agrément. M. Roland céda d'autant plus aisément, que ce changement, approuvé d'ailleurs par M. Dupré , s'accordait avec ses premières idées ; et l'homme le moins attaché à son opinion, on le sait, n'est jamais fâché de la voir adopter par les autres ; seulement il fut convenu qu'on mettrait à profit les jours qui restaient du mois de décembre pour visiter toutes les villes du Delta. Dès le lendemain, nos trois voyageurs prirent la route de Damiette. 
- Nous voici, dit M. Roland, après deux ou trois heures de marche, dans le plus beau pays de l'Égypte et notamment du Delta, entre les deux principales branches du Nil. Vous voyez devant vous et autour de vous un pays plat sans montagnes, coupé en tous sens de canaux qui répandent la fertilité sur leurs rives ; cette végétation si active, qui dans le court espace de quatre mois doit produire trois récoltes, est un vrai prodige qui tous les ans se renouvelle. Quelles délicieuses campagnes, quels jardins d'Armide ne ferait-on pas en France, en Angleterre avec ce terrain, ce climat et ce fleuve ! Au reste , il n'en est pas de même dans le Delta extérieur, c'est-à-dire au delà des deux branches du Nil, à l'orient et à l'occident ; car des deux côtés l'Égypte est gardée par des déserts.
- Je conçois maintenant, dit Firmin, ce que vous m'avez un jour expliqué : comment il a pu se faire que le Delta ait été produit par le dépôt successif des limons du Nil et la retraite des eaux de la mer.
- Ah ! s'écria Edmond , c'est une plaisanterie que vous voulez me faire. Quoi, ce pays sur lequel
je vois tant de villes modernes et tant de ruines de villes anciennes, ce pays aurait été couvert autrefois par les eaux de la mer !
- Je crois, répliqua M. Roland, qu'on n'en saurait douter, quand on compare tous les témoignages. L'ancienne Heptanomides, c'est-à-dire le Vostani ou moyenne Égypte, offre de frappants vestiges du séjour de la mer ; dans les vallées de la Thébaïde ou Saïd, on remarque, à la hauteur de plusieurs coudées, d'immenses lits de coquillages marins ; ces coquillages forment aussi la base de plusieurs montagnes de la chaîne libyque ; d'un autre côté, le Nil dépose tous les ans sur le sol qu'il inonde une couche épaisse de limon ; son lit, vers ses embouchures, perd sensiblement de sa profondeur ; les terres qu'il charrie, refoulées par les vagues, forment entre Rosette et Damiette des barres qui interceptent l'entrée du fleuve et le passage des navires : toutes ces considérations, réunies aux récits des anciens historiens, semblent prouver jusqu'à l'évidence que le sol, élevé progressivement par les terres que le fleuve dépose, a vu peu à peu les eaux de la mer se retirer.
Hérodote dit formellement que le terrain de l'Égypte est un présent du Nil ; la mer, suivant lui, s'étendait originairement jusqu'à Memphis. Il a vu des coquillages incrustés dans les rochers voisins de cette ville. Il a vu aussi, scellés aux
murailles, des anneaux auxquels on amarrait les vaisseaux. Aristote s'exprime d'une manière non moins positive ; Homère assure que de son temps l'île de Pharos, que les Lagides joignirent au continent par une chaussée, était séparée de l'Égypte de tout l'intervalle qu'un vaisseau peut franchir en un jour. Les historiens arabes prétendent que les premiers Pharaons régnaient à Syène, dont la mer baignait les murailles ; ils ajoutent que la mer s'étant insensiblement retirée, les terrains qu'elle laissa découverts se chargèrent des limons du Nil, ce qui les fertilisa en les exhaussant. Or nous savons que les Arabes n'écrivaient guère l'histoire que sur les traditions locales, et parmi les traditions de l'Orient, l'une des plus répandues se rapporte à la retraite successive des eaux de la mer et à l'établissement des premières peuplades égyptiennes sur les hauteurs de la Thébaïde.
Les Coptes ne doutent pas que le Delta ne fût un bas-fond, que les limons du Nil ont peu à peu comblé. Ils attribuent à Joseph le dessèchement de cette contrée au moyen des canaux qu'il creusa et des digues par lesquelles il contint les eaux du fleuve. Les prêtres d'Héliopolis, malgré leurs pré-tentions à une antiquité sans limites, apprirent à Hérodote, qu'au temps du roi Mœris, tout le Delta était couvert par le Nil dès que la crue était de huit coudées ; et, comme à l'époque où l'historien grec se trouvait en Égypte la crue devait être de
quinze coudées, il en conclut que, dans les neuf siècles qui s'étaient écoulés depuis le roi Mœris, le sol s'était élevé de sept coudées. L'existence de débris marins aux environs de l'ancienne Memphis est encore un fait avéré.
Je pourrais ajouter beaucoup de preuves, beaucoup de raisonnements à ce que je ne fais qu'énoncer ; mais ce n'est pas ici le lieu : non erat hic locus, et je n'oublie pas le précepte de Plaute ; je me contente de dire que je regarde comme un point constant que l'Égypte, et principalement le Delta, ont été couverts par les eaux dans les premiers âges, et que le Nil profitant pour s'étendre de leur retraite progressive, en a exhaussé le sol par le dépôt périodique des sables et des terres qu'il entraîne dans les débordements."



