mercredi 4 novembre 2020

La "simplicité de l'architecture égyptienne", par Ernest Breton

photo MC

"Ce n'est que dans les monuments de l'antique Égypte que nous pouvons puiser les premiers éléments de l'histoire de l'architecture. Le manque de bois força les Égyptiens à chercher un refuge dans les grottes, et lorsque la nature ne leur en présenta pas de toutes faites, ou ne leur en offrit que de trop petites, ils durent en creuser de nouvelles, ou agrandir celles déjà existantes. Ce travail les habitua nécessairement à la taille de la pierre, si abondante dans leur pays ; aussi bientôt , lorsque les grottes leur parurent insuffisantes au culte de leurs divinités, ils commencèrent à élever des constructions en avant de ces demeures souterraines. Tels sont en effet les plus anciens monuments de l'Égypte. 
Dans un pays sans pluie, le besoin de toits inclinés ne se faisant point sentir, lorsque plus tard les Égyptiens abandonnèrent les souterrains pour les constructions isolées, ils ne cherchèrent point à inventer d'autres toits que ceux dont les grottes naturelles leur avaient indiqué la forme. Il en résulte que l'absence de voûtes ou de toits est un des caractères distinctifs de l'architecture grecque. 
La construction des plafonds égyptiens, composés de pierres d'une grande largeur, posées à plat, explique la multiplicité des colonnes que l'on dut rapprocher, faute de trouver des blocs d’une assez grande superficie. Les colonnes égyptiennes étaient ou rondes, ou polygonales à quatre ou six côtés. Quant aux chapiteaux, ils sont variés à l'infini ; mais ils peuvent tous être rapportés aux trois principales formes, quadrangulaire, évasée et bombée. La forme évasée est évidemment le type primitif du chapiteau corinthien.
De la nature plate des grottes dérive la simplicité de l'architecture égyptienne, comme des charpentes multipliées de la cabane est née la richesse de l'architecture grecque. Plusieurs causes contribuèrent à perpétuer cette simplicité primitive. Quel progrès pouvait-on attendre d'une société dont la principale constitution, forçant chacun à exercer l'état de son père, étouffait ainsi l'émulation si nécessaire aux arts, en ne laissant à personne l'espoir de sortir de la sphère où le hasard l'avait place ? En outre, tout ce qui touchait à la religion étant regardé comme inaltérable, toute innovation eût été sacrilège ; et comme la religion fut toujours le premier mobile du développement des arts, on doit comprendre quelle dut être la fatale influence d'une religion stationnaire comme celle de l'Égypte. 
L'imagination des architectes, ne pouvant trouver à s'épancher dans l'ornementation des édifices, chercha à leur donner un autre genre de beauté. Ils songèrent plutôt à étonner qu'à plaire ; et n'ayant idée d'aucune autre grandeur que de la grandeur matérielle, le grandiose ne fut pour eux que dans le colossal. La forme de leurs constructions étant extrêmement simple, ils n'eurent à procéder qu'à l'équarrissement des pierres, et leur plus grand mérite fut dans la précision et la justesse de la pose et des joints. 
Ce qui étonne le plus dans cette architecture, c'est la difficulté qu'ont dû présenter le transport et l'élévation de masses aussi considérables ; mais du temps, de la patience et beaucoup de bras à employer avec une grande économie, voilà ce qui explique toutes ces entreprises et les moyens de leur exécution. La principale décoration des monuments égyptiens consiste dans l'application de la sculpture et de la peinture à la reproduction des hiéroglyphes qui, aujourd'hui encore, leur impriment un cachet si bizarre, si particulier.
La simplicité de l'architecture égyptienne, l'usage de la sculpture en creux, la dureté des matériaux, la sécheresse du climat, et surtout l'état d'abandon où restèrent ces monuments, loin de toutes grandes villes, de tout gouvernement actif et puissant, expliquent l'étonnant état de conservation des nombreux édifices que nous allons passer en revue. Il n'a fallu rien moins que le voisinage d'une ville aussi peuplée que le Caire pour faire disparaître les dernières traces de Memphis."

