jeudi 23 juillet 2020

Le tourisme dans le désert égyptien, par le colonel André de Dumreicher

campement dans le désert par Charles-Théodore Frère (1814-1888)

"Je pourrais nommer maintes personnes qui, après une expédition dans le désert, m'ont avoué que c'était l'évènement le plus intéressant et le plus émouvant de leur vie, et je suis convaincu que si les déserts d'Égypte étaient mieux connus ils se classeraient parmi les endroits les plus recherchés par les voyageurs. Dans le Désert Arabique, des expéditions bien organisées à chameau, attireraient certainement beaucoup de touristes. Mais pour atteindre au succès qu'elles méritent et pour devenir une source de revenus importante pour l'Égypte, elles devraient être à la portée non seulement des millionnaires, mais surtout à celle de la grande masse des touristes moins aisés.
Pendant l'exercice de mes fonctions dans le désert, j'ai voyagé généralement avec confort, mais il arrivait que, pendant des patrouilles d'exploration ou pendant de longues poursuites de contrebandiers, dans des régions inconnues et éloignées, certaines privations devaient être supportées surtout quand il fallait vivre au jour le jour d’expédients variés. Mais ces expéditions étaient des plus agréables et cette vie de Robinson Crusoé serait d'un grand charme pour les jeunes gens. Ce qu'il faut éviter dans le désert c'est le luxe inutile qui retarde la marche de la caravane.
On ne doit s'exagérer ni les difficultés ni les dépenses d'organisation du tourisme à dos de chameau.
La première condition pour réussite du voyage est naturellement d’avoir un bon heggin (méhari). Il est heureux que les touristes ne s'entendent pas en dromadaires, sinon ils jouiraient moins des tournées faites à dos de chameau autour des Pyramides. La plupart de ces animaux sont lourds, ont le trot dur et sont mal soignés. Ceux qui ont la gale sentent le souffre, l'huile et la mauvaise graisse avec lesquels on les a frottés.
On chemine à chameau à trois allures : le pas, l’amble et le trot. Le galop n’est pas naturel au chameau.
1° Le pas des caravanes, de trois à quatre kilomètres à l'heure, secoue beaucoup de l'avant à l'arrière et n'est nullement confortable.
2° L'amble, de huit à dix kilomètres à l'heure.
3° Le trot, qui dépasse douze kilomètres à l'heure.
L'amble est l'allure adoptée par les patrouilles des méharistes. Il ne secoue pas l’homme, ni ne fatigue le chameau qui, au départ, porte, outre son maître, 25 litres d'eau pour celui-ci, et 25 kilogrammes de fourrage, ainsi que les provisions, couvertures et effets du cavalier. Ainsi équipées, les patrouilles peuvent parcourir des distances de 300 à 400 kilomètres sans avoir recours à un puits. On doit se rappeler que le poids porté par le chameau se réduit de 12 à 15 kilogrammes par jour.
Le trot est adopté pour une courte patrouille de deux ou trois jours et pour la poursuite de contrebandiers.
Pour les touristes de marque, je recommande la pratique observée par les garde-côtes, modifiable suivant la saison de l'année, la température ou la distance des puits. La caravane des "hamla"(chameaux porte-bagages) se met en marche, avec les bagages lourds, à trois heures du matin. Les touristes se lèvent à l'aube, déjeunent, suivent les hamla et les rattrapent à midi. On déjeune et on se repose jusqu'à trois heures tandis que la caravane des hamla continue son chemin. L'après-midi, on fait encore deux heures à chameau, on rattrape les hamla et l'on trouve à l'étape le thé déjà préparé. Cette manière de voyager permet de couvrir confortablement de 40 à 30 kilomètres par jour, ce qui est amplement suffisant. Le grand charme du désert n'est pas de battre un record de vitesse mais de jouir de la vie de camp. Avec de bons domestiques, 15 minutes après le signal de halte, un diner chaud et bien servi est préparé à l'abri d'une tente. Rien n'est plus calmant ni plus délicieux que la contemplation au cours des soirées et des nuits silencieuses du désert.
Le ravitaillement ne présente aucune difficulté. Il est moins coûteux qu'on ne le croirait. Le transport à dos de chameau est le meilleur marché qui existe.
Près de la côte, dans le Désert Libyque, la viande de mouton s'avarie facilement dans les quinze heures qui suivent l'abattage de l'animal, par suite de l'humidité. Mais l'air du Désert Arabique, même à peu de kilomètres de la côte, est si sec que les provisions ne se gâtent pas. Par de grandes chaleurs, la viande dessèche mais reste toujours comestible. La glace pour les boissons, bien enveloppée dans du papier et dans des couvertures de laine, dure de trois à quatre jours.
Cependant le désert devrait également être accessible aux touristes moins aisés qui, surtout s’il sont jeunes, trouveront qu'en dépit d’un confort médiocre la vie y a de très grands attraits."


extrait de Le tourisme dans les déserts d'Égypte, 1931, par André de Dumreicher bey, descendant d'une famille germano-danoise qui faisait partie de la communauté européenne d'Alexandrie depuis la fin du XVIIIe siècle. 
Il commanda, de 1900 (?) à 1910, le 'Camel Corps' des garde-côtes de l'administration égyptienne, unité évoluant à dos de chameau, dont la tâche était de sécuriser une frontière de plus de 4.000 kilomètres de long. 
Ses principales responsabilités, selon ses propres termes, étaient "de combattre la contrebande de haschich et de sel" sur le territoire égyptien, ainsi que d'empêcher le débarquement illégal de pèlerins sur la côte de la mer Rouge et le long du canal de Suez, principalement en raison du danger de choléra.
Il a en outre supervisé divers projets de construction, dont celle d'un nouveau port pour la flotte de pêche aux éponges et d'une nouvelle mosquée à Marsa Matrouh.

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