extrait de Firmin, ou Le jeune voyageur en Égypte, par Jules Lacroix de Marlès (17..-1850?), écrivain catholique et historien français du XIXe siècle. Il est l'un des principaux rédacteurs de l'Encyclopédie Catholique.

mercredi 29 juillet 2020

"L'Égypte domine, comme une cime impérissable, l'enfance lointaine de notre humanité" (Lucien Augé de Lassus)

impression sur bois, 1885, dessin d'A. Kohl

"Les pyramides ont un gardien digne d'elles, c'est le sphinx non moins illustre. Ce sphinx est l'aîné et le géant des sphinx de toute l'Égypte ; il faut y voir, paraît-il, la représentation du dieu Armachis.
C'est une montagne taillée et complétée par des blocs rapportés de façon à représenter, non l'image entière d'un sphinx, mais tout au moins son buste. L'oreille a deux mètres de long, le nez un mètre soixante-dix-neuf centimètres. Jamais l'homme ne bâtit tête si formidable. Son antiquité n'est pas moins prodigieuse que sa taille ; on sait d'une façon certaine par une inscription du règne de Chéops que, sous ce prince, le sphinx existait déjà, il compte pour le moins soixante siècles.
Le temps ne lui a pas été clément et l'homme moins encore, car, après la joie de dresser des idoles, l'homme n’a pas de joie plus grande que de les casser. Le nez est mutilé, et les joues ont de terribles balafres. Pauvre Armachis ! coiffé comme les princesses, il est beau cependant. Dans ses grands yeux flotte un regard mystérieux. Quelle implacable placidité dans ce large front !
Que de choses dirait ce colosse si ses lèvres pouvaient parler ! Combien il a vu de splendeurs et de gloire ! Combien il a vu de ces passants qui mènent grand bruit et qui s’appelaient : Cambyse, Alexandre, Saladin, Bonaparte ! (...)
L'Égypte semble l’aïeule de tous les peuples ; elle domine, comme une cime impérissable, l'enfance lointaine de notre humanité. Elle a des rois lorsque le reste de la terre n'a que des pasteurs errants ; elle a des temples énormes, des tombeaux somptueux lorsqu’au delà de ses frontières l'homme partage l’antre des bêtes fauves ; elle a une religion, un dogme, une écriture, une morale si élevée que jamais ne furent dictés enseignements plus purs, règles plus saintes ; elle est un peuple, un empire, une civilisation lorsqu'il n'est partout ailleurs que tribus barbares et sans nom, elle existe, elle rayonne, lorsque rien ne semble encore exister. Puis elle maintient, à travers les vicissitudes les plus cruelles, son art, sa foi, sa personnalité, durant plus de quarante siècles ; et par un privilège étrange, elle vivra peut-être au moins dans ses ruines, lorsque rien ne sera plus. Que les fléaux les plus terribles, les cataclysmes bouleversent notre globe, que l'humanité disparaisse, que les monuments dressés par elle croulent de toutes parts, quelques pierres resteront aux tombes des premiers Pharaons et les dernières, au milieu du morne silence de la terre, elles diront qu’il fut des hommes."