extrait de Monuments de tous les peuples : décrits et dessinés d'après les documents les plus modernes, 1843, par Ernest Breton (1812-1875), artiste et archéologue français

mardi 3 novembre 2020

Le Nil et ses cataractes, par Clara Filleul de Pétigny

photo datée de 1875 - auteur non mentionné

"Le Nil résume à lui seul toute l'histoire de l'Égypte. Beau fleuve dont les sources furent longtemps inconnues, il vit sur ses deux rives s'élever une foule de villes dont l'une seule eût été l'orgueil d'un royaume ; providence d'une longue vallée qui n'attend tous les ans que ses inondations régulières et son limon fertile, pour produire les fruits et les légumes les plus délicieux. (...)
Si les eaux du Nil sont peu potables (Volney, Vansleb et la commission d'Égypte sont de cet avis), en revanche son limon gras, noir, chargé de sel, rend la terre on ne peut plus féconde. Les anciens prêtres de l'Égypte prétendaient que les premiers hommes en avaient été formés. (...) Les prêtres égyptiens, peut-être, ne cherchaient qu'à frapper l'imagination des peuples, en propageant des fables aussi grossières ; mais ce qui doit le plus étonner, c'est de voir en 1685, les Européens demander au Caire des renseignements sur cette création merveilleuse. Les érudits de la Ville-Dorée répondirent aux philosophes de Paris qu'on n'avait, dans le pays des prodiges, aucune connaissance de cette étrange production. Le fait est dans le Journal des Savants.
Homère semble avoir compris les inondations du Nil, 
causées par les grandes pluies qui tombent régulièrement en Éthiopie pendant les mois d'avril et de main, puisqu'il dit que ce fleuve immense est un épanchement du ciel.
Le Nil a trois grandes chutes qu'on appelle cataractes (du grec, jaillir, s'élancer avec force, briser). Il y en a une dans la Haute-Égypte, au-dessus de la ville d'Asna, une autre au-dessus du lac Dambéa, et une troisième au-dessous de ce lac. Cette dernière est la plus considérable, elle a cent toises ou six cents pieds d'élévation.
Le bruit que fait le fleuve, en cet endroit, est si considérable, s'il faut croire sur parole certains voyageurs, qu'on l'entend à une grande distance. C'est un épouvantable fracas. Le sol tremble sous les pieds, et le vertige saisit presque tous les visiteurs. Cependant, il y a des gens assez courageux pour descendre, dans de frêles barques, les canaux les plus étroits de cet impétueux et vaste torrent. Deux hommes se placent dans un esquif, l’un pour le conduire, l'autre pour empêcher l'eau d'y pénétrer. Après avoir été un instant ballottés par les vagues furieuses et blanches d'écume, ils se laissent emporter par l'impétuosité du courant, qui les pousse comme un trait ; ils tombent avec une telle rapidité dans le précipice qu'on les croit engloutis ; mais bientôt ils reparaissent. Le récit de Sénèque, d'après cette version, est d'accord avec celui de quelques voyageurs modernes. L'eau de la troisième chute est poussée avec tant de violence qu'elle forme une arcade sous laquelle elle laisse un grand chemin, où l'on peut passer sans être mouillé : on y trouve même des sièges taillés dans le roc, pour la commodité des voyageurs. Cicéron, qui n'avait jamais vu les cataractes, en fait une description qui s'éloigne encore plus de la vérité. Le fleuve, dit-il, en se précipitant des hautes montagnes, mugit avec tant de force que l'organe de l'ouïe est paralysé chez ceux dont les habitations en sont trop voisines. D'autres voyageurs, surtout parmi les modernes, sans tenir compte des changements qui ont pu s’opérer dans le cours du Nil, ont donné dans un excès contraire.
Ils raillent Cicéron, Sénèque et d’autres auteurs, affirmant qu'il n'y a point de bruyantes cascades, de chutes immenses, d'abîmes, de précipices, de tourbillons d’écume ; mais qu'il existe simplement en travers du lit du fleuve, de l'est à l'ouest, un banc de granit, large de trois ou quatre mille toises ; cette barre, interceptant le cours de l'eau, la force de couler entre les points de la roche qui excèdent le niveau du banc ; de plus, que ces chutes si minimes n'ont lieu qu'au temps des basses eaux, car pendant l'inondation, les cataractes disparaissent tout à fait."


