mercredi 29 juillet 2020

"L'Égypte domine, comme une cime impérissable, l'enfance lointaine de notre humanité" (Lucien Augé de Lassus)

impression sur bois, 1885, dessin d'A. Kohl

"Les pyramides ont un gardien digne d'elles, c'est le sphinx non moins illustre. Ce sphinx est l'aîné et le géant des sphinx de toute l'Égypte ; il faut y voir, paraît-il, la représentation du dieu Armachis.
C'est une montagne taillée et complétée par des blocs rapportés de façon à représenter, non l'image entière d'un sphinx, mais tout au moins son buste. L'oreille a deux mètres de long, le nez un mètre soixante-dix-neuf centimètres. Jamais l'homme ne bâtit tête si formidable. Son antiquité n'est pas moins prodigieuse que sa taille ; on sait d'une façon certaine par une inscription du règne de Chéops que, sous ce prince, le sphinx existait déjà, il compte pour le moins soixante siècles.
Le temps ne lui a pas été clément et l'homme moins encore, car, après la joie de dresser des idoles, l'homme n’a pas de joie plus grande que de les casser. Le nez est mutilé, et les joues ont de terribles balafres. Pauvre Armachis ! coiffé comme les princesses, il est beau cependant. Dans ses grands yeux flotte un regard mystérieux. Quelle implacable placidité dans ce large front !
Que de choses dirait ce colosse si ses lèvres pouvaient parler ! Combien il a vu de splendeurs et de gloire ! Combien il a vu de ces passants qui mènent grand bruit et qui s’appelaient : Cambyse, Alexandre, Saladin, Bonaparte ! (...)
L'Égypte semble l’aïeule de tous les peuples ; elle domine, comme une cime impérissable, l'enfance lointaine de notre humanité. Elle a des rois lorsque le reste de la terre n'a que des pasteurs errants ; elle a des temples énormes, des tombeaux somptueux lorsqu’au delà de ses frontières l'homme partage l’antre des bêtes fauves ; elle a une religion, un dogme, une écriture, une morale si élevée que jamais ne furent dictés enseignements plus purs, règles plus saintes ; elle est un peuple, un empire, une civilisation lorsqu'il n'est partout ailleurs que tribus barbares et sans nom, elle existe, elle rayonne, lorsque rien ne semble encore exister. Puis elle maintient, à travers les vicissitudes les plus cruelles, son art, sa foi, sa personnalité, durant plus de quarante siècles ; et par un privilège étrange, elle vivra peut-être au moins dans ses ruines, lorsque rien ne sera plus. Que les fléaux les plus terribles, les cataclysmes bouleversent notre globe, que l'humanité disparaisse, que les monuments dressés par elle croulent de toutes parts, quelques pierres resteront aux tombes des premiers Pharaons et les dernières, au milieu du morne silence de la terre, elles diront qu’il fut des hommes."


extrait de Voyage aux sept merveilles du monde, par Lucien Augé de Lassus (1841-1914), a
uteur dramatique, poète, librettiste de Camille de Saint-Saëns, archéologue, passionné de voyages.

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