extrait de Voyage aux sept merveilles du monde, par Lucien Augé de Lassus (1841-1914), a
uteur dramatique, poète, librettiste de Camille de Saint-Saëns, archéologue, passionné de voyages.

jeudi 23 juillet 2020

Les différentes configurations des routes des caravanes dans le désert égyptien, par le colonel de Dumreicher bey

Camel caravan amid the pyramids, by Edwin Lord Weeks (1849-1903)

"Dans les déserts d'Egypte le tracé des grandes routes de caravanes est imposé parles formations géologiques.
C'est une coïncidence bizarre que pour les deux moyens de transport si différents, la caravane et l'automobile, les mêmes formations géologiques soient favorables, ou défavorables, à l'automobile comme au chameau.
En donnant des noms spéciaux aux différentes formations du désert, le Bédouin n'est naturellement pas influencé par des considérations géologiques, mais par l'effet que ces formations ont sur la marche de sa caravane, sur la végétation qui nourrit ses chameaux et sur la visibilité des empreintes sur le sol.
Ces formations produisent le même effet sur le pneu de l'automobile et sur la plante de pied élastique du chameau. Comme les dénominations bédouines décrivent en un mot concis le genre de terrain que traversent les routes et donnent une idée exacte de la difficulté de leur construction, je me servirai (...) de ces noms arabes pour être plus bref et plus précis.
Des trente dénominations que les nomades donnent à ces déserts il n'y a que les six suivantes qui nous intéressent:
1° Le "sérir" est ondoyant, souvent recouvert de cailloux ronds. Les sentiers du sérir sont excellents et ce désert est très recherché par les caravanes. Le désert près des Pyramides de Gizeh est sérir.
2° Le "hamada" est un désert dur et plat, sans relief, couvert de petites pierres, de très petits cailloux ou de sable à gros grain. Cette formation est la plus favorable aux caravanes et à l'automobile. On trouve ce hamada surtout dans la Haute-Égypte sur la rive gauche du Nil, et au Sinaï.
3° Le "hamereia", ou Désert Rouge, est composé de terre glaise et sablonneuse. La contrée est ouverte et plate, et ce terrain est excellent pour la marche des chameaux.
4° Le "soulb", ou le Désert d'Acier, est la région calcaire semblable au plateau entre la Méditerranée et la grande dépression des oasis. Sur ce terrain dur et souvent accidenté, les pistes sont mauvaises et les chameaux deviennent boiteux. Il est aussi mauvais pour les pneus.
5° Le "gelda", ou le Désert de Cuir du Mariout et d’autres régions argileuses desséchées, est intéressant parce qu'en été il forme une admirable surface pour la marche du chameau et de l'automobile tandis que, après une averse, la terre glaise qui le recouvre devient glissante et dangereuse pour ces deux moyens de transport. Le gelda est, en effet, le fond d'un lac qui, pendant la saison des pluies, est couvert d’une nappe d'eau qui aplanit toute irrégularité du sol. Sous l'effet des rayons du soleil du printemps la terre argileuse devient dure comme une brique cuite, et plate comme un billard, de sorte qu'avec peu de frais on pourrait, en été, convertir le gelda en une piste idéale pour les automobiles.
6° Les "gerud" sont des dunes de sable qui empêchent tout genre de locomotion.
Les grandes routes de caravanes ne sont ordinairement pas mauvaises sauf aux endroits où elles se faufilent entre les dunes et aux descentes qui mènent de la plaine aux dépressions profondes des oasis. Elles évitent autant que possible les défilés et les tranchées dans lesquels les sables mous et profonds s'accumulent à l'abri des escarpements, ainsi que les dépressions dans le gelda qui sont impraticables en hiver. À travers le sérir et le hamereia, elles sont même bonnes et, à très peu de frais, pourraient être transformées sur tout leur parcours en routes d'automobiles passables, en enlevant, entre les sentiers, les pierres par-ci et les buissons par-là."