extrait de L'Égypte, son histoire et ses merveilles, 1874, par Clara Filleul de Pétigny (1822-1878), artiste peintre française, auteure de livres pour enfants et de récits de voyage





samedi 31 octobre 2020

"Laisse le voyageur assis à l'ombre de sa voile contempler à loisir les paysages qui fuient" (Laurent Laporte)

aucune précision de date pour cette carte postale, éditée par l'Union postale universelle

"Pardonne-moi, mon cher ami, tous ces détails un peu longs peut-être et monotones, ces souvenirs, ces ébauches rapides, ces descriptions à peine esquissées ; laisse-moi oublier un peu les hiéroglyphes et les momies, les ruines de l'orgueil des hommes et de l'opulence des cités ; laisse-moi te parler d'un village sans nom, d’un palmier ou d'une fellahine, laisse-moi surtout te raconter mes jours perdus.
"Ce sont les jours perdus, dit M. Ampère qui n'est pas seulement un savant, mais aussi un poète et un philosophe, ce sont les jours perdus qui comptent quelquefois le plus dans les souvenirs que laisse un voyage : si l'on ne faisait que passer et étudier, on ne garderait aucune impression des lieux. Il faut des jours vides d'action pour qu'ils puissent être remplis d'images."
Laisse-moi donc te raconter les pensées, les images, les impressions de ces jours perdus. Laisse le voyageur assis à l'ombre de sa voile contempler à loisir les paysages qui fuient, et essayer pour s'en souvenir de jeter quelques coups de crayon sans couleur sur une feuille éphémère. 
Sans doute il est bon de déchiffrer les hiéroglyphes, de lire les inscriptions des siècles d'autrefois, d'interroger les idoles oubliées ; mais il est meilleur encore de se pénétrer de la teinte des lieux, de plonger ses regards dans le profond azur de ce ciel, de se recueillir et de méditer longuement en face de cette nature étrange et radieuse, devant ce fleuve sans pareil, et d'imprégner son imagination de cette merveilleuse mise en scène qui suscite toute les réminiscences de la Bible.
Ai-je tort ? Que suis-je venu chercher, en Égypte ? Est-ce la science ? Est-ce le soleil ? Est-ce le pays de la IVe ou de la XVIIIe dynastie ? Est-ce au contraire le pays où mourut Joseph et où naquit Moïse ? On peut étudier en France et à Paris ; on peut lire les cartouches et les hiéroglyphes dans le fauteuil de son cabinet ; mais ce qu'on ne saurait trouver ailleurs, ce sont les palmiers, les fellahines, les villages du Nil ; ce sont ces tableaux lumineux de l'Orient, ces charmantes scènes de la Bible ; c'est cette terre et ce soleil, c'est l'Égypte enfin avec son prestige et ses souvenirs. Comment ferais-je pour ne pas t'en parler ?

extrait de L'Égypte à la voile, 1870, de Laurent Laporte (1843 - 1922), conseiller honoraire à la cour d'appel de Paris

lundi 26 octobre 2020

"Le bateau à voile navigue dans l'antiquité, vogue dans le passé, surtout dans cette vieille vallée du Nil, qui est pour ainsi dire l'antique berceau du genre humain" (Laurent Laporte)

par David Roberts (1796–1864)

