mercredi 8 juillet 2020

"Assouan, une fleur posée entre deux stérilités immenses, au bord de l’eau", par Camille Mauclair

Assouan : aquarelle de Conrad H. R. Carelli, 1908

"Je suis venu chercher à Assouan le repos dans la nature, loin des hypogées, des sanctuaires, de la théologie, de l’érudition, de la hantise des siècles, de l’art même. Le repos dans la nature, rien d'autre. Mais quel repos, et quelle nature !
Assouan se déroule sur la rive droite du Nil, en face de longues collines de sable qui dissimulent le désert libyque : et Assouan elle-même est à la limite du désert arabique. 
C'est une fleur posée entre deux stérilités immenses, au bord de l’eau. J’adore le silence, ou plutôt les silences, car chacun a sa condition, sa qualité, sa saveur, que j’ai appris à discerner et à goûter. J’ai connu bien des silences diversement nuancés, à Bruges, à Sorrente, à Ravello, à Tozeur, à Assise, à Olympie, en bien d’autres lieux. Je n’en ai jamais connu d’aussi parfaitement délicieux que celui d’Assouan. Il a quelque chose de surnaturel, léger, d'aussi suave que l’air qu’on respire en ce paysage d’une harmonie simple et souveraine. Très peu de couleurs : l’azur, les sables semblables au miel, le gris rosé du fleuve, accord de trois tons, avec quelques accents de maisons blanches et de palmiers verts. Le tout est imbu de lumière au point de sembler presque dématérialisé, irréel. L’atmosphère du Caire, celle même de Louqsor, si agréable pourtant, semble étouffante et opaque auprès de celle d’Assouan. On vit dans la clarté absolue, on oublie sa propre densité, et cet allégement surpasse le plaisir physique, il donne vraiment un sens au mot bonheur.
La jolie cité aligne ses maisons sur des quais ombragés. Elle reste musulmane. Le progrès moderne n’y a encore rien gâté. Ville de saison, mise à la mode par les Britanniques, elle a admis le confort sans en être enlaidie. L’Européen y trouve quelques grands hôtels admirablement installés. Ils sont coûteux ; il n’y a guère de milieu, en Haute Égypte, entre la vie indigène qu'on n’accepterait pas sans quelque courage, et l'existence de palace. Une clientèle de condition moyenne ne viendrait pas. Je me hâte de dire que le tourisme est très intelligemment dirigé partout, et qu’à Assouan notamment le luxe des appartements, des menus, du service, ne s’accompagne d’aucun des inconvénients et des snobismes que j’ai toujours détestés dans les palaces. Tout est disposé avec tact en vue de la discrète quiétude et l’affabilité de l’accueil est parfaite. J'ai vécu au Cataract Hotel comme au Louqsor Hotel quelques jours enchantés. Cette vie européenne reste à l’écart de l’agglomération arabe, qui est colorée et amusante, et continue ses habitudes avec l’imperméabilité placide propre aux Orientaux."

extrait de L'Égypte millénaire et vivante, 1938, par Camille Mauclair (1872-1945), nom de plume de Camille Laurent Célestin Faust, poète, romancier, historien d'art et critique littéraire français.

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