extrait de Le tourisme dans les déserts d'Égypte, 1931, par André de Dumreicher bey, descendant d'une famille germano-danoise qui faisait partie de la communauté européenne d'Alexandrie depuis la fin du XVIIIe siècle.
Il commanda, de 1900 (?) à 1910, le 'Camel Corps' des garde-côtes de l'administration égyptienne, unité évoluant à dos de chameau, dont la tâche était de sécuriser une frontière de plus de 4.000 kilomètres de long.
Ses principales responsabilités, selon ses propres termes, étaient "de combattre la contrebande de haschich et de sel" sur le territoire égyptien, ainsi que d'empêcher le débarquement illégal de pèlerins sur la côte de la mer Rouge et le long du canal de Suez, principalement en raison du danger de choléra.
Il a en outre supervisé divers projets de construction, dont celle d'un nouveau port pour la flotte de pêche aux éponges et d'une nouvelle mosquée à Marsa Matrouh.

Le tourisme dans le désert égyptien, par le colonel André de Dumreicher

campement dans le désert par Charles-Théodore Frère (1814-1888)

"Je pourrais nommer maintes personnes qui, après une expédition dans le désert, m'ont avoué que c'était l'évènement le plus intéressant et le plus émouvant de leur vie, et je suis convaincu que si les déserts d'Égypte étaient mieux connus ils se classeraient parmi les endroits les plus recherchés par les voyageurs. Dans le Désert Arabique, des expéditions bien organisées à chameau, attireraient certainement beaucoup de touristes. Mais pour atteindre au succès qu'elles méritent et pour devenir une source de revenus importante pour l'Égypte, elles devraient être à la portée non seulement des millionnaires, mais surtout à celle de la grande masse des touristes moins aisés.
Pendant l'exercice de mes fonctions dans le désert, j'ai voyagé généralement avec confort, mais il arrivait que, pendant des patrouilles d'exploration ou pendant de longues poursuites de contrebandiers, dans des régions inconnues et éloignées, certaines privations devaient être supportées surtout quand il fallait vivre au jour le jour d’expédients variés. Mais ces expéditions étaient des plus agréables et cette vie de Robinson Crusoé serait d'un grand charme pour les jeunes gens. Ce qu'il faut éviter dans le désert c'est le luxe inutile qui retarde la marche de la caravane.
On ne doit s'exagérer ni les difficultés ni les dépenses d'organisation du tourisme à dos de chameau.
La première condition pour réussite du voyage est naturellement d’avoir un bon heggin (méhari). Il est heureux que les touristes ne s'entendent pas en dromadaires, sinon ils jouiraient moins des tournées faites à dos de chameau autour des Pyramides. La plupart de ces animaux sont lourds, ont le trot dur et sont mal soignés. Ceux qui ont la gale sentent le souffre, l'huile et la mauvaise graisse avec lesquels on les a frottés.
On chemine à chameau à trois allures : le pas, l’amble et le trot. Le galop n’est pas naturel au chameau.
1° Le pas des caravanes, de trois à quatre kilomètres à l'heure, secoue beaucoup de l'avant à l'arrière et n'est nullement confortable.
2° L'amble, de huit à dix kilomètres à l'heure.
3° Le trot, qui dépasse douze kilomètres à l'heure.
L'amble est l'allure adoptée par les patrouilles des méharistes. Il ne secoue pas l’homme, ni ne fatigue le chameau qui, au départ, porte, outre son maître, 25 litres d'eau pour celui-ci, et 25 kilogrammes de fourrage, ainsi que les provisions, couvertures et effets du cavalier. Ainsi équipées, les patrouilles peuvent parcourir des distances de 300 à 400 kilomètres sans avoir recours à un puits. On doit se rappeler que le poids porté par le chameau se réduit de 12 à 15 kilogrammes par jour.
Le trot est adopté pour une courte patrouille de deux ou trois jours et pour la poursuite de contrebandiers.
Pour les touristes de marque, je recommande la pratique observée par les garde-côtes, modifiable suivant la saison de l'année, la température ou la distance des puits. La caravane des "hamla"(chameaux porte-bagages) se met en marche, avec les bagages lourds, à trois heures du matin. Les touristes se lèvent à l'aube, déjeunent, suivent les hamla et les rattrapent à midi. On déjeune et on se repose jusqu'à trois heures tandis que la caravane des hamla continue son chemin. L'après-midi, on fait encore deux heures à chameau, on rattrape les hamla et l'on trouve à l'étape le thé déjà préparé. Cette manière de voyager permet de couvrir confortablement de 40 à 30 kilomètres par jour, ce qui est amplement suffisant. Le grand charme du désert n'est pas de battre un record de vitesse mais de jouir de la vie de camp. Avec de bons domestiques, 15 minutes après le signal de halte, un diner chaud et bien servi est préparé à l'abri d'une tente. Rien n'est plus calmant ni plus délicieux que la contemplation au cours des soirées et des nuits silencieuses du désert.
Le ravitaillement ne présente aucune difficulté. Il est moins coûteux qu'on ne le croirait. Le transport à dos de chameau est le meilleur marché qui existe.
Près de la côte, dans le Désert Libyque, la viande de mouton s'avarie facilement dans les quinze heures qui suivent l'abattage de l'animal, par suite de l'humidité. Mais l'air du Désert Arabique, même à peu de kilomètres de la côte, est si sec que les provisions ne se gâtent pas. Par de grandes chaleurs, la viande dessèche mais reste toujours comestible. La glace pour les boissons, bien enveloppée dans du papier et dans des couvertures de laine, dure de trois à quatre jours.
Cependant le désert devrait également être accessible aux touristes moins aisés qui, surtout s’il sont jeunes, trouveront qu'en dépit d’un confort médiocre la vie y a de très grands attraits."