"Deux chaînes de montagnes arides, la chaîne arabique et la chaîne lybique suivent parallèlement le fleuve et forment la limite naturelle de l'Égypte. L'Égypte n'est qu'une longue vallée. Elle offre cette particularité remarquable qu'elle est légèrement bombée et que le Nil occupe la partie culminante du sol. En général les vallées présentent la forme d'un berceau et le fleuve qui les arrose passe au point le plus bas. Le contraire a lieu en Égypte et il suffit que le Nil dépasse légèrement la berge qui l'emprisonne pour qu'il inonde tout le pays.
Sur les flancs de ces montagnes s'ouvrent de nombreux hypogées ; ce sont des salles spacieuses creusées dans le rocher, des tombeaux, des corridors, dont toutes les faces sont couvertes d'hiéroglyphes et de peintures d'une étonnante conservation. Ce sont des puits très profonds où sont entassées de prodigieuses quantités de momies : momies d'hommes, de loups, de boeufs, de crocodiles, de serpents, d'ibis et autres animaux qui composaient le panthéon des anciens Égyptiens.
Par delà ces montagnes, c'est le désert, paysage stérile et enflammé. L'Égypte n'est qu'une grande oasis au milieu d'un immense désert. "Parfois, dit Chateaubriand, comme un ennemi il se glisse dans la plaine vaste. Il pousse ses sables en longs serpents d'or et dessine au sein de la fécondité des méandres stériles."
Devant nous le Nil capricieux fait de grands détours. Là, étroit, tumultueux, d'une teinte jaune ; plus loin, large, uni, bleu foncé comme le ciel ; tour à tour fleuve, rivière, torrent ; souvent il affecte la forme d'un immense étang, ses rives, dans leurs contours, ont l'air de se rejoindre, et l'oeil peu exercé cherche vainement l'issue de ce lac apparent.
De nombreux bancs de sable chauffent au soleil leurs dos arrondis et blanchâtres. Les crocodiles aiment à dormir sur ces îles basses, et c'est par milliers que les canards et les échassiers se rassemblent sur leurs bords.
Des barques de toutes les formes sillonnent jour et nuit le fleuve : bateaux de pêcheurs, canots, nefs à la poupe relevée, barques surmontées d'une cabane toute bariolée, radeaux de ballas, cargaisons d'esclaves, dahabiehs de voyageurs ; partout les voiles blanches, grises, carrées et pointues s'arrondissent au vent, se suivent, se dépassent et se croisent en tous sens. Si les voyageurs sont Français, nous les saluons des six coups de nos revolvers.
Voici de grandes meules de paille chargées sur deux barques accouplées qui disparaissent presque entièrement sous l'eau. Le reis assis au sommet de la pyramide flottante fume son chibouk avec un air antique et solennel qui fait songer au roi Chéops.
Tout à coup le fleuve se replie, et, au tournant qui se présente, un grand bateau à vapeur débouche orgueilleusement. Il passe fièrement sans même nous regarder. D'ailleurs notre petite voile est fière aussi ; elle a naturellement le plus profond mépris pour ces grandes machines hurlantes, sifflantes, fumantes, toujours essoufflées, qui voyagent avec grand fracas, mais sans aventures et sans agrément. Nous les accusons de troubler notre calme, d'agiter notre Nil, de ternir notre ciel, de gâter nos paysages, d'épouvanter les crocodiles et d'effaroucher les muses.
Autant il y a de poésie dans la pauvre petite voile qui s'en va humblement, sans bruit, sans fumée, d'une manière beaucoup moins directe, beaucoup moins rapide, mais beaucoup plus charmante, autant ces grandes machines sont prosaïques et odieuses avec leur vitesse, leur confortable, leur cheminée peinte en rouge et leur coque vernie.
Le bateau à voile navigue dans l'antiquité, vogue dans le passé, surtout dans cette vieille vallée du Nil, qui est pour ainsi dire l'antique berceau du genre humain.
Le bateau à vapeur chemine dans le tourbillon moderne, il représente le progrès, la spéculation, la hâte, le tapage.
Le bateau à voile c'est la vieille navigation qui croit encore aux fables, qui aime l'imprévu et qui espère des aventures.
L’un compte sur la force des hommes, l'autre compte sur le souffle des bons génies, cette force invisible et mystérieuse qui vient d'en haut."

extrait de L'Égypte à la voile, 1870, de Laurent Laporte (1843 - 1922), conseiller honoraire à la cour d'appel de Paris

samedi 24 octobre 2020

L'Égypte, "une terre d'élection pour le tourisme d'hiver" (Georges Zayed)