extrait de Le tourisme dans les déserts d'Égypte, 1931, par André de Dumreicher bey, descendant d'une famille germano-danoise qui faisait partie de la communauté européenne d'Alexandrie depuis la fin du XVIIIe siècle. 
Il commanda, de 1900 (?) à 1910, le 'Camel Corps' des garde-côtes de l'administration égyptienne, unité évoluant à dos de chameau, dont la tâche était de sécuriser une frontière de plus de 4.000 kilomètres de long. 
Ses principales responsabilités, selon ses propres termes, étaient "de combattre la contrebande de haschich et de sel" sur le territoire égyptien, ainsi que d'empêcher le débarquement illégal de pèlerins sur la côte de la mer Rouge et le long du canal de Suez, principalement en raison du danger de choléra.
Il a en outre supervisé divers projets de construction, dont celle d'un nouveau port pour la flotte de pêche aux éponges et d'une nouvelle mosquée à Marsa Matrouh.

mardi 21 juillet 2020

"Elle vit, respire et parle dans ses monuments, l'âme de la vieille Égypte" (Gustave Le Bon)

photo MC

"Les civilisations que nous connaissons le mieux sont celles qui nous ont laissé le plus de monuments. Telle est précisément l'Égypte (...). Ses indestructibles édifices sont l’expression grandiose de ses aspirations, de ses préoccupations, de ses croyances, les antiques témoins de ses premiers efforts, ou les œuvres glorieuses de ses périodes de triomphe et d'épanouissement.
C'est en étudiant les temples et les tombeaux de la vallée du Nil que l’on comprend à quel point les monuments sont empreints de la pensée d’un peuple. Elle vit, respire et parle dans ses monuments, l'âme de la vieille Égypte. Elle y chante, par des symboles magnifiques, par des formes éloquentes et majestueuses, son hymne d'impérissable espérance ; elle y berce dans le demi-jour silencieux des sanctuaires, dans le mystère des hypogées, son rêve d existence éternelle. 
Dans cette architecture de l'Égypte, la plus étonnante peut-être, la plus durable certainement qui se soit développée dans le monde, nous lisons comme la synthèse lumineuse, comme la résultante mystique de cinquante siècles de travaux, d'efforts, de pensées et de croyances. En l'étudiant, nous comprenons le rôle prépondérant que joue l'idéal d’un peuple dans l’évolution de sa civilisation, nous voyons s’en dégager son idée dominante, idée qu'aucune littérature, qu'aucun autre document, ne saurait rendre avec autant d'ensemble, de puissance et de clarté.
Cette architecture, presque toute composée de monuments funéraires commémoratifs, ces édifices merveilleux, construits le plus souvent pour enfermer un mort, montrent, je le répète encore, à quel point les œuvres de pierre léguées par une race peuvent exprimer, indépendamment de tout auxiliaire, la pensée intime de cette race. 
À la fois gigantesque, formidable et simple, visant surtout à créer quelque chose d'impérissable en face de ces millions d'existences fugitives qui se succèdent sur la terre, l'architecture égyptienne semble un audacieux défi jeté par la vie à la mort  et par la pensée au néant."

extrait de Les premières civilisations, par Gustave Le Bon (1841-1931), médecin, anthropologue, psychologue social et sociologue français.

samedi 18 juillet 2020

"L'Égypte est le trophée d'un fleuve victorieux du désert et de la mer" (Georges Lecarpentier)

photo MC

"Comme un serpent sur le sable ainsi s’étend l'Égypte sur le désert. Si l’on fait abstraction, en effet, de quelques oasis, l'Égypte n’est pas autre chose que la vallée et le delta du Nil. Les dictionnaires géographiques affirment que c’est un pays d’une étendue considérable, couvrant près d’un million de kilomètres carrés, mais défalquez les déserts et, au lieu d’un pays deux fois grand comme la France, vous ne trouvez plus qu'un pays de 33 500 kilomètres carrés environ, c’est-à-dire de même dimension que la Belgique. 
L'Égypte a été si souvent décrite depuis près de six mille ans qu’elle est connue et qu’on en parle, que tout a été dit sur elle au point de vue géographique et qu’il faut aujourd’hui se résigner modestement à emprunter à d’autres les termes aussi bien que les éléments d’une description que l’on veut exacte.
Foin de l'originalité ! et redisons avec le vieil Hérodote que l'Égypte est un don du Nil. La formule fameuse de l'historien grec résume tout à la fois la géologie, la géographie et l'hydrographie de l'Égypte. Avant que le grand fleuve fût descendu des grands lacs de l'Afrique équatoriale et du haut plateau abyssin, aucune terre végétale ne zébrait l'immense étendue du désert. Sous un ciel sans pluie, des dunes de sables mouvants couvraient seules les roches sous-jacentes. Le Nil a apporté tout ensemble et l’eau et la terre. On le nommait jadis le Père des Eaux, il mérite d’être appelé également le Père de la Terre.
Pour faire l'Égypte, le Nil s’est d’abord creusé un lit profond à même le plateau granitique, gréseux et calcaire qui s’étend vers l’ouest, au pied des montagnes qui bordent la rive occidentale de la mer Rouge. Il a réussi, de cette manière, à atteindre l'extrémité méridionale du golfe profond que la Méditerranée projetait autrefois sur l’emplacement actuel du delta. Puis, son écoulement vers la mer une fois assuré, il s’est acharné sans relâche à édifier l'Égypte. Pendant des milliers de siècles et encore des milliers de siècles, sans trêve et sans repos, avec l’aide de ses affluents qui travaillaient comme lui, il a arraché aux grandes forêts équatoriales leur végétation arborescente et l’humus qui se formait sous leur ombre, il a arraché aux hautes montagnes du plateau abyssin les roches volcaniques dont elles sont formées et les glaises qui les recouvraient, il a broyé, mélangé, pétri tous ces éléments avec la silice des sables que les vents du désert lui jetaient et qu’ils précipitent encore dans ses eaux. Les rocs de ses six cataractes ont eu beau se dresser pour arrêter sa course, ils ne l'ont pas fait déposer son précieux fardeau avant qu'il n’eût atteint la vallée en pente douce qui commence en aval de Philae.
Alors seulement il commence à abandonner peu à peu le limon dont il est chargé. Il a comblé ainsi et son lit et le golfe où il rejoignait la mer. L'Égypte est donc le trophée d'un fleuve victorieux du désert et de la mer.
Aux premiers siècles de son existence il occupait seul, de l’un à l’autre plateau désertique, toute la vallée ; ses berges étaient les rebords des plateaux, les plus fortes crues le gonflaient sans le faire déborder. Mais les temps s’écoulaient, les époques géologiques évoluaient. Là- bas, très loin, en amont des cataractes, de grands réservoirs d'eaux terrestres se tarirent ; aux pluies diluviennes et continues succédèrent des pluies saisonnières. Réduit à la portion congrue, le Nil ne s’entêta pas à occuper toute la vallée : dans le limon même qu’il avait apporté, il se creusa un lit plus étroit et plus profond pour s'y confiner à l’étiage. Alors, de part et d’autre de ce lit nouveau, des terres noires et grasses émergèrent : l'Égypte naissait."