poster touristique des années 1930

"... notre industrie cinématographique n'a pas atteint le degré ni l'envergure qui conviennent au rôle qu'elle est appelée à jouer. On peut affirmer néanmoins, par suite des progrès déjà réalisés, que l'avenir lui réserve les plus belles perspectives. L'extraordinaire luminosité du ciel d'Égypte, qui permet des prises de vues impeccables, les décors naturels attirants qu'offre le pays, l'équipement moderne des studios, susceptible d’ailleurs d’un plus grand perfectionnement, sont autant de facteurs favorables au développement de notre production.
D'autre part, la multiplication des salles de cinéma, non seulement dans les grands centres urbains, mais dans les petites villes de province, nécessite une production plus abondante et plus variée, pour répondre aux goûts d'un public de jour en jour plus nombreux et plus exigeant. Le pays peut absorber un nombre beaucoup plus considérable de films égyptiens, à juger par celui des films américains et français qui y sont projetés.
L'extension du cinéma national est d'autant plus intéressante que celui-ci a des débouchés assurés dans tous les pays arabes, où nos films sont particulièrement recherchés et goûtés. Il y aurait naturellement avantage à tourner les films en deux langues ou plus, de façon à les rendre accessibles au public étranger et à permettre leur diffusion en Europe. Les films égyptiens projetés dernièrement au festival de Cannes ont emporté tous les suffrages. Il faudrait aussi que nos producteurs tiennent compte des goûts différents des pays auxquels sont destinées les versions et au besoin en sacrifier certains côtés pour les dépouiller de leur caractère trop typiquement égyptien.
Le Caire pourrait ainsi devenir le Hollywood de tout l'Orient et notre cinéma pourrait avoir un immense rayonnement dans le monde arabe et même forcer les frontières occidentales où il sera pour l'Égypte la meilleure propagande.

Cette propagande aura pour effet d'attirer dans le pays un plus grand nombre de touristes et par suite de favoriser certaines manifestations de la vie économique.
De tout temps, l'Orient a excité la curiosité des peuples occidentaux. Terre de soleil et de lumière, de nuits diaphanes et de clairs de lune parfumés, terre de mirage et de volupté, il nourrit de rêves d'or leur imagination. Parmi tous les pays d'Orient, c'est surtout à l'Egypte que va leur sympathie.
La Vallée du Nil, en plus de son cachet oriental, possède d'incontestables charmes. Par ses beautés naturelles, la grandeur de ses monuments antiques, la salubrité et la douceur de son climat, la majesté de son fleuve et l'hospitalité native de ses habitants, c'est une terre d'élection pour le tourisme d'hiver.
Cependant l'État ne sait pas exploiter ces avantages de façon à en tirer le plus de profit. Le tourisme est une source importante de revenus pour le pays et par conséquent mérite tous les soins du Gouvernement. Deux au trois millions de livres égyptiennes sont en effet dépensés annuellement par les touristes, dont le nombre a varié de 14.000, avant 1914, à 20.000, en 1930 (maximum: 20.500, en 1928-29).
Longtemps la propagande touristique a été complètement négligée et se réduisait à celle, muette, de nos monuments antiques. En 1912, cependant, sous l'impulsion éclairée du Prince Fouad, dont l'initiative s'est fait sentir dans tous les domaines, l'Association Égyptienne de Propagande prit naissance. Son but était de faire connaître l'Égypte à l'étranger par tous les moyens publicitaires, de faciliter aux touristes la visite du pays et leur rendre le séjour attrayant, en un mot d'étudier toutes les conditions susceptibles de favoriser le tourisme. Faute de fonds et de subventions adéquates (à peine L.E. 8.000) cet organisme n'a pas produit les effets escomptés. 
Maintenant que la guerre est finie, il est probable, dès que la période de reconstruction sera terminée, que le tourisme reprendra sur une vaste échelle. Aussi faut-il mettre tout en œuvre pour le développer par une publicité intensive : journaux, revues, réclame lumineuse... Le cinéma, ce pilier de la publicité moderne, y prêterait son précieux concours. Les légations d'Égypte à l'étranger offriraient la collaboration la plus efficace. Plus de 200.000 touristes pourraient facilement venir chaque année dans notre pays et y laisser vingt ou trente millions de livres.
Attirer les touristes n'est qu'un premier pas, les y garder le plus longtemps possible est plus important. Cela ne se limite pas à leur réception courtoise, mais comporte une foule de mesures d'ordres économique, social, artistique et intellectuel. Il est de première importance de simplifier les formalités portuaires, visas des passeports, inspection des bagages, etc. La traversée de notre douane est particulièrement pénible pour les étrangers, la faciliter serait un grand soulagement, non seulement pour les étrangers, mais aussi pour les Égyptiens eux-mêmes.
À l'intérieur, les sociétés d'hôtels, les bateaux fluviaux ont, il est vrai, une organisation de premier ordre et offrent aux voyageurs tout le confort et l'agrément possibles, mais leurs tarifs ne sont pas à la portée de toutes les bourses.
De plus, le pays, en dehors de ses monuments pharaoniques et de la beauté de ses paysages, offre peu d’agréments aux touristes, habitués à des divertissements plus raffinés et moins froidement contemplatifs. Une fois la visite des monuments terminée, ils se hâtent de repartir et réduisent ainsi leur séjour au minimum. La création de centres d'attractions dans les villes les plus fréquentées, la construction de bonnes routes dans ces régions, l'amélioration des moyens de communication auront les meilleurs résultats sur le développement du tourisme et par suite d'heureuses répercussions sur notre économie nationale."