extrait de L'Égypte moderne, Georges Lecarpentier (1876-1959), avocat à la Cour d'appel de Paris, professeur à l'École française de droit du Caire, diplômé d'études supérieures de géographie, docteur ès-sciences juridiques de l'université de Paris

vendredi 17 juillet 2020

Dans les profondeurs du désert égyptien, par la marquise de Laubespin

Dans le désert égyptien, par Charles-Théodore Frère (1814-1888)

"31 Janvier. - Nous nous enfonçons dans les pro
fondeurs du désert, après avoir dit adieu au doyen de notre bande, peu soucieux de l'inconnu qui nous attend. Un Bédouin superbe, au fier profil, au regard profond, où la colère allume parfois une lueur sauvage, nous a été donné, ainsi que ses frères, comme guide et escorte, par un de nos amis. Abou-Chanem - c'est son nom - marche en tête, sur son dromadaire : nous le suivons, un peu effrayés d’abord de la hauteur et des allures de nos montures du désert, mais rassurés bientôt, puis habitués et finalement attachés à ces dociles bêtes, comme à de bons serviteurs, d'autant plus que ce genre de sport n’entraîne pas la fatigue qu'on lui prête.
Quarante chameaux de charge ou de selle forment une file imposante. Les campements, choisis souvent auprès d’une oasis, présentent un spectacle des plus pittoresques, avec les tentes dressées, la cuisine en plein air, la pile des ballots, les animaux couchés et ruminant leur maigre pitance, enfin les grands feux autour desquels nous nous groupons pêle-mêle avec nos Bédouins aux types sévères, aux costumes élégants. Éclairés par les flammes et leur empruntant des teintes inexprimables, ils charment la veillée, tantôt par des chants tristes et monotones, tantôt par ces contes merveilleux que tous les Orientaux aiment avec passion : des exploits guerriers, des apologues, des légendes en fournissent le texte, celle surtout, m'a-t-on dit, de la reine de Saba et du roi Salomon. Parfois ces hommes si graves aiment à rire : les femmes alors sont, de préférence, l'objet de leurs sarcasmes. (...)Revenons à la vie du désert.
Le désert n'est pas, comme je l'avais rêvé, un océan de sable à perte de vue ; une sorte de végétation lui est propre, rabougrie, grise plutôt que verte, déparant le tableau à un point de vue et ne l'embellissant à aucun ; le sol est ondulé, des oasis de palmiers se cachent souvent dans les plis du terrain, parfois ils ombragent des flaques d'eau jaunâtre, dont l'horrible saveur augmente encore la soif qu'aiguise sa vue."

extrait de Esquisses de voyages, par Claire-Octavie-Marie-Caroline de Saint-Mauris-Châtenois, marquise de Laubespin (1834 - ?). Pas d'informations biographiques disponibles sur cette auteure.