extrait de Égypte terre d'espoir, 1947, par Georges Zayed, docteur ès lettres, maître de conférences à la Faculté de commerce de l'Université Farouk Ier du Caire, spécialiste de l'œuvre de Verlaine.

vendredi 23 octobre 2020

"Ce qui retient ici et pétrifie la pensée, c'est ce défi porté par la Puissance à la Durée" (René de Bévotte, à propos de l'ancien musée de Boulaq)

musée de Boulaq par Délié et Béchard 1872 

"L'ancien palais de Boulaq, transféré sur la rive droite du fleuve, est un immense bâtiment gréco-romain, dont les portiques commandent une esplanade profonde entourée de casernes sur l’un de ses côtés et qui développe ses galeries autour d’un atrium central suivant un dispositif excellemment approprié aux merveilles dont il ne cesse de s’enrichir.
Comment tenter un inventaire et même un choix parmi les colosses de basalte et de granit, les Cynocéphales et les chacals géants, les vaches-déesses, les Knoums et les Anubis, les trônes emphatiques, les lits de parade et les chars de guerre, les sarcophages et les momies, les mobiliers retrouvés auprès de leurs dérisoires possesseurs, les statuettes, les groupes, les colliers, les insignes de la souveraineté, les couronnes, les pschents, les sceptres, les bracelets, les ors ciselés ou rehaussés, les bronzes, les terres cuites, les silex, qui emplissent les vestibules, les escaliers et les travées où nous avons erré une entière après-midi, nous laissant choir de fatigue et d'hébétude sur les sièges trop rares en ce panthéon de l’orgueil humain ? 
Ce qui retient ici et pétrifie la pensée, ce n’est pas l’art plus ou moins accompli de ceux qui ont travaillé sculpté, gravé, incrusté les plus précieuses matières pour perpétuer l'image et la fore corporelle des pharaons ; c'est ce défi porté par la Puissance à la Durée, cette prétention de soustraire pour toujours une dépouille inerte à la destruction et de la dérober à l’indiscrétion des siècles en l’enfouissant dans les entrailles de la terre ! 
C’est à quoi je songe devant ces masques en or massif, ces effigies, ces coffres funéraires triples, par lesquels les Sésostris, les Rhamsés, les Aménophis, les Aménothès, les Khepern, les Thoutmosis, les Tout-Ankh-Amon ont cru éterniser, non leur seule mémoire, mais leur chair éphémère et leurs membres promis par les décrets immanents à l’universelle mutation ! Attestations imprescriptibles de ce Vouloir-vivre posthume affirmé ailleurs par leurs temples, leurs pyramides, leurs obélisques, par tout ce qu'ils ont insolemment planté dans la poussière mouvante des sables de leurs empires !
La tête pleine de ce que m'ont soufflé les voix du plus fabuleux passé, je vais me détendre, au sortir de cette instructive et suggestive visite, dans le petit parc de l’Ezbékiyeh, dont l'accès n’est public que moyennant une piastre de bon aloi. Il s’y trouve de grands arbres et l’on y voit d’étranges fleurs de ce pays-ci dont je serais bien en peine de dire les noms, et c’est en plein jour et en plein centre une délassante retraite. Je m'offre aussi l’agrément de me perdre un peu dans les vieilles rues à arcades où je débouche en quittant ces ombrages, et, quelques emplettes faites, vais prendre le dernier mot d'ordre en vue de notre départ de ce soir pour la Haute-Égypte."

extrait de Le plus beau voyage (août - septembre 1934), par René de Bévotte.
Aucune information précise sur cet auteur n'est à ma disposition. Peut-être s'agit-il d'un avocat, docteur en droit, ayant exercé à Marseille (1891-1914)...

jeudi 22 octobre 2020

"Ce qu'il y a de plus beau à la citadelle (du Caire), c'est la vue dont on y jouit sur la ville et sur la contrée" (Jean-Augustin Bost)

Le Caire: vue de la place appelée el Roumeyleh et de la Citadelle : 
dessin d'André Dutertre (1753-1842) - Source : Galllica


"Si la citadelle est peut-être ce qu'il y a de plus beau au Caire, ce qu'il y a de plus beau à la citadelle c'est la vue dont on y jouit sur la ville et sur la contrée, vue splendide, vue de première classe. Située à cent mètres environ au-dessus de la plaine, la citadelle forme tout un ensemble de bâtiments et de constructions diverses, fonderie de canons, fabrique d'armes, imprimerie, hôtel des monnaies, arsenal, mosquée, palais, château, ministères, cours intérieures, puits gigantesque, etc. 
Nous ne visitons pas tout, cela va sans dire, mais nous visitons, munis des grosses pantoufles sacramentelles, la belle ou plutôt riche mosquée en albâtre de Méhémet-Ali, commencée par ce prince et qui renferme aujourd'hui son tombeau ; tous les styles s'y trouvent, sauf le mauresque ; le palais du vice-roi actuel, architecture orientale, meubles de Paris, tentures de Damas ; l'étroite place où furent massacrés le 1er mars 1811 les Mamelucks, dont un seul échappa, dit la légende, en lançant son cheval sur la ville ; nous avons la même légende à Berne. Nous visitons encore l'immense puits qui porte le nom de Joseph, ou Youssouf, qui fut creusé à la fin du 12° siècle par Joseph Saladin, Youssouf Salah el Din, et que la tradition fait remonter à Joseph le patriarche, le gouverneur de l'Egypte, quoique la ville du Caire ne date elle-même que de l'an 969. Elle fut fondée par le général fatimite Gowher qui, à la suite de ses conquêtes, la nomma El-Kahira, la victorieuse. 
L'ancienne ville, Fostat, aujourd'hui le Vieux-Caire, était située un peu plus au midi, en amont du fleuve ; peut-être selon quelques-uns l'antique Memphis, la capitale des Pharaons depuis Moïse, était-elle située encore à 3 ou 4 lieues plus au sud, non loin de Sakkarah. Il est donc bien difficile de s'orienter dans la recherche des souvenirs bibliques, soit qu'il s'agisse de Joseph ou du jeune Moïse exposé sur les eaux. Mais le puits n'en reste pas moins une merveille des temps anciens par sa forme, sa largeur et sa profondeur, qui est de 95 mètres ; il est taillé dans le rocher, et l'on peut y descendre par une spirale en pente douce.
Mais je l'ai dit, ce qu'il y a de plus beau, c'est la vue dont on jouit des terrasses de la citadelle. D'un côté la ville avec sa forêt de clochetons et de minarets, ses coupoles, ses mosquées, ses places depuis la Roumélieh jusqu'aux sycomores de l'Esbékiéh près de la gare ; ces rues qui se dessinent si nettement, les casernes du Karameïdan, les tombeaux des califes ; un peu plus loin des palais d'albâtre qui, parallèlement à la grande allée semblent réunir le Caire à Boulaq où se trouvent dans le Musée de M. Mariette, tous les dieux de l'ancienne Égypte avec un certain nombre de souverains desséchés. En remontant vers la gauche, l'oeil rencontre le palais et les jardins d'Ibrahim-Pacha qui bordent le Nil sur une longueur de 3 kilomètres, et qui sont l'une des plus belles créations de Méhémet-Ali, une conquête sur d'énormes amas de décombres et d'immondices. À gauche encore le Vieux-Caire, le Nilomètre, le Nil avec sa vigoureuse végétation. Enfin les pyramides qui malgré la distance se distinguent parfaitement et tranchent sur le sable du désert et sur l'azur du ciel. Si l'on regarde vers le nord, on a les vertes plaines et le commencement du Delta ; vers l'Orient, les hauteurs du Mokattam et les approches du désert par un chemin qui mène à la forêt pétrifiée."

extrait de Souvenirs d'Orient : Damas, Jérusalem, le Caire, 1875, par Jean-Augustin Bost (1815-1890), théologien, pasteur de l'Église réformée de France